La boucle est bouclée. Ce complexe architectural comprenant dans un même espace une mosquée, une synagogue et une église, inauguré le 16 février dernier, est le symbole physique bien visible de la grande religion syncrétiste du nouvel ordre mondial, dont François serait l’aumônier. Il est le fruit de « l’esprit d’Assise », et l’accomplissement du fameux document d’Abu Dhabi. Le reportage sur place de Giuseppe Nardi, qui rappelle les différentes étapes du projet.
Voir aussi
- D’Assise à Abu Dhabi (Cristina Siccardi, 27 novembre 2019)
- Mgr Vigano: la néo-religion mondiale aura son temple (17 novembre 2019)
« Le début d’une nouvelle phase dans l’histoire des religions » – le complexe de temples d’Abu Dhabi ouvre ses portes
LA « MAISON DE LA FAMILLE ABRAHAMIQUE » POUR UNE RELIGION MONDIALE UNIQUE ?
Giuseppe Nardi
katholisches.info
Toutes les photos sont issues du site de Giuseppe Nardi
La Maison de la famille abrahamique, un projet de construction controversé associé à la création d’une religion mondiale unique, a été inaugurée le 16 février.
Le projet interreligieux se compose de trois bâtiments cubiques de conception totalement équivalente : une mosquée, une synagogue et une église, reliés entre eux par un parc et un centre interreligieux souterrain. Le projet doit exprimer une unité « abrahamique » des trois religions mondiales. Il est « le résultat » de ce que l’on appelle le document d’Abu Dhabi du pape François, comme on peut le lire sur le site Internet du vicariat apostolique d’Arabie du Sud.
La « Maison de la famille abrahamique » est un centre interreligieux situé dans le district culturel de Saadiyat à Abu Dhabi (Émirats arabes unis), qui a un lien direct avec le document sur la fraternité de tous les hommes, signé le 4 février 2019 à Abu Dhabi par le pape François et Ahmad Mohammed al-Tayyeb, le grand imam d’Al-Azhar (Le Caire).
Ce document et le projet de construction sont l’expression de ce que l’on appelle « l’esprit d’Abu Dhabi » pour la fraternité de tous les hommes. Le financement a été assuré par l’émirat du désert, mais parmi les forces motrices de « l’esprit d’Abu Dhabi » figure le pape François. Les initiatives pour la « fraternité de tous les hommes » doivent, selon leurs initiateurs, « promouvoir la coexistence pacifique des peuples et lutter contre l’extrémisme ».
Le projet global défend une filiation commune du judaïsme, du christianisme et de l’islam avec Abraham. Le Christ y reste l’Innommé. Après la signature du document sur la fraternité de tous les hommes, que le philosophe autrichien Josef Seifert a appelé « l’hérésie des hérésies », le pape François a créé en août 2019 un Haut Comité pour la fraternité de tous les hommes afin de mettre en œuvre le document.
Ce comité a présenté à l’automne 2019 un projet de construction gigantesque, dont le premier coup de pioche a été donné juste après. L’initiative est venue du gouvernement des Émirats arabes unis. Abu Dhabi, l’émirat leader, a mis à disposition le terrain à bâtir et assure le financement.
Le 3 octobre 2020, le pape François a signé à Assise sa troisième encyclique Fratelli tutti, qui doit être considérée comme une sorte de testament politique du pontificat actuel.
La portée du projet global appelé « Fraternité de tous les hommes » s’est révélée lorsqu’en décembre 2020, l’Assemblée générale de l’ONU a déclaré le 4 février, jour de la signature du document d’Abu Dhabi, « Journée internationale de la fraternité de tous les hommes ». La demande en ce sens a été la première initiative du Haut Comité pour la fraternité entre tous les hommes juste après sa constitution. Le 4 février 2021, la Journée internationale de la fraternité entre tous les hommes a été célébrée pour la première fois.
Le jeudi 16 février 2023, le complexe de bâtiments désormais achevé a été officiellement inauguré par le cheikh Saif bin Zayid al-Nahyan, vice-premier ministre et ministre de l’intérieur des Émirats arabes unis, et le cheikh Nahyan bin Mubarak al-Nahyan, ministre de la tolérance et de la coexistence. Tous deux appartiennent à la famille régnante de l’émirat d’Abu Dhabi, qui est également le chef d’État aux Émirats arabes unis. L’émir actuel d’Abu Dhabi et président des Émirats arabes unis, Mohammed bin Zayid al-Nahyan, est considéré comme le cerveau déterminant de l’ensemble du projet. Il avait déjà dirigé en 2019, alors qu’il était encore prince héritier, les préparatifs du projet de construction et de la signature du document d’Abu Dhabi par le pape François et le grand imam al-Tayyeb.
Mohammed bin Zayid al-Nahyan est devenu prince héritier de l’émirat à la mort de son père en 2004. Depuis mai 2022, il est émir d’Abu Dhabi et chef d’État des Émirats arabes unis, qui comprennent sept émirats du Golfe. Dans les faits, il assumait déjà la fonction de son demi-frère depuis 2014, après que celui-ci ait été victime d’une attaque cérébrale. Après le décès de ce dernier l’année précédente, il a officiellement pris sa succession. Lors de l’inauguration de la Maison des religions abrahamiques la semaine dernière, à laquelle il n’a pas assisté personnellement, l’émir a écrit sur Twitter qu’Abu Dhabi était « une fière histoire de personnes issues de différentes communautés qui travaillent ensemble pour créer de nouvelles opportunités ».
Le centre érigé, qui devrait à l’avenir compter parmi les attractions des Émirats du Golfe dans le domaine culturel, aux côtés d’annexes du musée Guggenheim et du Louvre parisien, abrite une église dédiée au pape François, conformément aux idées de la famille régnante.
Outre la mosquée Ahmad-al-Tayyeb et la synagogue Moïse-Maimonide, il existe officiellement l’église du pape François (« His Holiness Francis Church »). Une telle dédicace étant impensable pour l’Église catholique, le lieu de culte cubique a reçu pour patron, du côté de l’Église, saint François d’Assise. En revanche, la mosquée porte le nom de l’autre signataire du document d’Abu Dhabi, le grand imam Ahmad al-Tayyeb, et la synagogue celui du célèbre rabbin médiéval Moïse Maimonide (1138-1204). La rue où se trouve l’ensemble des bâtiments porte le nom de l’ancien président de la République française Jacques Chirac.
Après l’inauguration le 16 février, la première prière islamique du vendredi a eu lieu dès le lendemain à la mosquée, le samedi, le sabbat a été célébré à la synagogue et le dimanche 19 février, une liturgie de la parole a eu lieu à l’église, comme l’a rapporté le vicariat apostolique d’Arabie du Sud.
Le pape François y a été représenté par le cardinal Michael L. Fitzgerald, ex-président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Selon l’Emirates News Agency, le cardinal a fait l’éloge du complexe de construction interreligieux comme étant « un exemple concret pour les personnes de différentes religions, cultures, traditions et convictions pour revenir à l’essentiel : l’amour du prochain ».
Mgr Paolo Martinelli, vicaire apostolique pour l’Arabie du Sud, était également présent. Mgr Martinelli a prononcé des paroles remarquables :
« Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de l’histoire des religions ».
Et plus loin:
« Avec le document d’Abu Dhabi sur la fraternité de tous les hommes, document prophétique et clairvoyant, les religions sont représentées dans leur capacité originelle à coopérer et à contribuer ensemble à la formation d’un monde plus humain, dans lequel nous nous reconnaissons tous comme frères et sœurs. Nous sommes appelés à la fraternité, à la coexistence et à la tolérance, à l’acceptation mutuelle et à la promotion de la justice et de la paix ».
Mgr Martinelli a qualifié l’Église de « cadeau au pape François ». En même temps, il a cité saint François d’Assise comme « saint de la fraternité de tous les hommes, de la paix et de la réconciliation » et comme « saint de la sauvegarde de la création ».
Martinelli est allé jusqu’à déclarer :
« Sa Sainteté le pape François a voulu prendre le nom de ce grand saint pour rappeler justement la valeur de la fraternité, de la paix et de la création ».
Voulait-il dire que le projet Abu Dhabi n’était pas né à la veille de la signature du document éponyme en 2019, mais déjà en amont de l’élection du pape ?
En effet, le pape François a lancé l’initiative vidéo « La vidéo du pape » sur les intentions de prière du pape en janvier 2016 avec une vidéo qui lui a valu d’être accusé de favoriser le syncrétisme.
Trois mois plus tard, en avril 2016, lors de l’Earth Day, François a déclaré devant le Mouvement des Focolari à Rome qu’il n’était « pas important » de savoir à quelle religion on appartenait. L’important, c’est que tous travaillent ensemble et se respectent mutuellement.
Derrière « Abu Dhabi », on peut donc voir un fil rouge qui traverse le pontificat actuel. Ce fil a pour point de départ, comme l’a souligné l’historienne Cristina Siccardi dans une analyse de 2019, le document Nostra aetate [sur le dialogue interreligieux] du concile Vatican II.
Initialement, l’achèvement du complexe de temples devait avoir lieu dès 2022, mais des retards imprévus ont duré plus longtemps que prévu.
Ses détracteurs, comme le philosophe Josef Seifert cité plus haut et l’historienne Cristina Siccardi, voient un lien inquiétant entre la pire forme de l' »esprit d’Assise » controversé et l’actuel « esprit d’Abu Dhabi ». En 1986, à l’initiative de la communauté catholique de Sant’Egidio, une rencontre interreligieuse de prière avait été invitée à Assise, à laquelle avait participé, outre des représentants de nombreuses religions, le pape Jean-Paul II. L’affaire mal ficelée s’est soldée par une abomination syncrétique et sacrilège. Néanmoins, l' »esprit d’Assise » a été maintenu. Selon Cristina Siccardi, le chemin vers Abu Dhabi passe par Assise.
Mais il ne s’agit pas de l’esprit de saint François d’Assise. Ce saint est simplement utilisé comme enseigne pour l’idée syncrétique d’une religion mondiale unique. Il s’agirait donc moins d’une religion que d’un projet politique.
La nouvelle église franciscaine sur l’île de Saadiyat ne figure pas sur le site Internet du vicariat apostolique d’Arabie du Sud dirigé par Mgr Martinelli, elle ne dépend donc pas de ce dernier, mais du responsable du complexe global islamo-judéo-chrétien. Le site Internet répertorie neuf églises pour les Émirats unis, dont la cathédrale Saint-Joseph en tant qu’église épiscopale d’Abu Dhabi. La consécration de la nouvelle église en forme de cube n’a pas encore eu lieu. Elle aura lieu « plus tard, après quoi les sacrements pourront être administrés dans l’église », selon le vicariat apostolique d’Arabie du Sud.
90% des habitants des Émirats arabes unis sont des étrangers. Cela s’explique par le fait que les émirs ont investi les pétrodollars dans d’autres secteurs d’activité comme le tourisme, la finance et l’informatique. Si la majorité des travailleurs immigrés proviennent d’autres pays arabes, un groupe très important est également originaire d’Asie du Sud et du Sud-Est. Les émirs sont donc confrontés à un nombre croissant de personnes issues d’autres traditions islamiques ou appartenant à d’autres religions, dont de nombreux catholiques des Philippines.
La famille régnante al-Nahyan, qui est à la tête des sept émirats, réagit à cette situation démographique inhabituelle par une tolérance affichée, afin de ne pas mettre en danger la stabilité interne du pays et de son règne. Le fondement idéologique qu’elle tente de donner à cette tolérance va cependant bien au-delà de la tolérance de la religion de ses travailleurs immigrés. Dans ce contexte, il est rappelé à plusieurs reprises que l’idée d’une religion mondiale unique par la relativisation des religions remonte à la franc-maçonnerie. Le complexe de temples d’Abu Dhabi est un grand pas dans cette direction, dont l’évêque Martinelli a qualifié l’inauguration d’entrée dans une « nouvelle phase de l’histoire des religions ».
Le prochain projet du gouvernement des Émirats arabes unis sera la construction d’un temple hindou. Récemment, le département d’État américain a fait dans un rapport l’éloge du fait que les imams islamiques aux Émirats arabes unis sont « étroitement surveillés » et que leurs prêches lors de la prière du vendredi sont « strictement contrôlés ». La tentative de faire du prosélytisme auprès des musulmans est également punie d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans.