Commentaire d’Andrea Gagliarducci: Sur l’ancien rite, François a pris les choses en main personnellement et a décidé d’abroger toutes les ouvertures voulues par Benoît XVI. Avec Jean Paul II et Benoît XVI, on avait toujours recherché la voie du dialogue. Avec lui, et par la volonté même du Pape, c’est la division qui s’impose, même en contradiction avec les termes du Concile auquel il affirme pourtant s’en remettre (le concile n’a jamais abrogé la célébration de l’ancienne messe). Et avec la centralisation du pouvoir réaffirmée par tous les derniers actes de gouvernement, le risque de schisme rampant (ou de franche scission) se fait de plus en plus menaçant.

Pape François, pourquoi un autre coup porté à l’ancien rite ?

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
27 février 2023

Praedicate Evangelium, la constitution apostolique qui régit les fonctions et les devoirs des bureaux de la Curie, donne au Dicastère pour le Culte Divin la tâche précise de promouvoir « la sainte liturgie selon le renouveau entrepris par le Concile Vatican II. » La mention du Concile pouvait être lue comme un indice des mesures que le pape François prendrait sur l’ancien rite de la messe. Et après la première répression avec le Motu Proprio Traditionis Custodes, le pape François a encore précisé deux normes particulières avec un rescrit publié le 21 février.

Ce nouveau rescrit du pape François fait suite à une série de spéculations du monde traditionaliste, qui parlait même d’une constitution apostolique du pape ou d’une lettre apostolique à publier le lundi saint, jour anniversaire de la promulgation du nouveau rite par Paul VI (il a été promulgué le 3 avril 1969), afin d’établir une fois pour toutes que le seul rite valide dans l’Église est celui du Missel promulgué après le Concile Vatican II, et que tous les autres sont des exceptions.

La publication du rescrit n’exclut cependant pas la publication d’une lettre apostolique le lundi saint pour marquer un anniversaire mais aussi pour réaffirmer un principe. Le pape François a pris les choses en main et a décidé de donner une orientation précise à la question, abrogeant de fait les ouvertures de Benoît XVI sur le sujet.

La ligne directrice est celle du Concile Vatican II. Mais, malheureusement, et de plus en plus souvent, le pape François ne manque pas de se plaindre d’un « passéisme » qui conduit à regarder en arrière pour rester dans la tradition sans comprendre que les temps ont changé, donnant ainsi à la pratique une interprétation rigide et néfaste.

Le Pape est ainsi entré dans un débat que l’on croyait dépassé. Il est vrai qu’après le Concile Vatican II, les interprétations du Concile comme rupture avaient attiré l’attention sur la tradition dans l’Église. Après tout, les mouvements traditionnels avaient toujours existé. Et pourtant, avec le Concile Vatican II, le débat, quelque peu attisé par les médias, en a fait immédiatement une sorte de cible.

Il y a eu un débat médiatique très dur, puis un travail de synthèse en coulisses, mené d’abord par Paul VI, puis par Jean-Paul II. Par exemple, l’excommunication des évêques lefebvristes n’est intervenue que quand l’archevêque Marcel Lefebvre a fait un geste visible de rupture, à savoir l’ordination de quatre nouveaux évêques sans le consentement de Rome. Mais, jusqu’à ce moment, le travail en coulisses consistait à chercher une solution, à créer l’unité. À tel point que le Saint-Siège a créé la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, qui a accueilli les catholiques désireux de continuer à célébrer avec le rite de saint Pie V.

La ligne de Benoît XVI était de rechercher l’unité. Face à un débat qui devenait de plus en plus vif et qui en venait à remettre en cause la validité du Concile Vatican II, Benoît XVI a décidé de libéraliser l’usage de l’ancien rite. Et en même temps, il a dit aux Lefevbristes qu’ils pourraient se réunifier avec Rome, sortir du schisme, si seulement ils signaient un préambule doctrinal qui reconnaissait le Concile Vatican II. En somme, le strict minimum pour pouvoir être en communion.

Ce préambule n’a jamais été signé, et le dialogue s’est enlisé. Mais, dans le même temps, les groupes de fidèles qui voulaient célébrer dans le rite traditionnel ont trouvé une maison et un moyen de se sentir en communion. Personne ne nie que, parfois, il pouvait y avoir des problèmes d’organisation au niveau local. Mais en général, le problème a été surmonté en optant précisément pour l’unité de l’Église.

Et c’est là que le bât blesse : il a été surmonté simplement en suivant le Concile Vatican II. Le numéro 4 de la Constitution apostolique Sacrosanctum Concilium sur la liturgie était clair. Nous y lisons :

« Enfin, dans la fidèle obéissance à la tradition, le saint Concile déclare que la sainte Mère l’Église tient pour égaux en droit et en dignité tous les rites légalement reconnus, qu’elle veut les préserver à l’avenir et les favoriser de toutes les manières. Le Concile désire également que, là où c’est nécessaire, les rites soient soigneusement révisés à la lumière de la saine tradition, et qu’une nouvelle vigueur leur soit donnée pour répondre aux circonstances et aux besoins des temps modernes. « 

Tous les rites sont donc valides et ne doivent être révisés que lorsque cela est nécessaire. Entre autres, le Missel de Saint Pie V avait déjà été réformé par Jean XXIII, et c’est à ce dernier que nous nous référons la plupart du temps.

Si telle est l’approche du Concile Vatican II, pourquoi le pape François a-t-il pris un chemin différent ? Les deux clarifications du motu proprio réaffirment en outre que le Siège apostolique est compétent sur tout et que les évêques doivent toujours lui rendre compte. De même, sur l’affectation des paroisses, la législation prévoyait un rapport au Siège Apostolique, qui devient maintenant obligatoire.

En bref, l’évêque ne peut pas décider sans approbation. Il est frappant de constater que le rôle de l’évêque devient ainsi de moins en moins central. Son rôle n’est pas central dans le cadre du Praedicate Evangelium, où son pouvoir n’est pas différent de celui des autres parce que le pouvoir ne vient que de la mission. Il n’est pas central dans cette décision car il ne peut pas décider pour lui-même.

Paradoxalement, l’évêque n’a la pleine responsabilité que dans le cas d’abus, où il peut être accusé de négligence, ou dans le cas d’annulations de mariage, où le Pape veut qu’il soit le décideur ultime, comme il l’a précisé à plusieurs reprises.

Mais était-ce la direction voulue par le Concile Vatican II ? C’est une question légitime au moment où nous sommes confrontés à des tensions toujours plus fortes et à une centralisation continue du pouvoir du Pape. Une telle situation favorise les « informateurs » – on peut imaginer des évêques dénonçant des confrères qui ont pris des mesures sans demander l’avis du Siège Apostolique – et retire l’autorité aux hommes d’Eglise pour la redonner à l’organe central.

Une fois encore, c’est le pape qui décide. Mais cette prise de décision pourrait conduire à de nouvelles divisions. Et du schisme pratique vécu en de nombreuses occasions, on pourrait arriver à une véritable scission.

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