Le dernier billet d’Andrea Gagliarducci, dans son blog en anglais, est si riche d’informations variées et toutes dignes d’intérêt qu’il est difficile de les résumer, a fortiori dans un titre (celui choisi par lui est une référence au dernier rescrit sur le logement des employés du Vatican). Il en ressort l’image d’un pontificat à bout de souffle, d’un homme aux abois, qui sent que la fin approche et que la situation lui échappe, et qui tente désespérément et presque pathétiquement de garder le contrôle (par exemple en multipliant les interviews, et les biographies à sa gloire, à un rythme désormais frénétique), par tous les moyens, y compris le mensonge – disons pour être charitable: par omission. Le ton d’Andrea Gagliarducci est, comme d’habitude, parfaitement modéré, et cela rend le portrait d’autant plus réaliste… et encore plus inquiétant.

Pape François, une mesure de répression ?

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-a-crackdown

À l’approche du dixième anniversaire de son pontificat, le pape François a pris une nouvelle mesure contre ce qu’il considère comme un « système » du Vatican. Par un rescrit, un document rédigé après une audience avec le pape, il a bloqué à la fois les appartements de fonction gratuits et les appartements à prix subventionnés pour les chefs de dicastères. En somme, plus de privilèges, ou du moins la fin de ce que le pape François considère comme des privilèges.

Initialement pas même diffusée par les médias mais seulement affichée à l’intérieur du Vatican, cette disposition n’est que la dernière d’une série de mesures soudaines, selon la technique du « shock and awe » [choc et stupeur] qui caractérise le pape François. Peu de temps auparavant, un autre rescrit était arrivé, restreignant encore plus les concessions sur la messe traditionnelle, bien que ce rescrit contenait des contradictions qui ouvraient de nouvelles conditions non prévues auparavant.

Et encore avant cela, la nomination soudaine du nouveau préfet du Dicastère pour les évêques, Mgr Prevost, qui était largement attendue et pourtant tenue en veilleuse depuis presque deux ans. Et la décision de réaffirmer que les biens du Saint-Siège n’appartiennent qu’au Saint-Siège, mettant ainsi les réformes à l’abri de toute exception éventuelle liée au fait que certains membres de l’administration vaticane disposent d’une autonomie de gestion de leurs propres biens.

En cette dixième année de son pontificat, le pape François donne au système du Vatican le dernier tour de vis. Il a attendu patiemment, en fixant des ultimatums [deadlines] à certains chefs de service, en en écartant d’autres quand il le jugeait bon, et en coupant les ponts avec certaines personnes quand il perdait confiance. Aujourd’hui, le pape a commencé à prendre des décisions soudaines, en évitant tout conflit interne et en s’appuyant sur sa qualité de pape.

Le pape François est un pape qui règne. Mais on dirait presque qu’il ne veut pas que cela soit dit. Alors que son activité gouvernementale devient de plus en plus infreinable, le pape François se livre à des interviews et à des livres d’interviews. Il construit la narration sur lui-même, essayant de mettre de côté certaines critiques. En conséquence, toutes les plaintes du Pape François deviennent idéologiques. Il n’est jamais arrivé que le Pape admette une erreur d’évaluation. Au contraire, ce sont les autres qui ont tort.

Aux innombrables interviews de ces derniers temps s’est ajoutée une nouvelle biographie, « El Pastor », de Sergio Rubin et Francesca Ambrogetti [deux très proches, ndt], dans laquelle le pape François parle de ses années de pontificat, de sa façon de lire ce qui s’est passé ces dernières années, de sa vision du monde.

Les anticipations parlent d’un pape qui évoque la nécessité d’un engagement politique parce que cela est chrétien. Pourtant,et c’est frappant, il n’est pas fait mention d’inspirer la politique, tout en considérant la partie plus purement laïque de l’histoire.

Les anticipations ajoutent que le Pape a parlé des scandales financiers, disant qu’il y a des laïcs qui en ont profité et qu’il les a immédiatement fait bloquer lorsqu’il a appris que l’investissement de la Secrétairerie d’État dans une propriété de luxe à Londres était quelque chose d’opaque. Le pape omet cependant de dire qu’il était dans la salle de négociation et que, par conséquent, il était personnellement informé. Et il omet de dire qu’il est vrai que tout découle d’une action interne. La dénonciation découle à l’origine du refus d’un organisme d’État, c’est-à-dire l’IOR, de répondre à la demande d’un organisme gouvernemental, c’est-à-dire la Secrétairerie d’État du Vatican.

Et encore, les anticipations disent que le Pape affirme avoir refusé deux fois la nomination épiscopale et que le supérieur des Jésuites, à l’époque Hans Kolvenbach, a immédiatement avalisé sa nomination comme auxiliaire de Buenos Aires. Pourtant, dans toute reconstruction, il n’est jamais apparu que le pape s’était vu proposer la nomination à plusieurs reprises ni que Kolvenbach avait accepté.

Ainsi, le Pape François construit le récit autour de lui-même tandis que sa façon de gouverner prend des caractéristiques de plus en plus centralisatrices.

Comment faut-il lire toutes ces circonstances ?

Tout d’abord, la manière facile. Le pape François se soucie de l’opinion publique, il a construit un pontificat sur son image publique, et donc la construction du récit devient cruciale. Bien sûr, c’est un récit construit en niant toute responsabilité – par exemple, il a nié avoir jamais entendu parler des allégations d’abus contre le père Marko Rupnik, même si l’ex-communication latae sententiae qui avait été imposée au jésuite exigeait une notification au pape. Mais il s’agit surtout d’un récit qui ne vise pas à définir les questions critiques, qui n’aborde pas les problèmes de gouvernement mais les contourne au point qu’ils semblent devenir secondaires.

Or, les problèmes de gouvernement ne sont pas secondaires. En fait, le pape François se débarrasse rapidement des personnes en qui il n’a plus confiance. C’est arrivé récemment, même à des personnes importantes, et cela se reproduira.

Le deuxième point est que le pape François est pressé d’imposer sa vision du monde. C’est comme si le Pape avait réalisé qu’il était dans une impasse, que ses paroles ne sont plus écoutées. Alors, dès qu’il voit quelqu’un prendre quelques libertés, le pape réaffirme sa ligne, même brutalement.

Le rescrit du 13 février en est un exemple. Il ne tient pas compte de l’autre côté de l’histoire : les appartements à loyer contrôlé faisaient partie d’un système du Vatican établi pour permettre à tout le monde de travailler au Vatican. Le salaire n’est pas élevé, bien qu’il soit exonéré d’impôts (de 1 300 à 2 400 euros, selon 10 niveaux de rétribution, bien qu’ils puissent parfois atteindre 3 000 dans le cas d’un 10e niveau). Malgré tout, les employés du Vatican disposent d’une station-service non imposable, d’un supermarché aux prix avantageux et d’un État qui les aide à vivre. Maintenant, ceux qui pourront travailler au Vatican, surtout comme chefs des dicastères du Vatican, sont ceux qui sont déjà assez riches pour louer l’appartement ou ceux qui reçoivent des dons personnels et en dépendront. Ou bien, ils vivront en dehors du Vatican, et les appartements du Vatican resteront non loués. C’est l’inconvénient que le pape n’a pas vu.

Le troisième point est que le pape François a atteint un point dans son pontificat où il pense pouvoir tout contrôler. L’ère de la prudence est donc terminée, et celle de l’action a commencé. Une étape nécessaire, si l’on considère que son état de santé n’est pas excellent, et que même le prochain voyage en Hongrie a été planifié de manière à avoir le moins de mouvements possible.

Personne ne sait ce que pense le Pape, mais la façon dont il réagit aux situations qu’il n’aime pas est évidente. Malheureusement, cette situation a également créé un léger immobilisme au sein de la Curie, incertaine des paroles du Pape et donc suspendue dans ses actions.

Le Pape François, cependant, reste imperturbable. Il veut aller au bout de ses réformes et pense que l’ancien Vatican n’est qu’un héritage de la Renaissance. Ce n’est que partiellement vrai, mais ce pape François ne le sait pas ou fait semblant de ne pas le savoir.

Share This