Ecole Ratzinger – Ce texte, issu d’un livre intitulé « Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre » et formé de quatre sermons de Carême prononcés en 1981 à Munich par l’archevêque, le cardinal Ratzinger est un extrait du premier sermon, où il reprend pour nous le récit de la Création du monde tel qu’il figure dans la Genèse, et tel qu’il a été magnifiquement illustré par Michel-Ange sur le plafond de la Chapelle Sixtine. Il apporte une première réponse à LA question fascinante qui nous hante tous: TOUT CECI EST-IL VRAI?

Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme, un vent de Dieu tournoyait sur les eaux.
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Dieu dit : « Que la lumière soit » et la lumière fut.
Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière« jour » et les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir et il y eut un matin :premier jour.
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Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux » et il en fut ainsi.
Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous le firmament d’avec les eaux qui sont au-dessus du firmament, et Dieu appela le firmament « ciel ». Il y eut un soir et il y eut un matin :deuxième jour.
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Dieu dit : « Que les eaux qui sont sous le ciel s’amassent en une seule masse et qu’apparaisse le continent » et il en fut ainsi.
Dieu appela le continent « terre » et la masse des eaux « mers », et Dieu vit que cela était bon.
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Dieu dit : « Que la terre verdisse de verdure : des herbes portant semence et des arbres fruitiers donnant sur la terre selon leur espèce des fruits contenant leur semence » et il en fut ainsi. La terre produisit de la verdure :des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence, et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir et il y eut un matin troisième jour.
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Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit ; qu’ils servent de signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années qu’ils soient des luminaires au firmament du ciel pour éclairer la terre » et il en fut ainsi. Dieu fit les deux luminaires majeurs le grand luminaire comme puissance du jour et le petit luminaire comme puissance de la nuit, et les étoiles. Dieu les plaça au firmament du ciel pour séparer la lumière et les ténèbres, et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir et il y eut un matin quatrième jour (Gen. 1, 1-19)

(…)

(Gen. 1, 1-19)

Joseph Ratzinger, 1981
« Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre » (ed. Fayard, 2005)

Ces mots par lesquels commencent les Saintes Écritures me font chaque fois l’effet d’un grand et vénérable carillon de fête qui, de loin, touche le coeur par sa beauté et sa noblesse, et laisse entrevoir le mystère de l’Éternel. A ces mots s’associe pour beaucoup d’entre nous le souvenir de la première rencontre avec le Saint Livre de Dieu, la Bible, que l’on nous ouvrait à ce passage. Il nous sortait de notre petite monde enfantin et nous captivait par sa poésie. Il nous laissait deviner quelque chose de l’incommensurabilité de la Création et de son Créateur.

Il nous restait cependant un sentiment de doute devant ces mots. Ils semblent beaux et familiers, mais sont-ils également vrais ?
Tout paraît indiquer le contraire, car la science positive a depuis longtemps écarté les notions que nous venons de considérer : la conception d’un monde que l’on peut comprendre dans le temps et dans l’espace, qui aurait été créé morceau après morceau en sept jours. Au contraire, nous nous trouvons en face de dimensions qui défient l’imagination. On parle du big-bang d’il y a dix milliards d’années, par lequel commença l’expansion de l’Univers, qui se poursuit indéfiniment. Ce n’est pas successivement que les étoiles furent accrochées, que les végétaux furent créés. La terre et le monde acquirent leur configuration actuelle au gré de processus confus, lents, sur des durées immenses.
Tout cela ne vaut-il donc plus rien ? Il y a quelque temps, de fait, un théologien a pu dire que la Création était devenue une notion dépourvue de bases réelles. Pour être intellectuellement honnête, il ne faudrait plus parler de Création, mais seulement de mutation et de sélection. Ce récit est-il vrai ? Ou bien, de même que toute la Parole de Dieu, de même que toute la tradition biblique, n’est-il pas un retour aux rêves de l’enfance de l’humanité, rêves que nous évoquons peut-être avec une certaine mélancolie mais que nous ne pouvons rappeler à nous, car l’on ne saurait vivre de nostalgie ? Une réponse positive ne peut-elle être également soutenue à notre époque?

La différence entre la forme et le fond dans le récit de la Création.

Elle se formule ainsi : la Bible n’est pas un manuel de sciences naturelles, elle n’entend pas l’être. C’est un livre religieux et, en conséquence, on ne peut en tirer d’informations concernant les sciences positives, ni y voir comment s’est opérée la genèse du monde du point de vue de l’histoire naturelle, mais seulement y puiser des connaissances de caractère religieux. Tout le reste est image, manière de rendre compréhensible aux hommes les vérités les plus profondes. Il faut distinguer la forme de présentation du contenu présenté. La forme a été choisie selon ce qui était accessible à l’époque, d’après les images avec lesquelles les hommes d’alors vivaient, s’exprimaient et pensaient, grâce auxquelles ils pouvaient comprendre les vérités les plus grandes. Seule la vérité mise en lumière par les images en constitue le sens véritable, permanent.
L’Écriture n’a pas l’intention de nous raconter comment les espèces de plantes firent leur apparition, comment le soleil, la lune et les étoiles se formèrent, mais, au bout du compte, de nous dire une seule chose : Dieu a créé le monde.
Le monde n’est pas, ainsi que le pensaient alors les hommes en maints endroits, un chaos de forces antagonistes, ni le siège de puissances démoniaques dont l’homme doit se protéger. Le soleil et la lune ne sont pas des divinités qui règnent sur lui. Au-dessus de nous, le ciel n’est pas peuplé de divinités mystérieuses et opposées, mais tout vient d’une seule puissance, de la « raison » éternelle de Dieu, devenu force créatrice dans le Verbe. Tout ceci vient du Verbe de Dieu, de ce même Verbe que nous rencontrons dans l’accomplissement de la foi. « 


Le hasard et la nécessité (J. Monod)
Le « Que cela soit ! » n’engendra pas un magma chaotique.
Plus nous connaissons l’univers, plus nous trouvons en lui une rationalité dont les voies parcourues par la pensée nous émerveillent. A travers elles, nous redécouvrons cet Esprit Créateur auquel nous devons également la raison.
Albert Einstein a écrit que dans les lois de la nature « se manifeste une raison si supérieure que toute la rationalité de la pensée et du vouloir humains semblent, par comparaison, être un reflet absolument insignifiant. »
Nous constatons que l’infiniment grand, l’univers des étoiles, est régi par la puissance d’une Raison.
Mais nous en apprenons également toujours plus sur l’infiniment petit, sur la cellule, sur les éléments fondamentaux du vivant.
Là encore, nous découvrons une rationalité qui nous étonne, de sorte qu’il nous faut dire avec saint Bonaventure : « Qui ne voit cela est aveugle. Qui ne l’entend est sourd. Et qui ne se met pas ici à prier et à louer l’Esprit Créateur, est muet. »

Jacques Monod, lui qui rejette comme non-scientifique toute croyance en Dieu et réduit l’univers entier au jeu combiné du hasard et de la nécessité, rapporte ce que François Mauriac aurait dit après les conférences qui allaient composer le livre où Monod s’efforce de fonder et systématiser sa vision du monde : « Ce que dit ce professeur est bien plus incroyable encore que ce que nous croyons, nous autres pauvres chrétiens. »
Monod ne nie pas qu’il en soit ainsi. Selon sa thèse, toute la symphonie de la Nature surgirait d’erreurs et de dissonances. Il est obligé d’admettre qu’une telle conception, au fond, est absurde. Mais, selon lui, la méthode scientifique nous forcerait à ne pas admettre une question dont la réponse aurait pour nom « Dieu ».

Quelle misérable méthode, pourrait-on se dire. A travers la rationalité de la Création, Dieu lui-même nous regarde. La physique et la biologie, toutes les sciences en général nous ont offert un récit de la Création nouveau et inouï.
Ces images grandes et nouvelles nous font connaître le visage du Créateur. Elles nous rappellent, oui, qu’au Commencement, et au fond de tout être, il y a l’Esprit créateur.
Le monde n’est pas issu des ténèbres et de l’absurde. Il jaillit de l’Intelligence, de la Liberté, de la Beauté qui est Amour. Voir tout ceci nous donne le courage qui nous permet de vivre et nous rend capables de prendre avec confiance, sur nos épaules, l’aventure de la vie.
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