Le cardinal-théologien se place au-dessus des questions contingentes, finalement dérisoires concernant sa relation présumée conflictuelle avec François, et les esquive fermement pour se placer sur un autre plan: la nécessité pour l’Eglise de « transcender l’immanence », d’affronter les défis de la modernité autres que l’environnement, le climat et les migrations: « Nous aurions besoin – dit-il – d’une nouvelle grande encyclique qui développe une vision morale forte, non pas pour s’opposer aux évolutions modernes, mais pour les intégrer ».

La mission de l’Église consiste à apporter des réponses concrètes aux grands défis de notre monde actuel, comme le transhumanisme ou l’abolition de la différence fondamentale et structurante entre l’homme et la femme. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un nouveau totalitarisme idéologique.

Cardinal Müller : le pape devrait coordonner la défense de l’humanité, car les transhumanistes totalitaires sont très organisés

INTERVIEW SUR LES DIX ANS DU PAPE FRANÇOIS

Giuseppe Nardi
katholisches.info
15 mars 2023

(Rome) A l’occasion de son dixième anniversaire sur le Trône de Pierre, le pape François a donné tellement d’interviews qu’il est difficile d’en garder une vue d’ensemble. C’est pourquoi nous publions l’entretien incendiaire de La Croix avec le cardinal Gerhard Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi de Rome, nommé par le pape Benoît XVI et démis de ses fonctions par le pape François.
.
Le cardinal y trouve des mots non seulement critiques, mais aussi accablants pour les dix années de l’actuel pontificat.
.
Il convient de noter comment le cardinal Müller évite de répondre aux questions sur le pape François, soulignant au contraire la mission et l’importance de la papauté. Le cardinal attire plutôt l’attention sur un sujet dans lequel il voit un nouveau grand défi : le transhumanisme. Derrière celui-ci, il voit un dangereux totalitarisme idéologique à l’œuvre, une nouvelle misanthropie au nom d’un humanisme simplement rhétorique mais fictif, contre lequel il faudrait défendre l’humanité.

Giuseppe Nardi


La Croix : Comment voyez-vous ce pontificat, dix ans après son début ?

Cardinal Müller : Je suis théologien et mes catégories sont théologiques et ecclésiologiques. C’est pourquoi je considère que le plus important est que l’Église annonce l’Évangile de la volonté universelle de Dieu de libérer tous les hommes du péché et de la mort. En ces temps de sécularisation, il me semble que la proclamation de l’importance fondamentale de Jésus-Christ en tant que médiateur entre Dieu et tous les hommes est la plus importante.
La tâche d’un pape en tant que fondement fondamental et visible de l’unité de l’Église dans la foi au Christ, la Parole de Dieu incarnée, comme le dit la constitution Lumen gentium de Vatican II, est donc plus théologique que sociologique ou sociale.
Jésus n’est ni un prophète ni le fondateur d’une religion. Il est le Fils de Dieu. Cela signifie que nous devons proclamer toutes les vérités de la foi chrétienne : la Trinité, le salut pour tous les croyants. C’est le critère à l’aune duquel chaque pontificat est jugé.

Le pape François est un prédicateur qui utilise des mots simples, et il a cette capacité à s’adresser aux gens simples, pas seulement aux théologiens et aux intellectuels. Mais il serait aussi très nécessaire de répondre à notre monde moderne, le monde post-chrétien et anti-chrétien dans lequel nous vivons, surtout en Occident, par l’annonce de Jésus-Christ. L’écologie est un thème important, tout comme le climat et la migration. Mais ces thèmes ne doivent pas nous faire oublier que l’amour du prochain repose sur l’amour de Dieu. C’est cette dimension transcendante et divine qu’il faut mettre en avant et développer.

La Croix : Dans votre livre, vous reprochez au pape François de manquer de fondements théologiques. Pourquoi ?

Cardinal Müller : Le rôle du pape n’est pas forcément de faire de la théologie au sens académique du terme. Mais la dimension théologique et le rappel de la transcendance de l’existence humaine doivent être présents dans le discours. Nous vivons dans un monde marqué par le naturalisme et le sécularisme, qui a oublié la transcendance. Nous sommes créés avec un corps, dans une situation donnée, dans un temps donné, avec une dimension sociologique.
Mais nous ne nous arrêtons pas à ces aspects. La tâche du pape, mais aussi des évêques et des prêtres, est de transcender cette immanence. C’est dans ce sens que le Concile Vatican II parle de l’orientation transcendante universelle de l’homme. Celle-ci consiste en l’humanisation de l’homme par la grâce surnaturelle. Telle est la tâche de l’Église aujourd’hui. L’originalité chrétienne réside précisément dans l’alliance de la nature et de la grâce, de la raison et de la foi.
La mission de l’Église consiste à apporter des réponses concrètes aux grands défis de notre monde actuel, comme le transhumanisme ou l’abolition de la différence fondamentale et structurante entre l’homme et la femme. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un nouveau totalitarisme idéologique.

La Croix : Pourtant, le pape dénonce régulièrement la culture du « jetable » et s’exprime sur ces sujets. Cela ne suffit-il pas ?

Cardinal Müller : Le pape se prononce par exemple contre l’avortement, mais il n’y a pas d’initiatives à grande échelle sur ce sujet.

Le Vatican devrait coordonner une défense de l’anthropologie chrétienne, car à l’inverse, ceux qui promeuvent le transhumanisme et la réduction de l’homme à sa dimension économique sont très organisés. Ils ne se préoccupent pas de la dimension philosophique et anthropologique de l’homme.
Nous aurions besoin aujourd’hui d’une nouvelle grande encyclique qui développe une vision morale forte, non pas pour s’opposer aux évolutions modernes, mais pour les intégrer. Nous ne sommes pas contre la médecine et la communication, mais notre tâche est d’humaniser ces moyens techniques. La technique est faite pour l’homme, pas l’homme pour la technique.

La Croix : Comment réagissez-vous à ceux que vous qualifiez d’opposants au pape ?

Cardinal Müller : Un évêque ne peut pas s’opposer au pape. C’est contraire à sa mission. Il n’y a pas de théologien ou de cardinal qui soit plus favorable à la papauté que moi. J’ai écrit des livres sur la structure sacramentelle de l’Église après Vatican II. Mais dans l’histoire, il faut reconnaître que certains papes ont aussi commis des erreurs. Certains papes ont également consacré plus de temps à la politique, par exemple à la défense des États pontificaux, qu’au souci de l’Église du Christ. En son temps, le cardinal Robert Bellarmin a critiqué les papes, non pas pour déstabiliser la papauté, mais pour mettre en lumière sa mission.
Il est très important que tous les papes aient de bons conseillers. Après tout, un pape n’est qu’un être humain, avec toutes ses possibilités et ses limites en tant que personne. C’est pourquoi le rôle du Collège des cardinaux est de préparer les décisions et de conseiller les papes. Et pour cela, le pape ne doit pas s’entourer uniquement de ses amis, qui approuvent tout et attendent quelque chose en retour.

La Croix : Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Cardinal Müller : Ils ont tous été nommés par François en fonction de son opinion personnelle et non de leurs compétences théologiques et pastorales. C’est la critique que l’on entend partout.

Mots Clés :
Share This