Il y a une gauche qui aime l’Eglise, elle ne s’est surtout pas convertie, et sa sympathie est à géométrie variable, elle s’adresse exclusivement à son dirigeant, sous certaines conditions très restrictives (en particulier, qu’il ne soit ni polonais ni allemand). Nous avons l’exemple de Mélenchon en France, ici c’est l’Espagne qui est la toile de fond de cette opinion issue du quotidien El Païs – en général pudiquement qualifié de centre-gauche (!!). Mais François aura beau faire des courbettes, il y a surtout une gauche qui persiste à haïr l’Eglise et tout ce qu’elle représente.

François, le Pape favori des athées

(Sergio Del Molino – El País)

Une partie de la gauche tolère que l’Église s’immisce dans les affaires de l’État si elle aime son chef. Elle ne s’oppose pas à l’influence politique de l’institution, mais aux papes qui portent des noms de famille allemands ou polonais.

En dix ans, Jorge Mario Bergoglio est devenu le pape préféré de nombreux athées. En pontifiant, il a fait mieux que les convertir à sa foi : il les a recrutés comme alliés.

En Espagne, il s’est fait de puissants admirateurs, dont l’ensemble du pouvoir exécutif : en juin 2022, après une audience d’une heure, le ministre de la présidence a déclaré, avec la ferveur d’un converti, que son gouvernement et le pape partageaient les mêmes valeurs. Quelques mois plus tôt, en décembre 2021, la vice-présidente Yolanda Díaz quittait le Vatican avec émotion, après avoir offert au pape une étole en plastique recyclé. La même année, Pablo Iglesias [l’un des fondateurs du parti Podemos] a dit que François parlait comme un communiste (ce qui, dans sa bouche, doit être compris comme un grand compliment ; ce serait différent si Hermann Tertsch [député « d’extrême droite » au parlement européen] l’avait dit).

Max Aub disait de son ami Luis Buñuel qu’il était aussi athée qu’un Espagnol pouvait l’être, ce qui n’était pas trop. Les héritiers idéologiques de Largo Caballero et de La Pasionaria ne poussent pas non plus l’athéisme à l’extrême avec leur ami Bergoglio, mais je n’aurais jamais pensé que ce serait précisément eux qui mettraient en péril la séparation de l’Église et de l’État. Tant d’années d’anticléricalisme, tant de vociférations contre le concordat et contre les écoles subventionnées par l’État, pour finir par faire des génuflexions au Vatican et célébrer le fait que le pape est « l’un de nous ».

Apparemment, le machisme institutionnel et l’homophobie de l’Église, son opposition à l’avortement, sa position sur les contraceptifs et la liberté sexuelle, et son hypocrisie criminelle sur les abus commis par des clercs sur des mineurs sont des questions insignifiantes qui n’empêchent pas les réjouissances et la camaraderie avec François.

Je peux comprendre qu’il y ait du faste au Vatican. Il est difficile de résister à l’encens et aux scénographies catholiques. Il n’est pas nécessaire d’être un hyper-esthète comme Stendhal pour succomber au milieu des feuilles d’or et des anges. Même moi, je me retiens de faire des sarcasmes quand je visite une cathédrale, mais François a renoncé au mystère. Son Église renonce au latin et aux miracles. Ils ne se sont pas convertis à la religion, mais à la personne qui la dirige, ce qui conduit à une conclusion inconfortable : il existe une gauche qui tolère une Église intrigante et s’immisçant dans les affaires de l’État si elle aime son dirigeant. Ils ne s’opposent pas à l’influence politique de l’institution, mais aux papes qui portent des noms de famille allemands ou polonais.

Dans ce contexte, les athées qui sont un peu plus athées que Buñuel et qui croient en une séparation radicale de la religion et de la vie quotidienne vont avoir du fil à retordre.

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