Chacun a sa perception de la façon dont les médias (principalement italiens) ont « célébré » les dix ans de pontificat. Là où certains ont vu des commentaires élogieux flirtant avec l’hagiographie, Marcello Veneziani a senti une certaine froideur du mainstream, principalement pour des raisons qui ne tiennent pas à la foi et qui ne sont pas toutes imputables à François. Mais aussi…

Le pape s’est retranché derrière l’humilité chrétienne et a dit : « Qui suis-je pour juger ? ».

Il faudrait lui répondre : « Tu es le Pape, c’est-à-dire le Saint Père, et tu as non seulement le droit mais le devoir de juger, d’orienter, d’exhorter et de condamner. Sinon, tu manques à ton rôle pastoral, à ta mission évangélique ».

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Le pape a plus de succès auprès des athées et des non-croyants qu’auprès des chrétiens fervents et croyants. Il n’y a pas de quoi se réjouir, notamment parce que cette sympathie ne se traduit pas par une conversion.

Le froid dixième anniversaire de Bergoglio

Marcello Veneziani
www.marcelloveneziani.com/articoli/il-freddo-decennale-di-bergoglio/

Le dixième anniversaire du pontificat de Bergoglio a été célébré dans une certaine discrétion. Peu de commentaires, très peu d’éloges, seulement des articles frisquets. Les dernières prises de position du pape François sur la guerre, la priorité de la paix et sa critique radicale du modèle capitaliste occidental, ainsi que certaines de ses déclarations sur la famille, les naissances et les avortements, en plus de sa condamnation des passeurs comme trafiquants d’êtres humains, n’ont pas vraiment plu au mainstream.

Dix ans, c’est un souffle face à l’éternité et une miette dans l’histoire millénaire de l’Église. Mais ils ont donné au monde l’impression d’un changement radical. Le pape François est apparu d’emblée comme le Grand Sympathique, accueilli dès les premières mesures de ce 13 mars 2013 avec la faveur des médias et la sympathie des non-croyants. Un pape sympa, étranger à la liturgie et au charisme, extraverti et insolite.

Quel est le trait spécifique qui l’a caractérisé au cours de ces années ? Il a été perçu comme un fils de son temps plus que de l’Église, fils de la mondialisation plus que de la tradition. Mondialisation inversée, c’est-à-dire du côté de tous les Suds du monde, de toutes les périphéries, du paupérisme et de l’accueil. Mais à l’horizon mondial, non plus national ou européen, ni même occidental ou chrétien : un pape ouvert au plus lointain, qui aime son prochain le plus éloigné, ouvert aux musulmans avant les chrétiens, aux protestants avant les catholiques, aux pauvres plus qu’aux fidèles.

C’est du moins ainsi qu’il est apparu à l’opinion publique et qu’il a été présenté par les médias. Tout cela a été anobli par un retour au christianisme des origines. Et cela a suscité le consensus et la sympathie de ceux qui sont le plus éloignés de l’Église et de la foi chrétienne. Et la méfiance, voire l’opposition, de ceux qui sont les plus attachés à notre Sainte Mère, l’Église catholique apostolique romaine. Jusqu’à l’anathème de certains et l’accusation d’hérésie.

Mais le pontificat de Bergoglio doit faire face à trois facteurs de crise qui le dépassent : l’éclipse de la foi et de la religion, le déclin de la tradition et de la civilisation chrétiennes, et le peu d’influence des catholiques en politique.

  • Le premier phénomène ne trouve pas son origine dans le pontificat de François, mais dans un processus séculaire. Il s’agit de la déchristianisation du monde, de l’irréligion occidentale, de la perte de la foi, de la perspective de l’autre monde et de la pratique religieuse. Mais ce processus historique s’est accentué et accéléré ces derniers temps, comme en témoignent le déclin de la dévotion, des vocations, du nombre de fidèles assistant à la messe et l’affaiblissement du sentiment religieux. L’avènement de Bergoglio à la papauté n’a pas freiné, ralenti, atténué ce déclin, mais coïncide avec son accélération et son aggravation. Ce n’est pas un bon résultat pastoral, c’est une défaite religieuse.
  • Le deuxième phénomène découle directement du premier, c’est l’extinction de la tradition, du sentiment commun, de l’identité chrétienne et de la civilisation. L’Église de Bergoglio n’a pas été œcuménique mais globale, sans lien spirituel et identitaire avec la civilisation chrétienne. Au point d’apparaître dans certains cas comme une grande ONG, une sorte d’Emergency [ONG italienne, un peu l’équivalent de « Médecins du monde »] en soutane, perdant le lien vivant avec la tradition. L’Eglise bergoglienne vit son héritage millénaire presque avec agacement, préférant se présenter comme une agence morale et sociale du présent, citant [Zygmunt] Bauman plus que Saint Thomas, courant après l’actualité et troquant le charisme contre la philanthropie.
  • Enfin, le troisième phénomène concerne de plus près l’Italie. Depuis l’époque du dernier pape italien, Paul VI (le pape Luciani n’a été qu’une trop brève parenthèse), l’influence des catholiques en politique s’est progressivement affaiblie. Elle a subi un coup fatal avec la fin de la DC, mais a semblé se rétablir au fil des ans, la papauté, la conférence épiscopale et le rôle des catholiques devenant l’aiguille de la balance dans un système bipolaire, un rôle central même s’il n’est plus majoritaire. Depuis des années, les élections politiques enregistrent l’insignifiance du vote catholique. Et je ne parle pas seulement du rôle des paroisses et des sacristies dans l’orientation des croyants. Mais des questions religieuses ou des questions relatives aux thèmes chers à l’Eglise. La conscience religieuse a disparu dans les urnes. Pour la première fois dans notre histoire civile, les catholiques ne jouent aucun rôle dans l’orientation politique.

Le pape s’est retranché derrière l’humilité chrétienne et a dit : « Qui suis-je pour juger ? Il faudrait lui répondre : « Tu es le Pape, c’est-à-dire le Saint Père, et tu as non seulement le droit mais le devoir de juger, d’orienter, d’exhorter et de condamner. Sinon, tu manques à ton rôle pastoral, à ta mission évangélique ».

Inversement, qui est-il pour juger, voire relativiser et effacer, la tradition chrétienne et catholique, la pensée des papes, des théologiens et des saints, la doctrine, la vie, l’ordo missae et l’exemple des martyrs et des témoins de la foi ? Pourquoi plier la vérité au temps et la tradition millénaire aux usages et aux phobies du présent ?

Cette question nous ramène au point de départ : le pape François apparaît comme un fils de son temps plus que de l’Église, un fils de la mondialisation plus que de la tradition. Nous aurions aimé qu’il soit un père de son temps plus qu’un fils, un arbre plus qu’un fruit et un fruit plus qu’une feuille dans le vent du présent.

Enfin, je voudrais signaler un éloge très curieux : Mgr Zuppi, président de la Conférence épiscopale [italienne] a noté que le message du pape s’adressait davantage aux laïcs qu’aux croyants. Et il commente : même Jésus aimait plus les laïcs que les religieux de son temps. Il a oublié de dire que les religieux de son temps n’étaient pas chrétiens mais de religion juive ; il est évident que le Sanhédrin se méfiait d’une nouvelle religion qui annonçait la venue du messie sur terre. Aujourd’hui, la situation est différente : le pape a plus de succès auprès des athées et des non-croyants qu’auprès des chrétiens fervents et croyants. Il n’y a pas de quoi se réjouir, notamment parce que cette sympathie ne se traduit pas par une conversion.

Mais les raisons majeures du déclin religieux ne dépendent pas de lui. Au mieux, son pontificat est une digue insuffisante à la dérive.

La Verità – 15 mars 2023

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