Ecole Ratzinger – Une homélie inédite prononcée le 26 novembre 1981 devant les députés catholiques du Bundestag. J’avais d’abord découvert un résumé sur un blog catholique italien avant de trouver sur la Bussola en 2018 le texte qui venait d’être publié en Italie dans un recueil d’inédits de Benoît XVI (publié simultanément en français, « Les chrétiens face aux totalitarismes », éditions Parole et Silence, 2018). Je conserve malgré tout le résumé de Sabino Paciolla, qui peut aider à la compréhension, car il s’agit d’un texte pas facile, qui requiert une (ou plusieurs) lecture(s) attentive(s)

Le chrétien est toujours un partisan de l’Etat, en ce sens qu’il accomplit ce qui est positif, ce qui est bon, ce qui maintient la cohésion des Etats. Il ne craint pas de contribuer ainsi au pouvoir des méchants, mais il est convaincu que c’est toujours et seulement le renforcement du bien qui peut abattre le mal et réduire le pouvoir du mal et des méchants. Celui qui met dans ses plans le meurtre d’innocents ou la ruine des biens d’autrui ne pourra jamais invoquer la foi.

Un résumé par Sabino Paciola

1 — Les premiers chrétiens n’étaient pas des sujets actifs de l’État, mais étaient persécutés par une dictature cruelle. Ils n’avaient pas le droit de porter l’État avec les autres, mais ne pouvaient que le subir. Leur tâche consistait à vivre en tant que chrétiens en dépit de l’État, dans lequel ils devaient apprendre à survivre.

L’État romain était faux et antichrétien parce qu’il voulait être le totum des possibilités et des espoirs de l’homme, qu’il a fini par appauvrir l’homme lui-même, et qu’il était démoniaque et tyrannique.

C’est ce qui se produit chaque fois que l’État prétend être ce qu’il ne peut pas être. Même si ses promesses se prétendent progrès et se réclament du concept de progrès, et même si elles propagent comme but la libération parfaite de l’homme, elles sont néanmoins en contradiction avec la vérité de l’homme et de sa liberté. Une telle politique est par nature une politique d’esclavage, qui conduit l’homme à l’égarement devant l’échec de ses promesses et devant le grand vide qui le guette.

La foi oppose à cette politique le regard et la mesure de la raison chrétienne, qui reconnaît ce que l’homme est réellement capable de créer comme ordre de liberté, sachant bien que l’attente supérieure de l’homme est entre les mains de Dieu.

Le premier service que la foi rend à la politique est donc de libérer l’homme de l’irrationalité des mythes politiques, qui sont le véritable risque de notre temps, par lesquels, en cherchant à réaliser les choses de Dieu par soi-même, on se joue de l’humanité de l’homme et de ses possibilités.

La morale politique consiste à résister à la séduction des mythes politiques : l’État n’est pas la totalité de l’existence humaine et n’embrasse pas toute l’espérance humaine. L’homme et son espérance dépassent la réalité de l’Etat et la sphère de l’action politique.

2 – Bien que les chrétiens aient été persécutés par l’Etat romain, leur position à son égard n’était pas radicalement négative, ils ne voulaient pas le détruire. Ils l’ont reconnu comme un Etat et ont cherché à le construire comme un Etat dans les limites de leurs possibilités.

S’appliquait pour eux ce que Jérémie avait indiqué au peuple d’Israël, l’invitant non pas à la résistance politique jusqu’à la destruction de l’État esclavagiste, mais à préserver et à renforcer le bien : une instruction pour la survie et en même temps pour la préparation d’un avenir nouveau et meilleur.

Jérémie n’incite pas les Juifs à la résistance et à la rébellion, mais il leur dit : « Construisez des maisons et habitez-les. Plantez des jardins et mangez-en les fruits… Recherchez le bien du pays où je vous ai fait venir et priez le Seigneur pour lui, car c’est de son bien que dépend le vôtre » (Jr 29,5-7).

Les chrétiens n’étaient pas des gens anxieux de se soumettre à l’autorité ; ils étaient conscients de l’existence d’un droit et d’un devoir de résistance. Ils reconnaissent les limites de l’État et ne s’y priaient pas quand il ne leur était pas permis de s’y plier parce que cela allait à l’encontre de la volonté de Dieu.

Le mal doit être combattu par une adhésion ferme au bien, pas autrement. La morale est la véritable opposition, et seul le bien peut préparer l’élan vers le mieux. Il n’y a qu’une seule morale : la morale des commandements de Dieu, qui ne peut être mise hors jeu, même pour un temps, afin de hâter un changement des choses.

Le chrétien est toujours un soutien de l’État, en ce sens qu’il accomplit ce qui est positif, ce qui est bon, ce qui maintient les États ensemble. Il ne craint pas de contribuer au pouvoir des mauvais, en utilisant la politique pour rassembler le bien des différentes instances de la société, et il est convaincu que c’est toujours et seulement le renforcement du bien qui peut abattre le mal et réduire le pouvoir des mauvais et des méchants.

La véritable résistance chrétienne a lieu quand et seulement quand l’État exige la négation de Dieu et de ses commandements, quand il exige le mal, contre lequel le bien est toujours un commandement.

La foi chrétienne a détruit le mythe de l’État divin, de l’État paradisiaque, pour le remplacer par le réalisme de la raison, à laquelle appartient aussi la morale, qui se nourrit des commandements de Dieu et qui n’est pas une affaire privée, mais qui a une valeur et une importance publiques. Le pivot de l’action politique responsable doit être de faire respecter dans la vie publique le plan de la morale, c’est-à-dire le plan des commandements de Dieu.


BENOÎT XVI: « Si l’État se plie aux tribunaux, c’est du totalitarisme ».

https://lanuovabq.it/it/se-lo-stato-si-piega-ai-tribunali-e-totalitarismo

Quand les convictions et les normes de l’État sont à la merci exclusive de majorités ou de décisions de justice, des espaces s’ouvrent à des formes de totalitarisme.
Extrait d’une homélie prononcée le 26 novembre 1981 par le cardinal Ratzinger devant les membres catholiques du Bundestag, où il aborde le sujet de l’attitude des chrétiens face au totalitarisme.


03 Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts,

04 pour un héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure. Cet héritage vous est réservé dans les cieux,

05 à vous que la puissance de Dieu garde par la foi, pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps.

06 Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ;

07 elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ.

*

(Première lettre de Pierre, ch1)

01 Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
02 Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : “Je pars vous préparer une place” ?
03 Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi.
04 Pour aller où je vais, vous savez le chemin. »
05 Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
06 Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi.

*

Jean, ch14

L’épître et l’évangile (1 Pierre 1,3-7 et Jean 14,1-6), que nous venons d’entendre, découlent d’une situation où les chrétiens n’étaient pas des sujets actifs de l’État, mais étaient persécutés par une dictature cruelle. Ils n’avaient pas le droit d’affronter l’État avec d’autres, mais ne pouvaient que le subir. Ils n’avaient pas le droit de former un État chrétien. Leur tâche consistait à vivre en tant que chrétiens malgré l’État. Les noms des empereurs au pouvoir, à l’époque où la tradition situe la date des deux textes, suffisent à éclairer la situation : ils s’appelaient Néron et Domitien. De même, la première lettre de Pierre définit les chrétiens comme ”dispersés” ou étrangers dans un tel État et nomme l’État lui-même ”Babylone”. Il indique ainsi de manière incisive la situation politique des chrétiens de l’époque : elle correspondait en quelque sorte à celle des juifs exilés à Babylone, qui n’étaient pas sujets mais objets de ce pouvoir et qui devaient donc apprendre comment y survivre et non comment le réaliser. Le contexte politique des lectures d’aujourd’hui est donc radicalement différent. Néanmoins, elles contiennent trois affirmations importantes, qui ont également une signification pour l’action politique des chrétiens.

1- L’Etat n’est pas la totalité de l’existence humaine et n’englobe pas toute l’espérance humaine. L’homme et son espérance dépassent la réalité de l’Etat et la sphère de l’action politique. Cela ne s’applique pas seulement à un Etat appelé Babylone, mais à toutes sortes d’Etats. L’État n’est pas la totalité. Cela allège le fardeau de l’homme politique et ouvre la voie à une politique rationnelle. L’État romain était faux et antichrétien précisément parce qu’il voulait être le totum des possibilités et des espoirs humains. Il prétend donc ce qu’il ne peut pas, il falsifie et appauvrit l’homme. Avec son mensonge totalitaire, il devient démoniaque et tyrannique. L’élimination du totalitarisme étatique a démythifié l’État et ainsi libéré l’homme politique et la politique.

Mais quand la foi chrétienne, la foi en une espérance supérieure de l’homme, s’éteint, le mythe de l’État divin réapparaît, car l’homme ne peut pas renoncer à la totalité de l’espérance. Même si de telles promesses se présentent comme un progrès et revendiquent le concept de progrès pour elles-mêmes en termes absolus, elles sont néanmoins historiquement considérées comme une rétrogradation par rapport à la nouveauté chrétienne, un renversement dans l’échelle de l’histoire. Et même si elles propagent comme but la libération parfaite de l’homme, l’élimination de toute domination sur l’homme, elles sont néanmoins en contradiction avec la vérité de l’homme et en contradiction avec sa liberté, parce qu’elles contraignent l’homme à ce qu’il peut faire lui-même. Une telle politique, qui fait du royaume de Dieu un produit de la politique et qui soumet la foi à la primauté universelle de la politique, est par nature la politique de l’esclavage ; et une politique mythologique.

La foi oppose à cette politique le regard et la mesure de la raison chrétienne, qui reconnaît ce que l’homme est réellement capable de créer comme ordre de liberté et peut ainsi trouver un critère de discrétion, sachant bien que l’attente supérieure de l’homme se trouve entre les mains de Dieu. Le rejet de l’espérance qui est dans la foi est en même temps un rejet du sens de la mesure de la raison politique. (…)

L’espoir mythique du paradis autarcique immanent ne peut conduire l’homme qu’à l’égarement : égarement devant l’échec de ses promesses et devant le grand vide qui le guette ; égarement angoissé devant sa propre puissance et sa propre cruauté. (…)

2- Bien que les chrétiens aient été persécutés par l’Etat romain, leur position à son égard n’était pas radicalement négative. Ils le reconnaissaient comme un Etat et essayaient de le construire dans les limites de leurs possibilités : ils ne voulaient pas le détruire. (…) Qu’est-ce que cela signifie ? Les chrétiens n’étaient pas du tout des gens anxieux de se soumettre à l’autorité, des gens qui ignoraient l’existence possible d’un droit et d’un devoir de résistance, fondés sur la conscience. C’est précisément cette dernière vérité qui indique qu’ils reconnaissaient les limites de l’État et qu’ils ne se pliaient pas à lui là où il ne leur était pas permis de se plier, parce que cela allait à l’encontre de la volonté de Dieu. Il est donc d’autant plus important qu’ils n’aient pas cherché à détruire cet État, mais à contribuer à son maintien. L’antimorale est combattu par la morale et le mal par une adhésion ferme au bien, pas autrement. La morale, l’accomplissement du bien, est la véritable opposition et seul le bien peut préparer l’élan vers le bien. Il n’y a pas deux types de morale politique : une morale d’opposition et une morale de domination. Il n’y a qu’une morale : la morale proprement dite, la morale des commandements de Dieu, qui ne peut être mise hors jeu, même pour un temps, afin de hâter le changement des choses. On ne peut construire qu’en bâtissant, pas en détruisant : c’est l’éthique politique de la Bible, de Jérémie à Pierre et Paul.

Le chrétien est toujours un partisan de l’Etat, en ce sens qu’il accomplit ce qui est positif, ce qui est bon, ce qui maintient la cohésion des Etats. Il ne craint pas de contribuer ainsi au pouvoir des méchants, mais il est convaincu que c’est toujours et seulement le renforcement du bien qui peut abattre le mal et réduire le pouvoir du mal et des méchants. Celui qui met dans ses plans le meurtre d’innocents ou la ruine des biens d’autrui ne pourra jamais invoquer la foi. La phrase de Pierre s’oppose très explicitement à cela : ”Vous ne devez pas vous faire condamner pour des meurtres ou des crimes contre la propriété” (4:15) : ce sont des paroles, prononcées déjà à l’époque, contre ce genre de résistance. La véritable résistance chrétienne que Pierre exige a lieu quand et seulement quand l’État exige la négation de Dieu et de ses commandements, quand il exige le mal, par rapport auquel le bien est toujours un commandement. (…)

3- La foi chrétienne a détruit le mythe de l’Etat divin, le mythe de l’Etat paradisiaque et de la société sans domination ni pouvoir. Elle lui a substitué le réalisme de la raison. Mais cela ne signifie pas que la foi ait apporté un réalisme sans valeur, le réalisme de la statistique et de la pure physique sociale. Au vrai réalisme humain appartient l’humanisme et à l’humanisme appartient Dieu. À la vraie raison humaine appartient la morale, qui se nourrit des commandements de Dieu. Cette morale n’est pas une affaire privée. Elle a une valeur et une importance publiques. Il ne peut y avoir de bonne politique sans le bien d’être bon et de bien agir. Ce que l’Église persécutée a prescrit aux chrétiens comme étant le cœur de leur éthique politique doit également être l’essence d’une politique chrétienne active : ce n’est que là où le bien est fait et reconnu comme tel que peut s’épanouir une bonne coexistence entre les hommes. Le pivot d’une action politique responsable doit être de faire respecter dans la vie publique le plan de la moralité, le plan des commandements de Dieu.

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