Le contexte est la crise migratoire sans précédent (les médias français en parlent peu) qui voit l’Italie en première ligne alors que plus de 31000 migrants ont débarqué sur la péninsule depuis le mois de janvier, soit 4 fois plus que l’an dernier pour la même période. Pour y faire face, le gouvernement de Giorgia Meloni a déclaré l’état d’urgence pour au moins six mois (avec, entre autres mesures, la suppression de la « permission spéciale », introduite en 2020 afin de protéger et empêcher l’expulsion de migrants en grave condition de santé psychophysique). Selon sa technique bien rôdée, la gauche crie au fascisme, et convoque la sempiternelle accusation de racisme pour clouer au pilori le gouvernement de prétendue « extrême-droite » dirigée par Giorgia Meloni. Mais le vrai racisme n’est pas forcément celui qu’on croit, et ses origines ne sont pas toujours à l’extrême-droite…

Racismes vrais, faux et inversés

Marcello Veneziani
La Verità, 19 avril 2023

Mais quelle race de bête est le racisme ? Il y a trois ou quatre monstres bibliques qui apparaissent tour à tour dans notre vie publique pour diaboliser un camp politique (la droite et ses environs) et en relancer un autre (la gauche et ses environs). Dans le manège de ces jours-ci, le racisme revient sur le devant de la scène, tandis que le fascisme s’échauffe au bord du terrain en vue du 25 avril prochain [élections administratives partielles, ndt].

Le voyage de Meloni en Éthiopie, sa photo avec des enfants noirs, la suppression de la protection spéciale des migrants, décidée par le gouvernement, ont relancé le thème, par un nouvel artifice dialectique singulier : on prétend maintenant que les vrais racistes sont ceux qui font semblant de ne pas l’être, et même montrent de l’affection pour les « nègres » (que mon PC politiquement correct corrige mine de rien). Bref, quoi que vous fassiez, vous avez faux: si vous les ignorez, vous êtes raciste, si vous les prenez dans vos bras, vous le faites pour cacher votre racisme.

Mais laissons cette dispute stupide aux imbéciles et essayons d’avancer un argument plus sérieux et plus structuré sur le racisme.

Laissons de côté la question préliminaire de savoir si les races existent réellement ou s’il s’agit de pseudo-concepts. Je n’entrerai pas dans une question qui devrait avoir des caractéristiques scientifiques et qui n’a que des préjugés idéologiques et politiques. Et passons sous silence ce que la science atteste depuis des siècles, à savoir que les races existent, et même à vue d’œil. La science positiviste, avant tout, n’est pas liée par des canons réactionnaires ou des dogmes religieux, mais elle est généralement évolutionniste, laïque, souvent politiquement radicale et progressiste. Mais la science est une recherche et un changement continus et, par conséquent, certaines connaissances peuvent être réfutées, renversées au fil du temps. Je ne me prononce donc pas sur le sujet.

Mais pour la même raison, je me méfie de ceux qui, aujourd’hui, proclament préjudiciellement la non-existence des races, car le message idéologique et politique qu’ils veulent transmettre est transparent. Si, dans les théories raciales d’hier, il faut tenir compte du climat, de l’humus psychologique et idéologique de l’époque, du colonialisme et de la domination, dans les théories antiracistes d’aujourd’hui, il faut tenir compte des mêmes choses dans un sens inversé, au nom de l’hégémonie idéologique et du suprémacisme progressiste.

En tout cas, si la notion de race est une vérité scientifique, une évidence et non une imposture et une fabrication, elle signifie reconnaître les différences naturelles et culturelles entre les peuples et les groupes ethniques et non la supériorité ou l’infériorité de certaines races par rapport à d’autres. Elle devient racisme quand elle impose la primauté d’une race, la discrimination et la persécution d’une autre, jusqu’à l’aberration extrême de l’extermination. D’ailleurs, le seul pays à avoir inclus une clause « raciale » dans sa constitution est Israël, qui se définit comme « l’État national et souverain du peuple juif » et considère donc les non-Juifs, à commencer par les Palestiniens, comme des étrangers, des invités ou des sujets.

Cela dit, peut-on dire que l’Italie d’aujourd’hui, l’Europe d’aujourd’hui, est en proie au racisme ?

Si l’on considère les chiffres, la présence massive de millions de migrants pas seulement de couleur, avec d’autres religions ou superstitions, d’autres façons de vivre et de respecter la vie des autres ; si l’on considère les millions de jeunes déracinés qui arrivent ici sans travail, sans femme, sans conditions minimales de stabilité, à commencer par le logement, on sait que l’on vit sur une poudrière. Je dirais même que par rapport à ces lieux explosifs, il y a relativement peu de crimes commis par les migrants en termes de violence, de viol, de vol, de détournement, de troubles.

Et par rapport à cette présence massive, il y a encore moins d’épisodes d’intolérance à leur égard ou de racisme lié au refus d’accueillir des migrants, notamment des Noirs. Certes, des épisodes de grossièreté, de cohabitation difficile, de violence éclatent chaque jour, surtout dans les lieux les plus dégradés ou les espaces publics les plus fréquentés par les migrants.

L’usine médiatique ne monte que ceux dont les victimes sont des Noirs afin d’étayer la thèse du racisme. Mais la motivation raciale n’a rien à voir, ou très peu, avec ces conflits. Et de toute façon, il s’agit de petits épisodes comparés aux millions de situations de malaise qui ne sont pas imputables au mépris racial: affrontements privés, antipathies, espaces de vie piétinés, femmes bafouées, jalousies, vols, désaccords et bien d’autres choses encore. Les incidents d’intolérance raciale concernent une petite minorité d’imbéciles intégraux, non intégrés, généralement non politisés, mus par des réflexes conditionnés et par les campagnes antiracistes elles-mêmes.

Parler du racisme avec autant d’insistance, même de façon désinvolte, c’est creuser des fossés de haine, mettre le feu aux poudres sociales, diviser les peuples, les pousser à la haine de soi, jusqu’à une forme de racisme autodestructeur.

Il faut alors distinguer le racisme, qui est une forme agressive de suprématie exercée contre ceux que l’on considère comme inférieurs ou indignes d’occuper nos places, de la phobie, plus générique, qui, comme le dit le mot lui-même, naît de la peur, du malaise, de l’insécurité, et suscite des attitudes de défense, de retranchement, de fuite. La xénophobie peut aussi être ou devenir une pathologie, mais elle naît d’un réel sentiment de perte, de désorientation, d’aliénation dans son propre foyer, par rapport à ses lieux habituels. C’est un sentiment conservateur, humain et compréhensible, même s’il peut dégénérer en hostilité, surtout s’il n’est pas protégé : la peur joue parfois des tours. Mais il n’est pas juste d’assimiler ce malaise réel, existentiel et urbain, familial et social, à une haine raciste.

Aujourd’hui, le pire racisme est exercé par une minorité contre la majorité des Italiens. C’est le racisme de l’antiracisme. Aujourd’hui, le racisme le plus oppressif, le plus pratiqué, le plus envahissant est éthique et non ethnique ; c’est le racisme culturel, politique, idéologique d’une « race choisie » par opposition aux gens du peuple qui choisissent le « nostrano » (ce qui est à nous) avec leurs tripes et sont donc considérés naturaliter comme racistes.

Le racisme des antiracistes devient criminel lorsqu’ils identifient l’amour de la patrie, le lien identitaire, familial, national, religieux, avec le racisme, qui est au pire une dégénérescence. C’est comme si l’on identifiait la liberté à la violence anarchiste ; ou l’amour au viol et à la violence sexiste. On ne peut pas juger un principe, un lien ou un sentiment par ses dégénérescences.

C’est pourquoi il est absurde de maintenir des lois spéciales. Les lois ordinaires de notre code, qui punissent toutes les violences et tous les abus perpétrés sur toute personne, quelle que soit sa race, sa couleur, son âge, sa condition, suffisent. Cette idiotie vicieuse empoisonne le climat et prédispose à l’exaspération, à la haine et à la violence. Le racisme est un vomi, même chez ceux qui ont toujours à la bouche de le déverser sur les autres.

D’ailleurs, la naissance culturelle du racisme de chez nous n’a pas de matrice réactionnaire. La première théorie raciste chez nous concerne les méridionaux après l’unification de l’Italie et elle est marquée du sceau scientifique et éclairé, progressiste et socialiste. Lisez L’uomo delinquente de Cesare Lombroso qui fonde l’histoire anthropologique des Italiens sur la physionomie et l’ethnie, les bases raciales. « Toute la population du Mezzogiorno prend les connotations du délinquant atavique », écrit Lombroso qui n’était pas un réactionnaire obscurantiste mais un scientifique matérialiste et positiviste d’inspiration socialiste. Son élève Enrico Ferri, rédacteur en chef d’Avanti ! et député socialiste, affirmait que « la basse criminalité de l’Italie du Nord provenait en grande partie de l’influence celtique ». Même l’érudit et progressiste sicilien Alfredo Niceforo a écrit : « la race maudite qui peuple toute la Sardaigne, la Sicile et l’Italie du Sud devrait être traitée avec le fer et le feu – damnée à mort comme les races inférieures d’Afrique et d’Australie ». Et Giuseppe Sergi, lui-même sicilien, attribuait l’infériorité raciale des méridionaux à la différence de conformation de leur crâne. Curieux ce maso-racisme méridional… Aucun d’entre eux n’était réactionnaire, catholique, contre-réformiste ; ils étaient tous matérialistes, darwiniens, positivistes, progressistes.

Si l’humanité a une origine zoologique, comme le veut l’évolutionnisme, le racisme en est la stricte conséquence…

Et puis il y a un autre racisme encore persistant, que Pierpaolo Pasolini dénonce ici : c’est le racisme progressiste du moderne envers l’arriéré, de l’urbanisé envers le rural, du technologique envers l’archaïque.

Bref, les simplifications sur le sujet du racisme, en plus d’être fausses et spécieuses, contribuent à la société méchante, à générer des formes de racisme inversé et à remplacer les jugements par des préjugés.

L’antiracisme est aujourd’hui une évolution du racisme, un rejeton périphérique de celui-ci.

Mots Clés :
Share This