Nous en étions restée (avant la pause du jeudi de l’Ascension) à l’invraisemblable imbroglio suscité par les propos inconsidérés du Pape, de retour de Hongrie, annonçant au son des trompettes l’existence d’un plan de paix « secret » (!) du Vatican, et à la rencontre surréaliste de Z avec François . Les services diplomatiques du Vatican ont dû se démener dare-dare pour réparer la gaffe papale et éviter qu’elle ne se transforme en catastrophe pour lui, et c’est probablement le but de l’annonce du Bureau de presse du Saint-Siège, selon laquelle une mission (plus modeste, donc plus réaliste) avait été confié au « papabile » cardinal Zuppi, archevêque de Bologne et président de la CEI. Nico Spuntoni nous explique les arrière-plans.

La carte Zuppi pour l’Ukraine : objectif « apaiser les tensions »

Nico Spuntoni
lanuovabq.it
22 mai 2023

Le Saint-Siège confirme le président de la Conférence épiscopale italienne comme envoyé du pape pour lancer des « chemins de paix » entre la Russie et l’Ukraine, mais plusieurs personnalités seront impliquées dans la mission voulue par le pape François. Don Stefano Caprio et le professeur Giovanni Codevilla en expliquent les perspectives à La Bussola.

Finalement, l’annonce officielle est intervenue samedi soir avec une note du directeur de la Salle de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, dans laquelle il est annoncé que le pape a confié au cardinal Matteo Zuppi « la tâche de conduire une mission, en accord avec la Secrétairerie d’État, qui contribuera à apaiser les tensions dans le conflit en Ukraine, dans l’espoir (…) que cela puisse initier des chemins de paix ». Le porte-parole du Vatican a également précisé que « le moment d’une telle mission et ses modalités sont actuellement à l’étude ».

Ainsi, les rumeurs divulguées la semaine dernière concernant l’envoi de l’archevêque de Bologne à Kiev et de Mgr Claudio Gugerotti à Moscou dans le cadre de la mission de paix du Saint-Siège annoncée par François à son retour de Budapest ont été à moitié confirmées. Le Bureau de presse n’a en effet pas fait mention d’une affectation de l’actuel préfet du Dicastère pour les Eglises orientales, qui a d’ailleurs démenti ce scénario dans un communiqué. Pourtant, don Stefano Caprio, ancien aumônier de l’ambassade d’Italie à Moscou et professeur d’histoire et de culture russe à l’Institut pontifical oriental de Rome, a déclaré à la NBQ que Gugerotti reste une ressource à la disposition de la diplomatie du Saint-Siège dans un éventuel dialogue avec la Russie, car il est « quelqu’un qui a été nonce apostolique en Arménie et en Ukraine, qui connaît parfaitement toutes les langues et qui prendrait un moment pour parler avec n’importe qui ».

En revanche, don Caprio a une idée très précise de la mission du Saint-Siège dans le conflit ukrainien : « Il ne s’agit pas d’une solution politique stratégique et elle n’est pas confiée à une personne ou à un petit groupe qui a des contacts personnels avec quelqu’un, mais plutôt d’une mission large qui implique beaucoup de gens », a expliqué à Bussola le prêtre, qui a déjà été missionnaire à Moscou entre 1989 et 2002. Par exemple ? L’archevêque lituanien Visvaldas Kulbokas, nonce apostolique à Kiev à partir de 2021. « Il est l’un de ceux, nous a dit don Caprio, qui pourrait jouer un rôle clé, étant toujours resté dans la capitale et pour cette raison il est apprécié par les Ukrainiens, mais il est aussi celui qui a servi d’interprète entre le Pape et Cyril lors de la rencontre à Cuba en 2016, donc c’est une personne appropriée parce qu’il est connu dans un domaine et dans l’autre ».

Ce qui est sûr, pour l’instant, c’est que c’est le président de la CEI (Conférence épiscopale italienne), le cardinal Matteo Zuppi, qui conduira la mission du Saint-Siège avec l’objectif réaliste non pas de la paix mais de « l’apaisement des tensions dans le conflit ». On peut supposer que la seule référence secondaire à l’ouverture de « chemins de paix », qui plus est associés à l’espoir, est la conséquence des propos tenus à Rome par le président Volodymyr Zelensky, qui avait exclu la possibilité d’une médiation avec Moscou sous l’égide du Vatican. Cependant, si l’annonce officielle de la mission est intervenue une semaine après l’audience du président ukrainien dans la salle Paul VI, il est probable qu’à cette occasion, le pape ait arraché le nulla quaestio.

François a décidé de confier cette tâche délicate à un cardinal et non pas directement à la Secrétairerie d’État, responsable de la diplomatie pontificale. La note de Bruni précise que l’archevêque de Bologne agira « en accord avec la Secrétairerie d’État ». Ce n’est toutefois pas la première fois que la Troisième Loge est en quelque sorte « contournée » pour mener à bien des missions spéciales dans le domaine de la diplomatie. En 2003 déjà, Jean-Paul II avait demandé aux cardinaux Roger Etchegaray et Pio Laghi, déjà « retraités », de participer à la difficile mission spéciale à Bagdad et à Washington visant à éviter la guerre en Irak.

Comme à l’époque – Laghi était un ami de la famille Bush, tandis qu’Etchegaray était en bons termes avec l’adjoint de Saddam Hussein, Tarek Aziz – le choix du Pape n’a pas été fait au hasard. Le cardinal Zuppi a en effet une longue expérience de médiateur dans les conflits internationaux. Son nom est historiquement associé à la signature de l’accord général de paix à Rome, le 4 octobre 1992, qui a mis fin à la guerre civile au Mozambique. Mais son CV de médiateur comprend également des expériences au Rwanda, en Algérie et en République démocratique du Congo. Ces missions ont été réalisées au nom de la Communauté de Sant’Egidio, dont il était l’exposant et l’assistant ecclésiastique. La nomination de M. Zuppi à la tâche la plus délicate au niveau international de ces dix années de François marque donc, d’une certaine manière, une promotion papale de la méthode de diplomatie parallèle de l’organisation non gouvernementale du Trastevere.

Outre son passé de médiateur pour la Communauté, le choix de l’archevêque de Bologne a peut-être été influencé par sa position publique sur le conflit en Ukraine : pas d’ambiguïté sur la responsabilité russe dans l’agression, reconnaissance de la légitime défense de l’agressé, mais aussi un appel constant à maintenir le dialogue ouvert avec l’agresseur et à ne pas oublier la recherche de la paix comme objectif premier.
Une ligne que Kiev, sans être d’accord, ne peut contester et qui, en revanche, n’est pas indigeste pour Moscou. Car il est clair qu’une mission appelée à tenter d’apaiser les tensions dans le conflit ne peut ignorer la Russie.

Les relations russo-vaticanes n’ont pas disparu mais ont été momentanément gelées, mais elles pourraient s’avérer utiles notamment pour les efforts humanitaires mentionnés dans l’entretien entre Zelensky et le Pape en référence surtout au retour des enfants ukrainiens. Sur ce dernier dossier, comme l’a expliqué don Caprio à La Bussola, un rôle important pourrait être joué par la communauté et les hiérarchies catholiques en Russie. L’activisme du Saint-Siège pourrait-il rapprocher la réalisation d’un voyage de François dans les capitales impliquées dans le conflit ? Don Caprio considère qu' »un voyage de François à Moscou est actuellement très improbable », alors que « si tout se passe bien, il pourrait rencontrer Cyril dans un lieu neutre ».

Giovanni Codevilla, professeur associé de droit ecclésiastique comparé et de droit des pays socialistes à l’Université de Trieste, est également pessimiste quant à cette perspective. Il confie à Bussola qu’il a « de forts doutes parce que le Pape devrait aller à la fois à Kiev et à Moscou, mais s’il allait d’abord en Ukraine, les Russes feraient la grimace ». Pour Codevilla, derrière la décision de Bergoglio de lancer cette mission, il y a « le désir d’éviter une nouvelle effusion de sang, et non la préoccupation de l’aspect œcuménique, parce que l’œcuménisme avec le Patriarcat de Moscou est toujours une voie à sens unique ».

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