(Magister, Gagliarducci) Dans son billet du 31 mai 2023, Sandro Magister, sous le titre « Le Pape François, monarque de droit divin », analyse la nouvelle « Loi Fondamentale de l’Etat de la Cité du Vatican » [c’est-à-dire, en termes profanes, la Constitution] , sortie le 14 mai dernier, presque en catimini car éclipsée par l’impact de la visite de Zelensky au Pape. Le sous-titre est plus explicite: « Ce qu’aucun pape n’avait osé faire avant lui ». Un comble, pour un pontife qui a fait de la collégialité et de la synodalité son cheval de bataille. En substance:

Le véritable revirement se trouve dans le préambule, lui aussi signé par le Pape François, qui commence ainsi :

« Appelé à exercer en vertu du munus pétrinien les pouvoirs souverains également sur l’État de la Cité du Vatican… ».
C’est ce « en vertu du munus pétrinien » qui constitue la nouveauté sans précédent.

C’est-à-dire le fait de faire découler les pouvoirs temporels du Pape de son service religieux rendu à l’Église en tant que successeur de l’apôtre Pierre. Ou pour le dire autrement : de considérer comme étant de droit divin non seulement le gouvernement spirituel de l’Église mais également le gouvernement temporel de l’État de la Cité du Vatican.

*

(traduction en français par Diakonos)

L’article est évidemment à lire en entier.

Non moins intéressant, le billet d’Andrea Gagliarducci qui élargit la réflexion de SM, voyant dans cette révision de la Constitution de l’Etat de la Cité du Vatican la dernière illustration (dernière en date!) d’un processus dangereux de mélange des genres, qu’il qualifie de « vaticanisation du Saint-Siège » et qui voit la Chaire de Successeur de Pierre de plus en plus absorbée (pour ne pas dire phagocytée) par l’Etat de la Cité du Vatican, qui n’est au départ qu’un simple outil destiné à donner aux Papes les outils profanes nécessaires pour accomplir sa mission

Le pape François et la vaticanisation du Saint-Siège

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-and-the-vaticanization-of-the-holy-see

Ce qui se passe sous le pape François semble être un processus de « vaticanisation du Saint-Siège ». Il s’agit d’une sorte de révolution copernicienne, qui renverse de facto un principe fondamental. L’État de la Cité du Vatican a en effet été conçu comme étant au service du Saint-Siège, son existence garantissant une souveraineté qui n’est pas qu’une formalité. Mais le pape François a rendu l’État toujours plus central par une série de décisions qui ne sont qu’apparemment marginales. Des décisions qui ont renversé la perspective et qui font de l’État l’entité centrale, le Saint-Siège étant obligé de suivre.

Une « vaticanisation du Saint-Siège » a commencé à être perçue lorsque le pape François a décidé d’intervenir dans le procès sur la gestion des fonds de la Secrétairerie d’État avec quatre rescrits qui, de fait, ont changé les règles du processus alors que celui-ci était en cours. Le pape, bien sûr, a le pouvoir de le faire, étant le souverain et l’organe législatif suprême. En même temps, les papes ne l’ont jamais fait, précisément pour éviter que l’État ne devienne plus important que l’entité internationale.

En effet, que se passerait-il si le Saint-Siège se retrouvait dans un forum international défendant les droits de la défense face à un système judiciaire qui change les lois pendant que les procès sont en cours ? Quelle crédibilité aurait le Saint-Siège à signer des traités internationaux si ces traités sont ensuite ignorés, au moins dans leur principe général ou dans leur application ?

Nous sommes face à des actions qui, bien que répondant à une logique interne, ont des conséquences internationales qu’il ne faut pas sous-estimer. Il s’agit de réformes qui, comme toutes celles du pape François, ont des ramifications au-delà des frontières de l’État de la Cité du Vatican.

Les nouveaux statuts de la Financial Intelligence Authority (l’Autorité de renseignement financier) en sont un exemple. Publiés en 2020, les statuts ont changé le nom de l’autorité en Financial Intelligence and Supervision Authority et ont donné plus de centralité au rôle du président. Mais les statuts ont été conçus avec un président dans le rôle de garant, précisément pour éviter que le président ne doive agir comme un deus ex machina, et que les membres du conseil d’administration aient d’autres activités externes sans encourir de conflits d’intérêts.

Au niveau européen, et en particulier contre le blanchiment d’argent, la nouvelle législation judiciaire du Vatican, qui annule la réforme précédente et permet à tous les juges et promoteurs de justice du Vatican de travailler à temps partiel, pourrait également susciter des inquiétudes. Cette décision crée une situation particulièrement difficile. C’est comme si un procureur aux Etats-Unis était en même temps avocat en France. Et en effet, la loi avait été mise à jour pour qu’au moins un des juges et un des promoteurs travaillent à temps plein pour l’Etat de la Cité du Vatican. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Dans un crescendo de réformes de ce type, qui ne semblent pas prendre en compte la spécificité de l’Etat de la Cité du Vatican et du Saint-Siège, la promulgation quasi soudaine de la nouvelle Loi Fondamentale de l’Etat de la Cité du Vatican apparaît comme un pas de plus dans cette direction.

La dernière loi fondamentale avait été approuvée par Jean-Paul II en 2000 et avait un objectif précis : reconnaître que l’engagement du pape avait une dimension universelle, différente de celle d’un monarque d’un État, et que les devoirs de l’État, les pouvoirs pourrait-on dire, étaient laissés à une commission, composée de cardinaux parce qu’ils étaient sur un pied d’égalité avec le pape et partageaient un même niveau de pouvoirs gouvernementaux.

La loi fondamentale de Jean-Paul II reflète un parcours de retrait progressif de la figure du Pape des tâches de gestion ordinaire. Ce chemin a commencé en 1939 avec Pie XI, qui est passé d’une gestion faite avec l’aide d’un gouverneur à celle d’une commission de cardinaux. Ensuite, Jean-Paul II a confié ses prérogatives à la Secrétairerie d’État en 1984, jusqu’à ce qu’il promulgue la nouvelle loi fondamentale en 2000.

Mais avec le pape François, on semble revenir à un rôle central d’un pape qui détient seul les pouvoirs et qui ne fait que déléguer des fonctions à d’autres. Et ce n’est pas tout. Les fonctions gouvernementales sont confiées à une commission, mais pas composée uniquement de cardinaux, en application du principe selon lequel c’est spécifiquement la mission qui donne l’autorité, comme l’établit la constitution apostolique Praedicate Evangelium.

Mais il ne s’agit pas tant de l’inclusion des laïcs, hommes et femmes, dans les structures de gouvernement.

La nouvelle loi fondamentale élimine toute référence à la Secrétairerie d’État, à l’exception d’une seule, centralise tout sur la figure du pape et souligne que

l’État de la Cité du Vatican assure l’indépendance absolue et visible du Saint-Siège pour l’accomplissement de sa haute mission dans le monde et garantit sa souveraineté indiscutable également dans l’arène internationale.

En pratique, la loi établit la nécessité pour l’État de garantir l’indépendance du Saint-Siège. Dans les faits, cependant, le Saint-Siège a joui de l’indépendance et de la souveraineté même sans État et sans territoire. Cela s’est produit lorsque Rome a été conquise et annexée au Royaume d’Italie en 1871, décrétant ainsi la fin des États pontificaux. Le Saint-Siège continua cependant d’exister, d’entretenir des relations internationales et d’échanger des ambassadeurs. Il suffit de dire que, pendant le pontificat de Benoît XV, qui a duré de 1914 à 1922, le Saint-Siège a ouvert des relations diplomatiques avec dix États différents, étendant ainsi son réseau diplomatique de 17 États au début du pontificat à 27 à la fin du pontificat.

La nouvelle loi fondamentale explicite le rôle de l’État, qui n’est plus un « moyen » pour le Saint-Siège, mais même une garantie de souveraineté. Elle inclut également les représentants du gouvernorat, jusqu’alors absents dans les relations internationales. Elle met sur la touche la Secrétairerie d’État, qui était plutôt l’intermédiaire entre l’appareil d’État et le Saint-Père, et redonne ainsi une place centrale à la figure du Pape.

En effet, en 1929, il était prévu que le pouvoir législatif soit exercé directement par le pape, c’est-à-dire par le souverain, avec la possibilité de « déléguer le pouvoir législatif pour certaines matières ou pour des objets particuliers au gouverneur de l’État ».

La loi fondamentale de 2000 a plutôt établi que c’est la Commission pontificale qui exerce directement le pouvoir, à l’exception des cas où le pontife se le réserve pour lui-même ou pour d’autres fonctions.

Aujourd’hui, cependant, le pape revient au centre, et son rôle de chef d’État est notablement mis en avant. Cette réforme rapproche peut-être l’État de la Cité du Vatican d’un État moderne, mais l’éloigne de son objectif naturel et principal.

Ce qui se passe avec le pape François est, en somme, une sorte de révolution copernicienne dans la manière de percevoir l’État de la Cité du Vatican. L’État n’est plus un organe fonctionnel du Saint-Siège, mais dans certains cas, il devient même l’organe qui domine le Saint-Siège. Les règles de l’État, qui est une monarchie absolue et patrimoniale, peuvent mettre en péril la « diplomatie des valeurs » du Saint-Siège. Ce serait le contraire de ce que souhaitait Jean-Paul II, à savoir défendre cette « diplomatie des valeurs », en rendant la figure du pape moins centrale dans les situations de gouvernement.

On a souvent parlé du travail de centralisation du pape François, qui va au-delà de la propagande synodale et collégiale. Mais entre-temps, le pape François a réalisé une autre réforme, celle de l’État. Mais si le Saint-Siège perd de son importance et de sa centralité, qu’en sera-t-il de sa diplomatie ? Et quel sera son rôle réel sur la scène internationale ?

Le risque est de déconstruire un travail effectué depuis des millénaires. Peut-être que certains problèmes seraient résolus. Bien sûr, cela en créerait beaucoup d’autres.

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