L’application d’intelligence artificielle Chat Gpt (j’en parlais ici il y a déjà quatre mois, soit une éternité en termes de technologie) devrait sans doute être LE sujet de préoccupation de nos contemporains, bien au-delà et bien avant les soucis contingents, comme l’âge de la retraite, le climat, l’immigration…, qui monopolisent pourtant toute leur attention, Les perspectives qu’il ouvre pour le futur de l’humanité sont vertigineuses, et c’est sans doute la raison pour laquelle il tombe littéralement dans l’indifférence générale, les gens ayant l’impression, probablement justifiée, que cela les dépasse. Marcello Veneziani, lui, pense que ce qui nous attend est si grave qu’il faudrait peut-être envisager de l’arrêter. Le débat est ouvert.

Devrions-nous arrêter l’intelligence artificielle ? Je ne l’ai jamais pensé auparavant, mais maintenant je le pense. Ce sera difficile, l’histoire de l’humanité dit que ce qui est interdit aujourd’hui sera violé demain, si ce n’est par nous, par d’autres. Ce que vous ne voulez pas vivre aujourd’hui, vous le vivrez demain.

Le mot clé dans tout cela est un : le remplacement. Pas seulement le remplacement ethnique, pas seulement la gestation pour autrui, mais le remplacement de l’être humain, à tous les niveaux. La première menace globale pour notre vie sur terre n’est pas le climat, la pollution, la guerre, mais le remplacement.

Le remplacement de l’Humain

www.marcelloveneziani.com/articoli/la-sostituzione-dellumano/

J’ai assisté en direct à une expérience incroyable, qui rend superflu tout ce que l’homme pense, fait, dit, à commencer par ce que je fais en ce moment, écrire.

Donc, un ami m’avoue qu’il utilise Chat Gpt cette application d’intelligence artificielle dont on raconte un jour sur deux toutes les gloires et toutes les horreurs ; un jour admise, un autre bannie, puis réadmise, comme il arrive toujours quand il y a censure.

Mon ami a eu une idée qui me concerne directement et veut la soumettre au Premier ministre Giorgia Meloni. Il demande à son smartphone de plaider sa cause (que je désapprouve). Il n’a pas le temps de formuler sa demande qu’un miracle apparaît sur la vidéo : une lettre argumentée, informée, pertinente, écrite en bon italien, qui concrétise son intention avec une foule de données qu’un ghost writer, un assistant ou une secrétaire, n’aurait jamais pu formuler, même après des recherches.

Bien sûr, pour un œil critique plus attentif, on peut « démasquer » l’automate dans quelques fexpressions plutôt génériques, que l’on peut adapter à de nombreuses situations, une fois que l’on a saisi l’orientation que l’on veut donner à sa lettre. Mais personne n’aurait pu mieux rendre son idée.

Comment est-il possible qu’une application mathématique puisse non seulement vous donner des résultats mathématiquement exacts, mais aussi se traduire en littérature, en communication, en sélection de sujets et en nouvelles ? C’est renversant.

Jusqu’à hier, nous en étions restés à Aristote qui entrevoyait un avenir dans lequel les esclaves seraient licenciés, affranchis ou mis au chômage, selon le point de vue, par des machines, des métiers à tisser qui fonctionneraient automatiquement ou des grues qui soulèveraient des poids insoutenables pour l’homme. Le travail manuel serait remplacé par des machines et les hommes pourraient se consacrer à des activités théoriques, contemplatives, artistiques, récréatives et rituelles.

Nous savons qu’il n’en a rien été, le temps libéré n’est pas du temps précieux mais du temps perdu, dissipé ; la paresse, les mauvaises habitudes et autres esclavages se développent. L’oisiveté ne se transforme pas en l’otium [terme latin qui recouvre ce qui touche au temps libre, sous un angle positif; cf. fr.wikipedia.org/wiki/Otium] classique, mais en père des vices. Toutefois, la sphère intelligente de l’homme a été préservée, elle n’a pas été submergée ou reproduite par des processus automatiques générés par des machines.

Nous sommes maintenant dans la phase suivante. L’application réussit à remplacer la recherche, la culture, l’effort intellectuel. Et sur le plan social, elle rend superflu non pas le travail des esclaves, comme on le pensait hier encore d’Aristote à Marx, mais le travail intellectuel. Pourra-t-on jamais juger les thèses et les recherches si l’on sait qu’elles peuvent résulter d’une simple question posée au techno-cerveau artificiel ? À quoi serviront les chercheurs, les attachés de presse et de communication, les journalistes et toutes sortes d’autres personnes si tout peut être obtenu en temps réel, dans une version large, à un niveau élevé ?

Je pourrais citer des territoires encore vierges, où l’esprit critique, la créativité, l’originalité sont nécessaires, mais cette prémisse que j’ai posée par honnêteté en dit long sur le fait que ce que mon ami me montre aujourd’hui était impensable hier encore, et qu’il pourrait en être de même demain dans d’autres domaines. Un recul continuel, une augmentation exponentielle des pouvoirs magico-technologiques auxquels correspond une diminution très rapide des facultés intellectuelles de l’homme. La technique progresse, l’humain recule.

Le mot clé dans tout cela est un : le remplacement. Pas seulement le remplacement ethnique, pas seulement la gestation pour autrui, mais le remplacement de l’être humain, à tous les niveaux. La première menace globale pour notre vie sur terre n’est pas le climat, la pollution, la guerre, mais le remplacement.

Quand toucherons-nous le point de non-retour, c’est-à-dire le moment où ce ne sera plus nous qui ferons ou ne ferons pas, qui déciderons, qui dirigerons, où nous ne pourrons plus empêcher, interdire, arrêter, revenir en arrière ? Nous ne le savons pas, mais c’est très proche et quand cela arrivera, nous n’en serons plus conscients.

Devrions-nous arrêter l’intelligence artificielle dans ces domaines ? Je ne l’ai jamais pensé auparavant, mais maintenant je le pense. Ce sera difficile, l’histoire de l’humanité dit que ce qui est interdit aujourd’hui sera violé demain, si ce n’est par nous, par d’autres. Ce que vous ne voulez pas vivre aujourd’hui, vous le vivrez demain.

Pourtant, une autre comparaison s’impose: la technologie devient non seulement un outil prodigieux et salutaire pour mille choses, que nous bénissons chaque jour, mais aussi un moyen de destruction. Comme la bombe atomique, elle devient une arme mortelle dont il faut avoir le courage de négocier le désarmement. Ce n’est pas beau, peut-être même pas humain, mais c’est nécessaire. Même d’éminents magiciens de l’intelligence artificielle, opérateurs repentis, le disent.

Mais avant d’atteindre ce point de non-retour, que reste-t-il d’humain ? Le début [l’innizio], l’initiative, l’initialisation. Je traduis : si mon ami n’avait pas été là, s’il n’avait pas donné cette impulsion à son smartphone, s’il n’avait pas eu cette idée et pris cette initiative, en utilisant un instrument encore composé, assemblé, initialisé, vendu par des humains, rien de tout cela ne serait arrivé.

Il y a donc un premier moteur qui est humain.

Ce que l’automate n’a pas réussi à générer jusqu’à présent, c’est ensuite l’originalité, l’esprit critique et autocritique, le conatus originel, l’inspiration poétique, la faculté visionnaire et métaphysique, la déviation de la pensée non-conforme, non-conventionnelle. La foi.

La machine ne s’autocrée pas, ne s’autodétermine pas, ne cherche pas et n’agit pas « toute seule ». Il y a un mouvement initial, une force originelle et mystérieuse. Je l’étudie, je préfère rester dans le mystère, je ne veux pas le livrer au plagiat artificiel. En tout cas, la différence entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle, c’est que la première a en elle le principe de sa vie, de son action, de sa finalité, alors que l’artificielle ne l’a pas. Du moins jusqu’à présent. Si et quand ce principe sera surmonté, l’humanité sera bel et bien finie.

Mais pour paraphraser Épicure [ndt: dans la « Lettre à Ménécée », pourquoi il ne faut pas craindre la mort – la mort, n’est rien pour nous, étant donné précisément que, quand nous sommes, la mort n’est pas présente; et que, quand la mort est présente, alors nous ne sommes pas], tant que nous sommes là, elle n’est pas, quand elle sera là, nous n’y serons plus.

MV
La Verità – 3 juin 2023

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