Avec le ton ironique et légèrement condescendant qui le caractérise, le vaticaniste américain nous livres ses spéculations intellectuelles sur le limogeage du secrétaire de Benoît XVI, en particulier la pertinence du « coup » du rusé Pape jésuite (je cite!) et les conséquences qu’il pourrait avoir sur le « chemin synodal » et plus largement sur l’Eglise en Allemagne.

La décision du pape a des conséquences non seulement pour Gänswein, mais aussi pour l’Allemagne

John Allen
cruxnow.com
22 juin 2023

Le communiqué laconique de deux lignes publié par le Vatican le 15 juin, annonçant que le pape François avait décidé de renvoyer l’archevêque Georg Gänswein dans son diocèse d’origine sans aucune indication de nouvelle affectation, a été largement interprété comme une rebuffade papale à l’égard du prélat allemand de 66 ans.

En effet, cette décision fait de Mgr Gänswein l’évêque catholique au chômage le plus célèbre du monde. Un journaliste politique italien a résumé le message du pape de la manière suivante à la télévision nationale: « J’ai peut-être un genou en compote [ndt: c’est un euphémisme!!!], mais par Dieu, je suis toujours en charge ».

C’est une lecture tout à fait raisonnable des événements, puisque Gänswein s’est lui-même transformé en paratonnerre en publiant un livre révélateur après la mort de son mentor, le pape Benoît XVI, ainsi qu’en accordant une série d’entretiens aux médias, qui ont tous mis en lumière les différentes façons dont il s’est trouvé en désaccord avec la papauté de François.

Gänswein est maintenant prêt à retourner dans l’archidiocèse de Fribourg, où il a été ordonné en 1984. C’est peut-être une petite faveur pour le conservateur Gänswein, étant donné que l’archevêque Stephan Burger fait partie de la minorité d’évêques allemands opposés à la bénédiction des unions de même sexe et favorables au maintien du célibat pour les prêtres.

Il est en effet frappant de constater que François ne s’est pas embarrassé de la manœuvre habituelle pour sauver la face, consistant à trouver un rôle officiel pour Gänswein, aussi nominal soit-il. Si les détracteurs du souverain pontife peuvent simplement mettre cela sur le compte de la vindicte, d’autres se sont interrogés sur la sagesse de cette démarche, qui consiste à garder ses amis près de soi et ses ennemis encore plus près.

Pourquoi François n’a-t-il lié Gänswein un peu plus étroitement à son autorité, en le plaçant dans un rôle qui exigerait au moins un certain degré de discrétion ?

Dans cette optique, il est intéressant de réfléchir aux implications du renvoi de l’héritier de Benoît XVI dans un pays dont la culture catholique interne est sans doute l’une des plus progressistes au monde, comme en témoigne la très controversée « voie synodale », et ce sans aucune contrainte qui l’obligerait à ménager ses effets.

Mettons entre parenthèses pour un moment la question de savoir dans quelle mesure cela était intentionnel de la part du pape François, et concentrons-nous uniquement sur les conséquences probables.

Pour commencer, Gänswein revient en Allemagne en tant que gardien de facto de la flamme de la mémoire du pape Benoît XVI, le premier pape allemand depuis un millénaire, à un moment où l’Église allemande semble presque systématiquement déterminée à défaire son héritage.

Au cours de son « chemin synodal », l’Église allemande a défié les feux jaunes répétés du Vatican, adoptant des mesures telles que la bénédiction des unions homosexuelles avant le processus synodal du pape François. En fait, les Allemands semblent avoir adopté la stratégie traditionnelle consistant à tenter d’influencer les négociations en créant des faits sur le terrain.

Même si François est irrité par tout cela, il n’en reste pas moins que les prélats allemands ont été des soutiens clés du pontife à plusieurs moments importants, notamment lors de ses synodes controversés sur la famille – l’impulsion initiale pour ouvrir la communion aux divorcés remariés, par exemple, est venue du cardinal allemand Walter Kasper, et est un fruit de l’expérience pastorale de l’Église allemande.

En outre, en raison du système d’imposition des églises en Allemagne, l’Église allemande dispose de vastes ressources et maintient parfois presque à elle seule les églises locales à flot dans certaines parties de ce qui était autrefois considéré comme un territoire de mission. Personne ne comprend mieux cela, probablement, que le premier pontife de l’histoire issu du Sud.

Gänswein entre donc en scène à un moment où le pape ne semble pas vouloir d’une confrontation totale avec l’Allemagne, mais n’est peut-être pas non plus entièrement ravi de sa philosophie de « faire cavalier seul ».

Bien sûr, François aurait pu renvoyer Gänswein chez lui en tant qu’évêque diocésain – les archevêchés de Paderborn et de Bamberg sont actuellement vacants -, ce qui aurait été assez facile à faire. Selon toute probabilité, François ne voulait pas donner l’impression de récompenser quelqu’un qu’il considère comme ayant créé un embarras public au moment de la mort de Benoît.

Cependant, le renvoyer sans un tel rôle aurait pu faire de Gänswein une source encore plus redoutable de résistance au consensus libéral dominant de l’Église allemande. En tant que membre de la conférence épiscopale, Gänswein aurait pu être influencé par l’éthique du « gentleman’s club » pour tenir sa langue.

En l’état actuel des choses, il est un agent libre, et un agent doté d’un énorme mégaphone.

Et maintenant, la question à 64 000 dollars : S’agit-il de ce que le pape François avait à l’esprit ou d’une illustration ironique de la vieille règle : « Prenez garde à ce que vous souhaitez, car vous l’obtiendrez sûrement » ?

Tout d’abord, nous ne devrions probablement pas exclure que François ait effectivement envisagé les implications du renvoi de Gänswein dans ces circonstances. N’oublions jamais que sous ses dehors humbles et simples se cache l’esprit d’un politicien jésuite extrêmement rusé, et la perspective de repousser un ennemi perçu comme tel et de créer en même temps un nouveau ralentisseur dans l’Église allemande peut donc avoir été attrayante.

Deuxièmement, et peut-être plus important encore, l’intention de François n’a pas vraiment d’importance.

Le fait est que, comme les anciens secrétaires pontificaux avant lui, Gänswein considérera probablement qu’il est de son devoir d’entretenir l’héritage de son pape. Dans le catholicisme allemand d’aujourd’hui, ce faisant, il injectera inévitablement une voix nouvelle et alternative dans les débats du pays.

Dans cette optique, voici ce qu’il en est : un comité transitoire de 74 personnes, clercs et laïcs, examine actuellement la création d’un conseil synodal allemand permanent dans le sillage de la voie synodale, et doit achever ses travaux dans trois ans.

Bien qu’il soit difficile de dire ce qui pourrait résulter de cet exercice, une chose semble certaine : le débat allemand devrait être beaucoup plus intéressant avec Gänswein… et, pour le meilleur ou pour le pire, François sera le pape qui l’y aura placé.

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