La nouvelle de la nomination de Tucho Fernandez à la tête de la DDF a éclipsé tout le reste, et pourtant l’autre « grosse » nouvelle du week-end dernier, le départ de Mgr Gänswein du Vatican et son transfert à Fribourg-en-Brigsau, mérite aussi qu’on s’y attarde, car il s’agit à mon avis d’un évènement très significatif, la preuve visible de la rupture Benoît/François, qui vient de se concrétiser de manière éclatante avec l’arrivée de Fernandez à la doctrine. Pour ceux qui ne se souviendraient pas de tous les détails, il est utile de lire le compte-rendu, très partial, voire factieux, du vaticaniste d’un quotidien d’extrême-gauche, qui dit pourtant (si l’on lit entre les lignes) des choses très intéressantes – mélangées à des insinuations tellement caricaturales et même des mensonges tellement éhontés que personne de sensé ne peut les croire – et d’autant moins un vaticaniste chevronné comme ce Grana.

« Une humiliation devant le monde » : paroles de Padre Georg lors de sa dernière audience avec le pape.

Et il prévoit de poursuivre la confrontation depuis Fribourg.

www.ilfattoquotidiano.it
Francesco Grana
3 juillet 2023

« Une humiliation devant le monde ». C’est ainsi que l’archevêque Georg Gänswein, préfet émérite de la Maison pontificale et surtout ancien secrétaire de Benoît XVI, a répliqué au pape François quand, lors d’une audience privée le 19 mai 2023, il lui a fait part de sa décision de le renvoyer dans son archidiocèse d’origine, Fribourg-en-Brisgau, sans aucune affectation. Le prélat a déjà quitté le Vatican et pris un appartement au Collège Borromée. Impensable, du moins pour l’instant, toute mission pastorale qui lui serait confiée par l’archevêque de Fribourg-en-Brisgau, Mgr Stephan Burger, qui a manifestement reçu des instructions précises du Saint-Siège. Bergoglio s’est montré inflexible face aux arguments de Gänswein qui, immédiatement après la mort du pape émérite, l’a attaqué durement à plusieurs reprises dans ses mémoires Nient’altro che la verità écrits à quatre mains avec le vaticaniste Saverio Gaeta, et dans de nombreuses interviews. François a expliqué à l’ancien préfet de la Maison pontificale que les humiliations, en particulier dans la vie d’un prêtre, font beaucoup de bien car elles aident à grandir spirituellement.

D’ailleurs, Bergoglio a tout de suite été très clair :

« Je crois que la mort de Benoît a été instrumentalisée par des gens qui veulent apporter de l’eau à leur moulin. Et les gens qui, d’une manière ou d’une autre, instrumentalisent quelqu’un d’aussi bon, d’aussi « à Dieu » presque, je dirais, un saint père de l’Église, ces gens-là n’ont pas d’éthique, ce sont des gens de parti, pas des gens d’Église. Ces choses tomberont d’elles-mêmes, ou certaines ne tomberont pas et continueront, comme cela s’est produit dans l’histoire de l’Église. Mais je voulais dire clairement qui était le pape Benoît, ce n’était pas une personne amère ».

Un affrontement à distance qui a cependant connu trois face-à-face assez houleux en autant d’audiences privées accordées par le pape à Gänswein : le 9 janvier, quatre jours seulement après les funérailles de Benoît XVI, le 4 mars et, enfin, le 19 mai pour la communication de la décision finale. La décision a ensuite été rendue publique par le Bureau de presse du Saint-Siège :

« Le 28 février 2023, S.E. l’archevêque Georg Gänswein a terminé sa mission en tant que préfet de la Maison pontificale. Le Saint-Père a ordonné que l’archevêque Gänswein retourne dans son diocèse d’origine, pour le moment, à partir du 1er juillet ».

Un autre argument utilisé auprès de Bergoglio par le prélat, à savoir qu’il aurait souhaité un poste au sein de la Curie romaine, n’a pas non plus été retenu. En effet, il venait de quitter le monastère Mater Ecclesiae, la résidence choisie par Benoît XVI pour son emeritat, pour s’installer dans un appartement de 300 mètres carrés [on le saura!! mais cet appartement, il devait le partager avec les memores!] au quatrième étage de Santa Marta Vecchia, toujours au Vatican, emportant avec lui des meubles et d’autres objets, dont beaucoup appartenaient à Ratzinger [!!!!]. Un geste que l’ancien secrétaire du pape émérite, comme il l’a répété à François n’aurait pas fait s’il avait su qu’il devrait quitter le plus petit État du monde pour retourner en Allemagne peu de temps après.

Mais Gänswein est allé plus loin, expliquant au souverain pontife qu’il était peu probable qu’il trouve dans l’archidiocèse de Fribourg-en-Brisgau un appartement capable de contenir tout le mobilier en sa possession. Un argument qui a amplifié l’irritation de François qui, comme on le sait, dès son élection, a choisi de vivre dans un deux-pièces d’à peine 70 mètres carrés au deuxième étage de la Casa Santa Marta, comme un simple visiteur de passage au Vatican, refusant le grand appartement pontifical situé dans la troisième loggia du Palais apostolique. D’où l’invitation de Bergoglio à Gänswein de se débarrasser au plus vite de tous ces biens matériels.

Après la mort du pape émérite, le prélat, qui a été le secrétaire de Ratzinger pendant dix-neuf ans, de 2003, alors qu’il était encore cardinal préfet de l’ancienne Congrégation pour la doctrine de la foi, aujourd’hui Dicastère, jusqu’à sa mort le 31 décembre 2022, n’a jamais caché sa déception et son ressentiment face à la manière dont il a été congédié par François en janvier 2020.

Gänswein explique:

Pour être précis, je suis resté préfet de la Maison pontificale parce que j’avais été nommé par le pape Benoît en vue de la démission. Toutes les nominations au Vatican sont faites pour cinq ans. Ensuite, de 2012 à 2017, le pape François m’a prolongé de cinq ans. Après, ce serait un peu long à expliquer. En janvier 2020, il m’a dit : « Ecoute, tu restes maintenant à l’entière disposition du pape Benoît. Ne retourne plus au travail, tu restes formellement préfet de la Maison pontificale, mais consacre-toi totalement au pape Benoît ». Je lui ai dit : « Oui, mais ça, je l’ai déjà fait les autres années ». « Oui, mais maintenant seulement pour le pape Benoît ». « Faire cela, pour moi ce n’est pas compréhensible, mais si vous le voulez, j’obéirai certainement ». « Oui, c’est ma volonté ». « Alors, par obéissance, j’accepte ». Et cela jusqu’au 31 décembre 2022.

Gänswein, après la mort de Benoît XVI, était convaincu que François lui confierait la responsabilité d’une nouvelle charge, malgré les attaques contre le pape contenues dans ses mémoires et dans de nombreuses interviews données ces derniers mois. Dans l’une d’entre elles, le prélat est même allé jusqu’à déclarer :

« Je crois que pas mal de cardinaux auraient bien vécu si Angelo Scola avait été pontife »,

expliquant que pour un cardinal, bien vivre un pontificat « signifie se sentir en phase non seulement extérieurement, mais aussi intérieurement ».

« Bien sûr », avait déclaré Gänswein peu après la mort de Ratzinger, « j’attends maintenant une autre mission, ce que le pape François voudra bien me donner, ce que j’accepterai certainement. Il est le pape. Je suis son fils évêque qui acceptera ce qu’il veut me donner. Je le vois et je le prends comme la volonté de la providence à travers l’évêque de Rome, à travers le pape François. Moi aussi, je suis curieux. Je ne cache pas que je suis curieux de savoir quand et ce qu’il me dira. Tout ce que je peux faire, c’est attendre ».

Et d’ajouter :

« J’espère que le pape François me fait confiance, j’espère que je n’ai pas donné de raison de ne plus lui faire confiance ».

Mais Bergoglio n’est manifestement pas de cet avis.

Face aux accusations répétées de l’ancien secrétaire de Ratzinger, le pontife avait d’ailleurs tenu à clarifier ses relations avec son prédécesseur direct :

« Je voudrais dire que j’ai pu parler de tout avec le pape Benoît, échanger des opinions, et il a toujours été à mes côtés, il m’a soutenu ; et s’il avait des difficultés, il me le disait et nous en parlions et il n’y avait pas de problèmes. J’ai parlé une fois du mariage des homosexuels, du fait que le mariage est un sacrement et que nous ne pouvons pas faire un sacrement, mais qu’il y a la possibilité de garantir la propriété par le droit civil – cela a commencé en France, je ne me souviens plus comment cela s’appelle – ; toute personne peut faire une union civile, pas nécessairement un couple, les vieilles dames à la retraite font une union civile… et ainsi de suite. Puis une personne, qui se prend pour un grand théologien, par l’intermédiaire d’un ami du pape Benoît, est allée le voir et m’a dénoncé. Benoît n’a pas eu peur, il a appelé quatre cardinaux théologiens de haut niveau et leur a dit : « Expliquez-moi cela », et ils l’ont expliqué. Et c’est ainsi que l’histoire s’est terminée. Il s’agit d’une anecdote qui montre comment Benoît a agi lorsqu’il y a eu une plainte. Certaines des histoires que l’on raconte, selon lesquelles Benoît était amer à l’égard de tel ou tel nouveau pape… sont des « histoires chinoises ». Au contraire, Benoît je l’ai consulté pour certaines décisions à prendre et il était d’accord ».

Dans les palais sacrés, certains pensent que Gänswein ne restera pas non plus silencieux à l’avenir et que l’affrontement avec François ne fait que commencer.

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