Reprise. Encore un souvenir des JMJ de 2011 à Madrid. J’ai retrouvé un article craquant d’AM Valli, qui suivait le Pape comme envoyé de la télévision italienne et qui dressait en même temps qu’un « portrait » de circonstance de Benoît XVI, une « sociologie » des jeunes présents à la rencontre (j’ignore si les choses ont changé depuis).
La belle jeunesse
Aldo Maria Valli
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Ils sont beaux, gentils, soignés, joyeux mais pas vulgaires, gais mais pas inconscients, dévots mais pas bigots. Ils ont des visages propres, des regards brillants. D’où sortent ces jeunes des Journées Mondiales de la Jeunesse 2011?
Il serait facile de répondre qu’ils viennent des paroisses, des divers groupes et mouvements religieux, des mille expressions de l’archipel de la jeunesse catholique.
Mais la question appelle des réponses plus profondes. De quel monde sortent-ils, de quelle culture, de quelle formation, de quelles familles? On parle tellement de fragmentation intérieure, de pensée faible, de pauvreté intellectuelle, d’apathie et de manque de maturité, et puis on se trouve face à des jeunes totalement différent. Ils prient beaucoup, mais ils ne renoncent pas à penser. Il font la queue sous le soleil pour aller se confesser, mais ils n’ont pas les visages tirés des pénitents de profession. Ils parlent de chasteté et de fidélité, mais ils ne se comportent pas comme des bigots et on voit des garçons et des filles qui se tiennent la main et s’embrassent sans aucune gêne.
Pour quelqu’un qui vit les JMJ du point de vue des médias, et particulièrement de ce media intrusif qu’est la télévision, on est frappé de leur maîtrise de la caméra. Ils répondent avec naturel à chaque question (et celles que nous leur posons, nous autres journalistes, sont souvent vraiment stupides), ne se décomposent jamais , maîtrisent les temps de la télévision, savent faire des synthèses, se déplacent avec aisance, ont l’intuition de ce dont a besoin la machine de l’information. Comment font-ils? Ici la réponse semblerait simple: ils ont grandi avec la télévision, il la connaissent, la respirent. Mais il y a plus. Ils montrent aussi qu’ils la connaissent de l’intérieur, et savent l’utiliser pour ce qu’elle est.
Trop beaux pour être vrais? J’avoue que la question m’effleure de temps en temps. Se peut-il qu’ils n’aient pas d’inquiètudes, qu’ils ne veuillent pas protester contre quelqu’un, qu’ils ne pensent pas leur jeunesse comme une période de rébellion, d’opposition et d’indiscipline à l’égard de l’autorité? Comment se fait-il qu’ils sourient tout le temps et ne lancent pas d’imprécations? Mais après, si on leur parle (sans micro) on découvre qu’il y a des préoccupations, et qu’il y a aussi la souffrance; il y a parfois la maladie, il y a le sentiment d’insécurité causé par le manque de travail. Mais il n’y a pas d’angoisse. Il y a, au contraire, une foi profonde en l’humanité et en ses ressources, car ils vivent tous une foi qui n’est pas fondée sur une théorie ou une philosophie.
Ils disent qu’ils ont fait la rencontre qui a changé leur vie.
Une rencontre qui ne peut qu’en partie être expliquée par des mots, mais qui est d’une efficacité sans pareil.
Après Madrid 2011, les interprétations sociologiques de cette jeunesse ne manqueront pas. En attendant, j’enregistre une image que j’ai saisie du côté du Paseo de la Castellana, près du centre de presse. Une fille accompagne une autre de son âge, la tenant discrètement par le bras et l’aide dans les escaliers. La deuxième fille est aveugle, et lorsque le couple atteint le trottoir, elles s’arrêtent un instant. C’est pour laisser passer un autre couple, des garçons, ils sont également habillés avec la tenue des JMJ. Le premier marche d’un rythme rapide et en poussant un fauteuil roulant sur lequel est son ami. Je ne sais pas si cette scène explique quelque chose. Peut-être, peut-être pas. Mais je ne peux pas l’oublier.
Et puis, il m’arrive souvent de penser aux parents de tous ces jeunes. Comment ont-ils fait pour les avoir comme cela? Et que pensent-ils en ce moment? Seront-ils peinés pour leurs enfants, plongés dans un événement autour duquel les tensions ne manquent pas; ou seront-ils heureux de les savoir en compagnie du pape? Si ces jeunes sont tels qu’ils apparaissent ici, la faute (ou le mérite) en revient un peu aux parents. Mais qui sont ces quadragénaires et quinquagénaires qui ont réussi une opération si hardie? Où vivent-ils? Là encore, revient une certaine désorientation. Tous ces gens (les enfants ici, les parents à la maison) sont réels, mais habituellement, où sont-ils?
Et puis il y a les grands-parents. Des grands-parents, dans de nombreux cas, encore jeunes et en forme. Et qui ont eu un rôle, eux aussi.
Un grand-père, de toutes façons, il y en a un ici, à Madrid. Il s’appelle Benoît XVI. Il en a l’âge. Et parfois, il parle vraiment en tant que tel. Jean-Paul II, en particulier quand il était un pape jeune, utilisait un ton plus déterminé. Les jeunes gens étaient suspendus à ses lèvres et Karol les ensorcelait avec ce regard déterminé, le regard volontaire, les points d’exclamation à la fin des phrases.
Benoît, non. Benoît XVI est doux, soft. Jamais mielleux, parce qu’il dit les choses clairement et lui non plus ne fait pas de concessions sur le contenu moral et doctrinal, mais il se comporte comme un grand-père avec un regard de compréhension. La relation entre Benoît XVI et ces jeunes est tendre.
Le pape semble trouver en eux une recharge qui l’aide à surmonter les difficultés d’un pontificat à obstacle. Ils l’ont adopté, sans être influencé par les légendes noires sur le dur et sévère Ratzinger.
Ils se soutiennent mutuellement, tout comme le font les grands-parents et les petits-enfants. Et ils marchent ensemble. Où vont-ils? Pour comprendre cela, ou tout au moins en avoir l’intuition, peut-être la seule chose à faire est de marcher un peu avec eux.
© Copyright Europa, le 20 août 2011
Mots Clés : JMJ Lisbonne