François est décidément un électron libre, et sa manie de s’exprimer sur tout et n’importe quoi sans approfondir vraiment les sujets qu’il aborde met souvent dans l’embarras la communication du Vatican, sans parler de la diplomatie. Il vient encore de faire des siennes (c’est-à-dire, selon son habitude, c’est peut-être voulu, de créer la polémique, ou plutôt de « mettre le bazar ») en s’adressant à une assemblée de jeunes catholiques russes, exaltant « la grande Russie des saints, des souverains, la grande Russie de Pierre Ier, de Catherine II, ce grand empire éclairé avec une grande culture et une grande humanité », et contraignant tout son staf à « grimper aux miroirs » pour le sortir d’un mauvais pas diplomatique. Sur ce sujet, difficile de dire qu’il a entièrement tort, mais la situation est tellement explosive qu’il aurait pu s’abstenir de jeter de l’huile sur le feu et éviter de s’exprimer en personne privée, sans tenir compte du poids que sa charge donne à ses propos.
Les explications de Giuseppe Nardi, qui replace les propos du pape dans le contexte et fait le tour des différentes réactions.

Les paroles du pape sur la Russie sous le feu croisé des critiques

LE PAPE CRITIQUE L’IMPÉRIALISME ET LE NATIONALISME – ET IL NE PARLE PAS SEULEMENT DE MOSCOU ?

Giuseppe Nardi
katholisches.info/2023/08/30/papst-worte-zu-russland-im-kreuzfeuer/
30 août 2023

Vendredi dernier, le pape François s’est adressé dans un message vidéo à la jeunesse catholique de Russie – s’attirant immédiatement de vives critiques à l’étranger.

Le pape François s’en tient à un regard différencié sur le conflit ukrainien. C’est un effet de l’approche géopolitique de « l’homme politique sur le trône pontifical », comme le montre également son souhait d’obtenir pour le Saint-Siège un statut d’observateur auprès de la communauté des Etats du BRICS.

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Vendredi dernier, le 25 août, François s’est adressé par un message vidéo à la 10e rencontre de la jeunesse catholique en Russie à Saint-Pétersbourg – et a récolté de vives critiques de la part des Ukrainiens et des Occidentaux.

Sur le site Internet officiel du Vatican, le discours a été publié, mais une partie a été omise presque à la fin. La Secrétairerie d’Etat du Vatican était intervenue. La vidéo complète a toutefois été transcrite par l’archidiocèse catholique de Moscou et sur Youtube russe.

Voici les paroles du pape « oubliées » par le Vatican et adressées aux jeunes catholiques russes:

« N’oubliez jamais vos racines. Vous êtes les héritiers de la grande Russie : la grande Russie des saints, des souverains, la grande Russie de Pierre Ier, de Catherine II, ce grand empire éclairé avec une grande culture et une grande humanité. N’abandonnez jamais cet héritage. Vous êtes les héritiers de la grande mère Russie, continuez. Et merci à vous. Merci beaucoup pour votre façon d’être, pour votre façon d’être russes ».

La tentative évidente du Vatican d’étouffer ces paroles de François était toutefois vouée à l’échec en raison des moyens de communication actuels. En Ukraine, la révélation de ce passage a déclenché de vives critiques, mais celles-ci n’ont pas manqué non plus en Occident, qui se trouve en mode de guerre par procuration.

Par le passé, il y avait déjà eu de violents désaccords entre Sainte Marthe et l’Eglise gréco-catholique ukrainienne unie à Rome, qui n’est pas moins consciente de la nation que l’Eglise orthodoxe russe.

La réaction de l’archevêque majeur Chevtchouk

Sviatoslav Shevchuk, l’archevêque majeur de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne, a publié une déclaration sur le message vidéo du pape et y a exprimé sa « grande tristesse et sa préoccupation ».

« Nous espérons que ces paroles du Saint-Père ont été prononcées impulsivement, sans tentative d’évaluation historique, et encore moins de soutien aux ambitions impérialistes de la Russie ».

L’archevêque majeur a déclaré à propos des paroles du pape qu’il partageait « la grande douleur qu’elles causent non seulement à l’épiscopat, au clergé, aux moines et aux fidèles de notre Église, mais aussi aux autres confessions et organisations religieuses. En même temps, nous sommes conscients de la profonde déception qu’ils ont suscitée dans la société ».

La référence papale à « la grande Russie de Pierre Ier, de Catherine II, ce grand empire éclairé avec une grande culture et une grande humanité » est, selon Chevtchouk,

« le pire exemple d’impérialisme et de nationalisme russes extrêmes ».

Et plus loin:

« Il y a un risque que ces paroles puissent être interprétées comme un soutien au nationalisme et à l’impérialisme qui ont provoqué aujourd’hui la guerre en Ukraine, une guerre qui apporte chaque jour la mort et la destruction à notre peuple.

Les exemples cités par le Saint-Père contredisent en effet son enseignement sur la paix, puisqu’il a toujours condamné toute forme de manifestation de l’impérialisme dans le monde moderne et mis en garde contre les dangers du nationalisme extrême, soulignant qu’il était à l’origine de la ‘troisième guerre mondiale’ par morceaux.

En tant qu’Eglise, nous tenons à réaffirmer que de telles déclarations, dans le contexte de l’agression russe contre l’Ukraine, donnent des ailes aux ambitions néocoloniales du pays agresseur, bien qu’une telle manière d »être russe’ doive être catégoriquement condamnée.

Afin d’éviter toute manipulation des intentions, du contexte et des déclarations attribuées au Saint-Père, nous attendons une explication de cette situation par le Saint-Siège ».

Pour situer le contexte historique : Catherine II a libéré tout le sud de l’Ukraine du joug des Tatars islamiques, vassaux de l’Empire ottoman, et a intégré leur khanat à l’Empire tsariste en tant que « Nouvelle Russie ».

L’archevêque majeur Chevtchouk conclut ainsi :

« L’Eglise gréco-catholique ukrainienne condamne, avec tous les citoyens de notre pays, l’idéologie de la ‘paix russe’ et toute la manière criminelle d’être ‘russe’. Nous espérons que le Saint-Père écoutera notre voix ».

Il a en outre annoncé que les évêques de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne se rencontreraient dans quelques jours à Rome pour leur synode annuel et qu’ils souhaitaient à cette occasion faire pression sur le Pape.

La réaction de la nonciature apostolique à Kiev

La nonciature apostolique de Kiev a alors réagi par un communiqué de presse qui devait servir à calmer les esprits, mais qui n’a pas eu l’effet escompté :

« Selon certaines interprétations, le pape François pourrait avoir encouragé en particulier les jeunes catholiques russes à s’inspirer de personnalités historiques russes connues pour leurs idées et leurs actions impérialistes et expansionnistes, qui ont eu un impact négatif sur les populations voisines, y compris le peuple ukrainien.


Cette représentation papale rejette fermement les interprétations susmentionnées, car le pape François n’a jamais défendu d’idées impérialistes. Au contraire, il est un adversaire et un critique déterminé de toute forme d’impérialisme ou de colonialisme dans tous les peuples et toutes les situations. Les paroles du pape de Rome du 25 août doivent être comprises dans ce contexte ».

A Kiev et probablement aussi dans d’autres chancelleries occidentales, on comprend cette prise de position comme un affront, car on pourrait en déduire de manière subliminale que François soutient l’interprétation russe de la lutte pour l’indépendance, l’autonomie et la souveraineté de la Russie contre les tentatives occidentales d’affaiblissement, de prise de contrôle et de démembrement, voire même qu’il critique l’expansionnisme occidental de l’OTAN et l’impérialisme américain qui y est lié.

La réaction du bureau de presse du Vatican

Comme l’avait demandé l’archevêque majeur, le service de presse du Vatican a également réagi. Celui-ci a également rejeté toute interprétation des paroles du pape comme « glorification de la logique impérialiste ».

Le porte-parole du Vatican, Matteo Bruni, directeur du bureau de presse, a tenté hier de désamorcer les polémiques sur les paroles de François. Selon lui, il ressort « clairement » des paroles adressées aux jeunes catholiques russes que François a voulu « encourager » les jeunes « à préserver et à promouvoir le positif du grand héritage culturel et spirituel de la Russie, et certainement pas à glorifier des logiques impérialistes et des personnalités gouvernementales en faisant référence à certaines périodes historiques de référence ».

La réaction du Kremlin

En revanche, le Kremlin s’est réjoui. Après avoir attendu quelques jours, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a salué hier les déclarations du pape François sur l’héritage historique de la Russie.

Au Kremlin aussi, les paroles du pape ont été comprises comme en Ukraine – et non comme les présente le porte-parole du Vatican Bruni – mais avec des signes positifs. Selon la déclaration du Kremlin, la présentation du pape est « en forte adéquation avec les positions de l’Etat et de la société russes ».

Peskov a ajouté:

« Le pape connaît l’histoire russe, et c’est très positif ».

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