Le 9 octobre, 5 jours après le début du Synode, l’Union Lex Orandi, un collectif français qui se présente comme rassemblant « des associations de fidèles défendant la liturgie traditionnelle » publiait sur son site internet le premier volet d’un très intéressant « guide de lecture » de l’Instrumentum Laboris (IL), afin de décrypter l’esprit du Synode, ou plutôt de percer à jour ceux qui le manipulent. L’intégralité de son étude, soit une trentaine de pages, a été mise en ligne avant-hier, et Luisella Scrosatti en propose une synthèse pour la Bussola. On y trouve confirmation que la soi-disant « Conversation dans l’Esprit » n’est rien d’autre que le faux-nez ecclésiastique d’une théorie bien connue de manipulation des masses, conceptualisée par un sociologue américain du siècle dernier, Kurt Lewin.

Lever les résistances et construire le consensus, selon des techniques empruntées « aux sciences de la gestion et du leadership » [IL, page 53) : l’Esprit Saint n’a rien à voir là-dedans et ne sert que de faire-valoir à une technique psychosociale. Tout comme les Apôtres n’ont rien à voir avec la décision de préférer les petits groupes de douze à la discussion publique. Il s’agit de techniques éprouvées de gestion de la dynamique de groupe.

Documents

L’Instrumentum Laboris : un manuel de psychologie synodale

Luisella Scosatti
La NBQ
24 octobre 2023

Pour construire le consensus, il faut une méthode. Celle de Kurt Lewin [(1)], inventeur de la dynamique de groupe, également efficace pour neutraliser les résistances aux changements apparues lors des précédents synodes, sous prétexte de « conversation dans l’Esprit ».

Une nouvelle analyse extrêmement intéressante de l’Instrumentum Laboris (IL) du Synode sur la synodalité en cours. C’est ce que propose le site lex-orandi.org, qui regroupe différentes associations de fidèles actives dans la défense de l’ancienne forme de la liturgie romaine, dans un document de 30 pages intitulé L’Instrumentum Laboris pour la première session du Synode. Un guide de lecture [version intégrale en français ici: https://www.lex-orandi.org/docs/Guide-de-lecture-IL_VC.pdf].

Laissant au second plan la question du contenu théologique et disciplinaire du document, l’analyse s’attarde sur d’autres aspects, jusqu’ici peu abordés.

Au-delà de la rhétorique sur la participation de tous à la vie de l’Église, le véritable objectif du Synode est énoncé au §15 de l’IL, qui indique la trajectoire à suivre, le but à atteindre parmi les nombreuses questions qui sont sur la table de discussion :

« Leur but est d’aider à mettre l’accent sur la manière dont la mise en œuvre d’Amoris laetitia et de Christus vivit – ainsi que les conclusions des Assemblées synodales de 2015 et 2018 – représente une opportunité de cheminer ensemble en tant qu’Église capable d’accueillir et d’accompagner les familles et les jeunes, en acceptant les changements nécessaires dans les règles, les structures et les procédures. Il en va de même pour de nombreux autres thèmes qui émergent des discussions ».

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https://www.synod.va/content/dam/synod/common/phases/universal-stage/il/PAGINATED_FRA_INSTRUMENTUM-LABORIS-A4.pdf

Donc, les auteurs de l’analyse ont raison de souligner que le Synode n’a pas d’autre but que de « faire accepter et mettre en œuvre les changements disciplinaires et institutionnels initiés sous le pontificat de François » (pp. 2-3).

Justement parce que le but de ce synode est de digérer et d’assimiler ce qui a émergé des synodes précédents, il faut une méthode appropriée.
Présentée comme la grande nouveauté, elle est en fait la version « spiritualisée » d’une méthode de psychologie sociale qui a fait ses preuves, précisément pour vaincre d’éventuelles résistances. Et ce n’est pas un hasard si, derrière le langage fumeux, l’IL l’a en fait bien en tête (cf. §§ 37-39).

Après que chacun, dans le petit groupe de douze membres, a pris la parole, tandis que les autres écoutent en silence, chacun peut à nouveau intervenir, mais – attention – « pas pour réagir et contrer ce qui a été entendu, en réaffirmant sa propre position ». La troisième étape vise à « identifier les points clés qui ont émergé et à construire un consensus sur les fruits du travail commun, que chacun considère comme fidèle au processus et dans lequel il ou elle (sic!) peut donc se sentir représenté. (…) il faut faire preuve de discernement, en prêtant également attention aux voix marginales et prophétiques ».

Les auteurs de l’analyse ont souligné avec force que cette procédure ressemble beaucoup à la méthode des sciences psychosociales appelée « dynamique de groupe ». Le module B 3.1 de l’IL l’admet explicitement :

« L’optique de la transparence et de la redevabilité (capacité à rendre compte) est fondamentale pour un exercice authentiquement évangélique de l’autorité et de la responsabilité. Cependant, elle suscite aussi des craintes et des résistances. C’est pourquoi il est important de prendre en compte sérieusement, avec un esprit de discernement, les découvertes les plus récentes des sciences de la gestion et du leadership. En outre, la conversation dans l’Esprit est indiquée comme une manière de générer des processus de prise de décision et d’élaboration de consensus capables d’engendrer la confiance et de favoriser un exercice juste de l’autorité selon la perspective de l’Église synodale ».

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ibid, page 53

Lever les résistances et construire le consensus, selon des techniques empruntées « aux sciences de la gestion et du leadership » : l’Esprit Saint n’a rien à voir là-dedans et ne sert que de faire-valoir à une technique psychosociale. Tout comme les Apôtres n’ont rien à voir avec la décision de préférer les petits groupes de douze à la discussion publique. Il s’agit de techniques éprouvées de gestion de la dynamique de groupe.

Examinons de plus près cette « dynamique de groupe » qui, selon l’auteur, constitue l’intuition la plus brillante de l’analyse.

Son « inventeur », Kurt Lewin, était convaincu qu’il était plus facile de changer un groupe qu’un individu.

Le psychologue et sociologue français Jean Maisonneuve explique pourquoi :

« L’une des principales ressources de la résistance au changement est la peur de s’écarter des normes du groupe ».

Le groupe tend à maintenir un équilibre, dans quelque domaine que ce soit. Il est donc nécessaire de provoquer le changement par deux méthodes : exercer une pression dans le sens du changement souhaité et diminuer la résistance au changement. Mais – souligne Maisonneuve –

« ne pratiquer que la première méthode aboutit pratiquement toujours à provoquer des tensions, des conflits plus ou moins vifs. Il est donc nécessaire d’y associer la seconde méthode » ).

Les deux Synodes sur la famille et l’Amazonie ont adopté la première méthode, le Synode actuel la seconde. Méthode synodale et conversation dans l’Esprit n’indiquent rien d’autre que des dynamiques qui visent à atténuer toute résistance, par le biais du changement promu dans le groupe. Du groupe à l’individu. C’est pour cette raison que, comme nous l’avons vu, le Synode ne prévoit pas de débats et de discussions ; personne ne peut prendre la parole pour « réagir et contrer ». Il s’agit en fait d’un « abandon de la rationalité (…) inquiétant et non conforme à la dignité du chrétien » .

Dans cette perspective, on peut aussi comprendre l’accent mis sur les « facilitateurs », c’est-à-dire ceux qui conduisent les danses du changement ; en effet, au §42 de l’IL, on lit :

« Compte tenu de l’importance de la conversation dans l’Esprit pour animer le vécu de l’Église synodale, la formation à cette méthode, et en particulier l’enjeu d’avoir des personnes capables d’accompagner les communautés dans cette pratique, est perçue comme une priorité à tous les niveaux de la vie ecclésiale et pour tous les baptisés, à commencer par les ministres ordonnés, et dans un esprit de coresponsabilité et d’ouverture aux différentes vocations ecclésiales ».

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ibid, page 19

Or, la méthode synodale est censée combattre toutes sortes de dérives ; mais, se demandent à juste titre les auteurs de l’analyse, « n’ouvre-t-elle pas la porte aux dérives et aux manipulations, ou à l’abus des consciences, puisqu’on affirme a priori que le consensus obtenu sera la voix de l’Esprit Saint ? ».

La conversation dans l’Esprit n’est rien d’autre qu’une technique de manipulation, d’autant plus efficace qu’elle se cache derrière un masque spirituel.

Le §42 de l’IL se termine par une phrase remarquable :

« La formation à la conversation dans l’Esprit est une formation à être une Église synodale.

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ibid

L' »Église synodale » est le résultat de la méthode de la « conversation dans l’Esprit », et donc une communauté où toutes les résistances sont vaincues et où le programme réalisé par quelques-uns est accepté et partagé grâce à la maîtrise des « facilitateurs ».

L’analyse montre que ce n’est pas un hasard si l’expression « Église synodale » revient 98 fois dans l’IL (alors que « Église catholique » n’apparaît que 10 fois), le terme « synodal » 159 fois et la synodalité 42 fois. Les autres termes répandus sont évidemment « discernement » (93 fois), « écoute » (98), « processus » (86).

Il n’est pas non plus surprenant que cette  » synodalité  » recouvre en fait un processus très élitiste :

« Le synode est un processus décidé en grande partie par des clercs, appliqué par des clercs et dirigé par des clercs (fût-ce au moyen de laïcs placés par eux) »

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https://www.lex-orandi.org/docs/Guide-de-lecture-IL_VC.pdf, page 10

Et il est encore moins surprenant que ce processus ne représente en rien le peuple de Dieu. L’analyse donne quelques exemples montrant que la réponse réelle de la base au cours de la première phase du Synode était de l’ordre de 1%. C’est à peu près la même chose que les droits de vote des premiers parlements « libéraux » en Europe. Les synthèses intermédiaires ont ensuite manipulé certaines demandes critiques émanant d’une base pourtant restreinte, comme celle concernant l’ancienne liturgie, clairement présente dans la synthèse de la Conférence épiscopale française, mais absente dans celle de l’IL.

À la lumière de la  » dynamique de groupe « , on comprend encore mieux pourquoi le sensus fidelium est toujours évoqué, sans jamais rappeler les conditions présentes dans Lumen Gentium §12, ni le document de la Commission théologique internationale de 2004, à savoir qu’il n’y a pas de sensus fidelium sans la conduite du Magistère, auquel il doit obéissance.

Dans la vision synodale, le sensus fidelium n’est rien d’autre que ce consensus qui est le résultat d’une manipulation, strictement contraire au Magistère.

Ndt

[(1)] Kurt Lewin (1890-1947) est un psychologue américain d’origine allemande spécialisé dans la psychologie sociale et le comportementalisme, acteur majeur de l’école des relations humaines. (…) On lui doit le concept de « dynamique de groupe », concept majeur de la « psychologie industrielle » qui devait devenir plus tard la psychologie du travail.  (https://fr.wikipedia.org/wiki/Kurt_Lewin)

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