Le texte qui suit est la transcription du discours “Perspectives from Rome: understanding the crisis and where we go from here” [Perspectives de Rome : comprendre la crise et vers quoi nous allons], prononcé par Edward Pentin (*) lors de la Catholic Identity Conference à Pittsburgh, le 30 septembre 2023.
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C’est une réflexion profonde, nécessaire et très éclairante, mais elle s’adresse exclusivement aux catholiques qui conservent encore un minimum de sens du divin, elle ne peut pas être comprise sans le regard de la foi.
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Comme le texte est très long, je vais en fractionner la traduction.

Paradoxalement, on pourrait répondre en quelques mots à la question pourtant très complexe posée dans le titre: il fallait crever l’abcès. François, et seulement un pape comme François, peut être involontairement le moyen par lequel le Seigneur purge la « saleté » qui s’est répandue dans l’Église depuis si longtemps. Benoît XVI, qui n’avait pas pu mettre un terme à la corruption et à l’hérésie galopante, s’est retiré, assistant avec douleur, depuis Mater Ecclesiae, à la folle fuite en avant du pontificat de François: et ainsi se réalise le « plan de dieu ».

(*) Edward Pentin est le correspondant à Rome et directeur du National Catholic Register.
J’ajoute à titre personnel que c’est un des rares journalistes couvrant l’actualité religieuse qui fait honneur à sa profession – avec quelques autres qui sont d’ailleurs les hôtes réguliers de ces pages

Perspectives de Rome : comprendre la crise et vers quoi nous allons

Introduction

Voilà six ans que j’ai eu l’honneur de prendre la parole à la Catholic Identity Conference et, comme nous le savons, beaucoup de choses ont changé depuis lors. Sauf pour une chose : le pape François poursuit sa révolution, avec plus d’enthousiasme que jamais, provoquant des divisions de plus en plus profondes, des persécutions de l’intérieur et d’en haut, une atmosphère de peur omniprésente, la promotion de la médiocrité et de l’hypocrisie, et la menace imminente d’un schisme formel.

Le refrain « Jusqu’à quand, Seigneur ? » s’est fait de plus en plus entendre, tandis que les fidèles pratiquants assistaient, désespérés, impuissants et faibles, à leur exclusion et à leur marginalisation,

Le refrain « Jusqu’à quand, Seigneur ? » s’est fait de plus en plus entendre, tandis que les fidèles pratiquants assistaient, désespérés, impuissants et faibles, à leur exclusion et à leur marginalisation, et nous sommes tombés dans une crise qui pourrait s’avérer pire que la controverse arienne, selon certains historiens de l’Église.

Il y a six ans, la situation semblait avoir atteint son paroxysme. Nous avions subi toutes les retombées des synodes sur la famille et Amoris laetitia ; un groupe d’éminents universitaires et prêtres catholiques venait d’accuser le pape François d’hérésie ; et nous venions d’apprendre que le cardinal Carlo Caffarra était décédé et que, quelques jours plus tard, le pape François avait effectivement vidé de sa substance l’Institut pontifical d’études sur le mariage et la famille « Jean-Paul II », que le cardinal avait fondé. Cette même année était le centenaire des apparitions mariales de Fatima et l’on espérait que l’intervention divine mettrait fin à cette période sombre.

Mais, comme nous le savons, la Vierge a demandé pénitence et réparation à Fatima et, avant cela, à Lourdes. Cela ne s’est pas produit et les bouleversements se sont donc poursuivis à un rythme soutenu, qu’il s’agisse de la messe traditionnelle, qui a été annulée, de la voie synodale allemande, qui a été autorisée à se poursuivre sans contrôle, ou des scandales, liés ou non à la papauté, qui semblent ne jamais prendre fin.

« La crise actuelle est absolument essentielle pour le triomphe final de l’Église catholique »

Entre-temps, ceux qui soutiennent pleinement cette révolution sont heureux qu’elle semble avoir changé de vitesse au cours des derniers mois. Bien qu’ils n’aient pas encore atteint une grande partie de ce à quoi ils aspirent (un changement clair dans la gouvernance de l’Église, les femmes diacres, le clergé marié et la normalisation de l’homosexualité), avec le Synode sur la synodalité, ils sont plutôt stupéfaits à l’idée que ces objectifs semblent enfin à portée de main.

Bien sûr, il est impossible de savoir avec certitude pourquoi cela se produit, ou plutôt pourquoi on le laisse se produire, mais dans cet exposé, j’examinerai quelques théories tirées de sources fiables à Rome et ailleurs, afin d’explorer ce que cela pourrait signifier et vers quoi nous pourrions nous diriger. J’espère, par ce biais, oser au moins offrir une lueur d’espoir au bout de ce tunnel apparemment sans fin.

La grande révélation

Il y a quelques mois, Joseph Bevan, un ami anglais, fervent catholique et père de dix enfants – dont deux prêtres et une religieuse – a fait un commentaire intéressant et stimulant dans un article qu’il avait écrit pour les médias catholiques.

« La crise actuelle est absolument essentielle pour le triomphe final de l’Église catholique. Une partie du plan de Dieu doit être d’écraser l’hérésie moderniste au cœur de l’Église, et pour cela, il faut laisser libre cours à l’hérésie pour qu’elle puisse enfin s’éteindre. Ceux qui souhaitent ardemment que le pape François soit remplacé par un autre pape Benoît ont fondamentalement mal compris la situation ».

C’est une thèse audacieuse, mais Bevan pourrait-il avoir raison ? Cette destruction apparente pourrait-elle être le moyen d’éradiquer l’hérésie moderniste si bien ancrée dans l’Église institutionnelle ? Et le pape François, et seulement un pape comme François, pourrait-il être involontairement le moyen par lequel le Seigneur purge les corruptions qui ont infiltré l’Église depuis si longtemps et restaure l’Épouse du Christ à sa vraie gloire ?

Répondre à ces questions dépasse de loin mes capacités de journaliste, mais ce que j’ai fait, c’est recueillir l’avis d’autres personnes bien plus qualifiées que moi. J’ai donc soumis la thèse de Joseph à plusieurs personnalités respectées de l’Église, vivant principalement à Rome. Tous étaient d’accord sur un point nécessaire pour que la théorie de Joseph devienne réalité, à savoir que cette période a été immensément révélatrice (mais aussi douloureuse).

Le cardinal Raymond Burke a affirmé:

« C’est une question que je me suis souvent posée. Pourquoi Dieu permet-il cela dans le cadre de sa volonté permissive ? Ce qui me revient sans cesse à l’esprit, c’est que tout est révélé au grand jour – toute la terrible corruption, sexuelle, financière, doctrinale. Cela a également ouvert les yeux de nombreuses personnes qui ont réalisé à quel point toute cette rébellion post-conciliaire a été mortelle et préjudiciable ».

Cela a également révélé la richesse de la liturgie traditionnelle, a dit le cardinal Burke, et son importance à l’heure actuelle. Les rites sacramentels de la liturgie réformée ne sont pas invalides, a-t-il souligné, mais de nombreuses personnes réalisent aujourd’hui qu’ils « ne sont pas aussi substantiels que dans l’usus antiquior, et en ces temps, nous avons besoin de l’aide [la plus substantielle] ». « Tout a été affaibli », a-t-il poursuivi, évoquant les dommages causés par l’après-Concile. « Par exemple, le livre des bénédictions ne bénit plus rien, il bénit les gens autour. Le surnaturel a disparu ».

Mais il a également observé :

« Chaque jour, l’adhésion à la tradition, à la messe et à la doctrine se renforce. Je suis très impressionné par certains compendiums de théologie, etc., qui ont été épuisés et qui sont apparemment vendus ».

Ce phénomène de révélation des maux de l’Église institutionnelle, que l’écrivain catholique Hilary White a qualifié il y a quelques années de « grande illumination », devient de plus en plus évident pour beaucoup. Sa thèse, également connue sous le nom de « thèse d’Hilary », est que pendant les pontificats de Benoît XVI et de Jean-Paul II, le statu quo a manifestement été très bien préservé. Des prélats clairement hétérodoxes, qui se rebellaient le plus souvent, mais pas toujours, sous la surface, ont été tolérés et certains ont même été promus à des postes de premier plan dans l’Église, tandis que les corruptions et les abus ont été soigneusement gérés ou simplement cachés.

Selon Ms. White, cette situation a été favorisée par les catholiques conservateurs qui, sans doute avec les meilleures intentions du monde, pensaient qu’il était possible de trouver un « juste milieu » entre le modernisme qui avait infiltré l’Église et la tradition apostolique.

« Mais le compromis n’a pas sa place dans le monde limpide de la vérité absolue que Dieu habite et que l’Église est censée modeler ici sur terre », explique Ms. White. « Une telle approche n’a jamais fonctionné puisque l’Église est censée être un phare de vérité dans un monde de mensonges et de tromperies ».

Bien que certains puissent vouloir discuter les points les plus délicats de la « thèse » d’Hilary, en tant que journaliste couvrant le Vatican, il est indéniablement vrai qu’au cours de la dernière décennie et demie du pontificat de François, le couvercle sur toute la corruption dans l’Église catholique a été levé.

« Les principes fondamentaux de l’Église ont été mis en lumière », m’a confié cette semaine un homme d’Église de haut rang. On pourrait peut-être aussi dire qu’alors que les temps sont devenus plus sombres pour l’Église, la vérité commence à briller plus fort, mais un peu comme dans le Portrait de Dorian Gray, ce n’est pas une belle image qui s’offre au regard.

Cela semble particulièrement vrai en ce qui concerne la doctrine. Alors que ce pontificat s’est engouffré dans un vide obscur d’expérimentation et d’on ne sait quoi, l’orthodoxie a été mise de côté et nous avons assisté à un renversement, en particulier en ce qui concerne le modèle de gouvernance de l’Église.

La Constitution apostolique du pape pour la Curie romaine Praedicate Evangelium, la Voie synodale allemande qui a fait du renversement de la hiérarchie une pierre angulaire de ses discussions, en sont les témoins les plus clairs, et il semble maintenant que la prochaine Assemblée synodale en tiendra au moins compte. Le Pape, qui était absolument sincère dans ses intentions [?], a parlé ouvertement et favorablement d’une structure de gouvernance en « pyramide inversée », plus collégiale mais aussi où les laïcs dirigent et la hiérarchie suit (jusqu’à un certain point).

Plus inquiétant encore, d’un point de vue moral, nous avons également assisté à une inversion. Ce qui a toujours été clairement un péché et une erreur est de plus en plus encouragé, confirmé ou au moins considéré comme un clin d’œil et un signe de tête, tandis que les fidèles pratiquants qui essaient de se conformer à l’enseignement établi de l’Église sont fustigés, bannis et même considérés comme des ennemis par les dirigeants de l’Église. Tout observateur impartial pourrait facilement identifier une « désorientation diabolique » mentionnée par Sœur Lucie dans ses lettres écrites au début des années 1970.

En ce qui concerne la liturgie, le Motu proprio Traditionis custodes a manifestement joué un rôle important dans cette prise de conscience, surtout si l’on considère la raison pour laquelle il a été promulgué. « Ils ne peuvent pas tolérer la liturgie traditionnelle parce qu’elle juge ce qu’ils font », m’a dit cette semaine un haut fonctionnaire de l’Église.

Elle a également mis en évidence la perte du surnaturel au sein de l’Église institutionnelle, comme l’a dit le cardinal Burke, en grande partie à cause d’un rite défectueux et d’un type d’humanisme erroné croissant, prisé dans les cercles « classiques » mais finalement chargé de modernisme.

François met en lumière « les péchés graves qui ont été cachés pendant les cinquante dernières années, la ‘saleté à l’intérieur de l’Église’ dont le cardinal Ratzinger a parlé avant son élection en tant que pape

En outre, nous avons assisté à une approche de plus en plus syncrétiste de l’œcuménisme et des autres religions et, bien sûr, à un engagement excessif dans la politique mondiale ainsi qu’à une soumission aux valeurs séculières au détriment de la promotion de l’enseignement de l’Église et de l’accent mis sur le salut des âmes. Alors que ce processus se poursuit, il semble que l’on parle d’une religion mondiale, aidée par des déclarations papales telles que « Dieu veut le pluralisme et la diversité des religions ».

Ces observations proviennent, bien sûr, d’une perspective traditionnelle, orthodoxe ou simplement catholique, mais même ceux qui sont alliés à la vision de François peuvent voir ce qui a été révélé, bien qu’à travers une lentille différente.

Massimo Borghesi, considéré comme le biographe intellectuel du pape François [ndt: il a justement publié un livre intitulé Jorge Mario Bergoglio, una biografia intellettuale dont nous avons parlé], m’a dit récemment que François mettait en lumière « les péchés graves qui ont été cachés pendant les cinquante dernières années, la ‘saleté à l’intérieur de l’Église’ dont le cardinal Ratzinger a parlé avant son élection en tant que pape ».

« Le fait que les méfaits des prêtres et des religieux aient été cachés pendant si longtemps révèle une conception « cléricale » de l’Église, celle d’un monde fermé qui se considère comme parfait, à l’abri de tout péché », a dit Borghesi. A-t-il cité en exemple Rupnik, Mgr Zanchetta, Mgr Barros, McCarrick ? Non, mais il a dit que François est en train de révéler tout cela, en avançant sur un chemin de transparence commencé par Benoît XVI et qui, a dit Borghesi, se doit « au Concile Vatican II ».

Il est toutefois important d’ajouter que François a tendance à révéler des choses lorsqu’il est poussé par les événements. Lorsqu’il s’agit de sa propre initiative, il a tendance à cacher les choses ou à ne pas appliquer de sanctions (s’il s’agit de modernistes ou d’amis), ou à les faire travailler pour lui en tant que complices. Il a contribué à dévoiler les crimes financiers qui ont pourri le Vatican et corrompu pas mal de diocèses, par exemple, mais seulement parce que les événements l’y ont contraint.

A suivre…

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