L’évêque de Tyler s’est expliqué avant-hier sur la chaîne EWTN sur les raisons de son « licenciement » telles que les lui a expliquées le nonce Pierre. Selon Luisella Scrosatti, qui lui reproche malgré tout quelques « imprudences » (traduit sans langue de bois: il ne s’est pas assez auto-censuré… mais le pape lui-même ne réclame-t-il pas la parésie?), et surtout le fait d’avoir choisi pour s’exprimer Twitter, qui ne serait pas un lieu approprié pour l’évangélisation (mais les proches du pape en font un usage abondant sans encourir le moindre blâme, au contraire), ces raisons sont bien minces, et laissent la porte ouverte à d’autres abus de pouvoirs de la hiérarchie, y compris du Pape.

Strickland, les motifs de la révocation sont inconsistants

Luisella Scrosatti
La NBQ
18 novembre 2023

Manque de communion avec les évêques américains, manque de soutien au Synode sur la synodalité et à Traditionis Custodes. Telles sont les raisons pour lesquelles Mgr Strickland aurait été écarté de la direction du diocèse de Tyler. Des motifs fumeux, pour un acte pontifical aussi grave.

On peut probablement reprocher à Mgr Joseph Strickland, récemment relevé de ses fonctions par le pape François, quelques imprudences. D’abord parce que Twitter n’est pas le lieu idéal pour l’apostolat d’un évêque (et peut-être même pas pour l’apostolat en général): en seulement quelques lignes, il est facile de trahir la pensée réelle d’une personne, a fortiori si cette « pensée » concerne la foi. Ainsi, une phrase comme  » Je rejette son agenda [du pape] de compromission de la foi  » (tweet du 12 mai 2023) ne pouvait être interprétée que de la pire des manières.

On peut également s’interroger sur l’opportunité de cette lettre d’un de ses amis, lue lors d’une conférence à Rome, dans laquelle il remettait en cause la légitimité de l’autorité du pape. Mgr Strickland n’a certainement pas souscrit à ce contenu ; au contraire, il a clairement indiqué qu’il croyait que François était le Pape. Mais il est évidemment difficile de considérer qu’il s’agit d’un choix heureux, car Mgr Strickland est depuis longtemps un évêque dans le collimateur.

Interviewé par Raymond Arroyo dans l’émission The World Over du 16 novembre, le désormais évêque émérite de Tyler a dévoilé les chefs d’accusation retenus contre lui lors de son entretien avec le nonce apostolique, le cardinal Christophe Pierre : manque de communion avec ses frères de l’épiscopat américain, manque de soutien au synode sur la synodalité et manque de mise en œuvre du motu proprio Traditionis Custodes. Strickland a également déclaré qu’aucune violation canonique ne lui avait été reproché. Et, toujours selon son témoignage, Rome lui avait déjà fait savoir, il y a deux ans, qu’elle n’appréciait pas du tout son insistance sur la garde du depositum fidei.

Les raisons invoquées par le nonce, manifestement à la demande du pape, ne justifient pas un acte aussi grave que la révocation d’un évêque. Depuis quand le fait d’être en désaccord avec des confrères évêques constituerait-il en soi un acte à sanctionner ? D’accord ou pas d’accord sur quoi ? D’ailleurs, de quels confrères parlons-nous ? De McElroy ou de Cordileone ? Si l’on en croit les piques que Mgr Timothy Broglio, président de la conférence épiscopale américaine, a lancée au nonce pour ses propos provocateurs dans la revue des jésuite America, où il reprochait en substance aux évêques à la bannière étoilée de retarder l’application de la « synodalité », il ne semble pas que l’épiscopat américain soit si uni que cela pour accepter tout ce qui vient de Rome.

Que signifie soutenir le synode sur la synodalité ? Depuis quand un synode d’évêques serait-il contraignant et n’admettrait-il aucune possibilité de dissidence ? Pourquoi serait-ce un problème de souligner, comme l’a fait Strickland, que le synode remet en question des questions que l’Église a déjà clarifiées définitivement il y a longtemps ?

Quelle serait la mise en œuvre de Traditionis Custodes que l’évêque devrait mettre en place ? Nous savons que, dans son diocèse, la messe en rite ancien est célébrée à la paroisse Saint-Joseph le Travailleur de Tyler, confiée à la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, accueillie dans le diocèse en 2003 par l’évêque de l’époque, Mgr Alvaro Corrada. Or, c’est le pape François lui-même qui avait assuré, lors d’une audience privée le 4 février 2022, que le motu proprio ne s’appliquait pas à eux ni aux instituts dont les constitutions reconnaissaient l’usage d’anciens livres liturgiques. Le pape l’avait écrit noir sur blanc dans un décret qui fut ensuite remis au supérieur du district français de la FSSP, l’abbé Benoît Paul-Joseph, et au recteur du séminaire Saint-Pierre de Wigratzbad, l’abbé Vincent Ribeton. Qu’aurait dû faire Strickland ? Interdire au prêtre de la FSSP de célébrer dans l’ancien rite, allant ainsi à l’encontre du décret du pape ? Les expulser de son diocèse sans aucune raison, laissant ainsi de nombreux fidèles sans pasteur ? Car, rappelons-le, il s’agit d’une véritable paroisse, et non d’un simple centre de messe.

Benoît XVI a également démis de nombreux évêques de leur siège, mais il s’agissait d’affaires d’abus, de graves scandales financiers ou de diocèses en plein désarroi. Le présent pontificat, en revanche, se caractérise par la révocation d’évêques qui ne sont peut-être pas parfaits, mais qui n’ont commis aucune omission grave dans le cadre de leur mission pastorale.

Strickland a donc tout à fait raison lorsqu’il dénonce « les nombreux évêques encore en place, étroitement liés au scandale McCarrick ». Mais le contraste est encore plus marqué si l’on considère que l’évêque d’Anvers, Mgr Johan Bonny, n’a subi aucune sanction alors qu’il a récemment tout simplement contredit le cinquième commandement et s’est opposé à l’ensemble du Magistère de l’Eglise sur la fin de vie, s’ouvrant à l’euthanasie dans certaines circonstances. Les tweets imprudents de Mgr Strickland ont-ils plus de poids que la violation des commandements de Dieu ?

L’archevêque Strickland a ensuite déclaré à plusieurs reprises qu’il reconnaissait que le pape avait certes le pouvoir de révoquer un évêque, mais qu’il le fasse de manière juste ou non n’est pas indifférent. Son acceptation de la décision de François ne supprime pas le problème sous-jacent : que se passerait-il si un évêque pouvait être démis de ses fonctions simplement parce qu’il n’est pas d’accord avec les autres évêques ? Ou ne soutient pas une nébuleuse « synodalité » ?

L’impression est que le pape étouffe littéralement l’autorité des évêques sur deux fronts : il la paralyse et la dissout dans les structures et dynamiques synodales de plus en plus envahissantes, et il la décapite dans le cas d’évêques qui résistent au traitement synodal.

C’est une question que chaque évêque devrait se poser, non seulement parce que, comme le dit l’adaget, la vie est une roue qui tourne, mais aussi parce que le risque que l’évêque soit de plus en plus considéré comme une figure administrative de facto et non comme un véritable successeur des apôtres n’est pas négligeable.

L’Église catholique est-elle une entreprise qui peut révoquer ses dirigeants s’ils ne suivent pas la ligne de conduite de l’entreprise ? S’ils ne savent pas faire équipe ? S’ils sont trop indépendants dans leurs actions ?

Le cardinal Gerhard Müller a souligné que, dans le cas de l’évêque de Tyler, nous avons affaire à « un abus de fonction contre le droit divin de l’épiscopat ». Effectivement. L’impression est que le pape étouffe littéralement l’autorité des évêques sur deux fronts : il la paralyse et la dissout dans les structures et dynamiques synodales de plus en plus envahissantes, et il la décapite dans le cas d’évêques qui résistent au traitement synodal. Il semble que ce soit la traduction ecclésiale de la technique de nombreux régimes, toujours soucieux de rendre les autorités intermédiaires sans influence: utiliser la démocratie pour imposer la pensée unique, et la suspendre soudainement pour éliminer ceux qui ne s’alignent pas.

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