Le compte-rendu par AM Valli de « Maçonnerie au Vatican », un livre enquête qui s’annonce passionnant, et qui vient de sortir en Italie. Apparemment, la pourriture au sommet de l’Eglise ne date pas d’aujourd’hui, et les héritiers du cardinal Veillot (le Secrétaire d’Etat français de Paul VI) et du cardinal Bugnini, l’ « inventeur » de la nouvelle messe ont pris le pouvoir avec François.
Jean Paul 1er ne craignait apparemment pas de déstabiliser l’Eglise en révélant l’infiltration par des forces obscures, avant que sa mort prématurée n’interrompe le processus de purification qu’il entendait mener.

Selon la présentation de l’éditeur:

Le pape Jean-Paul Ier a-t-il été assassiné ? Un complot international était-il en cours pour détruire la stabilité financière du Vatican ? La liturgie catholique était-elle sabotée pour la priver de sa vérité, de sa puissance et de sa beauté ? En 1975, Mgr Édouard Gagnon, alors archevêque, a été personnellement chargé par le pape Paul VI d’enquêter sur l’appartenance de la Curie romaine à la franc-maçonnerie : cette enquête s’est achevée en 1978, « l’année des trois papes ». Ce livre donne un compte rendu de première main de ce qui s’est passé pendant l’enquête papale et répond à de nombreuses questions posées depuis un demi-siècle, ce qui en fait le récit de première main le plus impressionnant sur la politique post-conciliaire du Vatican et la subversion de l’Église au plus haut niveau.

La franc-maçonnerie au Vatican. La mort d’Albino Luciani, l’année des trois papes et l’histoire de l’enquête Gagnon

Prenez un jeune prêtre américain dynamique et sympathique qui sert à Rome. Prenez un bon monseigneur canadien, consciencieux et intègre, à qui le pape, rien de moins, demande de mener une enquête approfondie sur la curie romaine, afin de déterminer si certains prélats de haut rang sont, comme on dit, francs-maçons. Prenez le successeur de ce pape et imaginez qu’il meurt subitement, après seulement trente-trois jours de pontificat, dans des circonstances jamais élucidées, après une rencontre houleuse avec l’un de ces prélats en odeur de franc-maçonnerie. Prenez le successeur du successeur et imaginez qu’il sous-estime l’enquête du monseigneur canadien, avant de reprendre ses esprits lorsqu’il est victime d’un attentat qui le laisse à moitié mort. Assaisonnez l’histoire avec un monseigneur, presque certainement un franc-maçon, qui est renvoyé du Vatican après avoir été chargé d’inventer la « nouvelle messe ». Ajoutez une banque, la banque du Vatican, qui est au bord de la faillite, un secrétaire d’État diabolique et un bon cardinal qui est démis de ses fonctions… On dirait l’intrigue d’un film du genre Anges et Démons. Au lieu de cela, il s’agit d’une chronique. C’est même d’histoire qu’il s’agit. Celle de l’année des trois papes et d’un dossier qui attend toujours d’être révélé.

L’histoire est racontée à la première personne dans le livre Massoneria vaticana. Logge, denaro e poteri occulti nell’inchiesta Gagnon par le jeune prêtre américain d’alors, le père Charles Theodore Murr, ami et assistant du bon monseigneur canadien à qui Paul VI avait confié l’enquête interne pour savoir qui et combien de hauts prélats de la Curie romaine étaient francs-maçons ou amis de la franc-maçonnerie. Il s’agit du canadien Mgr Edouard Gagnon (1918 – 2007), à l’époque vice-président du Conseil pontifical pour la famille, mais surtout connu pour son équité et son sens du devoir. En effet, après de longues et minutieuses investigations, il a constitué un joli paquet avec des noms et des prénoms, des accusations circonstanciées et une quantité d’informations à faire éclater une bombe aux proportions colossales.

Seulement, Paul VI, lorsque Gagnon se présente au palais apostolique en mai 1978 pour lui remettre le dossier, refuse de l’ouvrir. Prostré par l’enlèvement et le récent assassinat par les Brigades rouges de son ami Aldo Moro, le pape se sent trop vieux et trop malade pour s’occuper d’un tel problème et veut que ce soit son successeur qui s’en charge. Gagnon est abasourdi. Il tente de faire comprendre à Sa Sainteté qu’il ne faut pas perdre de temps, que les ennemis de l’Église doivent être terrassés le plus rapidement possible, mais Paul VI, fatigué et déprimé, sentant que la fin est proche, est inflexible.

Mgr Gagnon doit donc attendre l’arrivée du nouveau pape, mais c’est une question de moins de trois mois. Paul VI est mort le 6 août 1978 et voilà le monseigneur canadien qui frappe pour la deuxième fois à la porte du palais apostolique, cette fois pour une audience avec Jean-Paul Ier. Et les choses se passent beaucoup mieux : le nouveau pape prend au sérieux le travail d’enquête et demande des explications. Gagnon explique que tout est parti d’une enquête préliminaire menée par les cardinaux Staffa et Oddi avec l’aide du substitut pour les affaires générales de la Secrétairerie d’État, Mgr Giovanni Benelli. Paul VI lui-même, convaincu que la fumée de Satan s’est infiltrée dans la maison de Dieu, demande à Gagnon d’aller de l’avant et d’enquêter. Le résultat est le dossier que le pape Luciani a aujourd’hui sur son bureau. « Des évêques francs-maçons », murmure le pontife, incrédule.

L’image est terrible, explique Gagnon, mais tout est vérifié. Franc-maçon, ou du moins lié à la franc-maçonnerie, est le secrétaire d’État Jean Villot. Idem pour Mgr Bugnini, architecte de la réforme liturgique post-conciliaire, et le cardinal Sebastiano Baggio, très puissant préfet de la Congrégation pour les évêques, bref, l’homme qui, au nom du pape, sélectionne les candidats à l’épiscopat pour tous les diocèses du monde. Sans parler des infiltrations à l’IOR, la banque du Vatican.

Face à la sentence du pape Luciani, Mgr Gagnon ne peut s’empêcher de dire les choses telles qu’elles sont :

« En fait, les francs-maçons ont maintenant un contrôle presque asphyxiant sur l’Église. La vérité, Saint-Père, c’est que vous avez hérité d’une Église dans un état de confusion terrible. La situation est désastreuse, mais elle peut maintenant être guérie ».

Oui, tout n’est pas perdu. Et le pape Luciani a l’intention d’agir maintenant. En effet, lorsque Gagnon retourne à sa voiture garée dans la cour de San Damaso, où l’attend le jeune père Charlie Murr, il est radieux : « Le Tout-Puissant nous a envoyé l’homme qu’il fallait pour ces temps difficiles !

Mais l’enthousiasme du monseigneur sera de courte durée. Le matin du 29 septembre de cette incroyable année 1978, le pape Luciani est retrouvé mort. Villot s’empresse de faire connaître une version de complaisance, selon laquelle le pontife serait mort dans son lit, très certainement d’une crise cardiaque, alors qu’il lisait L’Imitation du Christ. Villot lui-même refuse l’autopsie et s’empresse de faire taire les rumeurs et les déductions.

Les soupçons sont nombreux et Gagnon n’est d’ailleurs pas du tout convaincu par la version officielle. Il apprend que le pape Luciani a eu une violente altercation avec le cardinal Baggio la veille de sa mort, à tel point que les gardes suisses de service ont entendu les cris jusque dans les couloirs du palais apostolique. Il commente :

« On peut tuer un homme de bien des manières. Les rumeurs d’empoisonnement sont à mon avis absurdes, le pape n’a donc pas été assassiné. Mais si vous me demandez si je pense qu’il a été tué de manière indirecte, ma réponse est oui, je le pense« .

Le timide Luciani, dont le cœur n’était pas en parfait état, aurait été traumatisé par les révélations de la relation et la rencontre houleuse avec Baggio qui s’en est suivie. Jean-Paul Ier avait décidé d’écarter le cardinal en le nommant patriarche de Venise, mais le refus de Baggio fut total.

Comment ne pas comprendre le traumatisme et le désarroi de Luciani ? Le pape nouvellement installé apprend que son plus proche collaborateur est très probablement franc-maçon, de même que le cardinal qui choisit les évêques. Il se rend également compte que les finances du Vatican sont gravement menacées. Et que dire de la messe post-conciliaire ? Voulue et conçue par un franc-maçon !

C’est dans ce climat que se tient le nouveau conclave d’où est élu, le 16 octobre 1978, le jeune et solide cardinal polonais Karol Wojtyła.

Et Mgr Gagnon ? Comme il l’avait déjà fait avec Paul VI et Jean-Paul Ier, il demande immédiatement une audience, mais il est déçu. Il devra attendre. Le nouveau pape, en effet, ne semble pas particulièrement désireux de connaître le contenu du dossier. Il pense plutôt à sa Pologne, toujours sous l’emprise soviétique, et à la nécessité de parcourir le monde.

La troisième tentative de remise du dossier n’a lieu que quatre mois plus tard, en février 1979, et c’est à nouveau le père Charlie qui accompagne Mgr Gagnon en voiture jusqu’à la cour de San Damaso. Comment va se dérouler l’audience ?

Quelques minutes s’écoulent, Monseigneur revient et le père Charlie sent tout de suite que les choses ne se sont pas bien passées. Gagnon, le visage sombre, demande à être raccompagné et ne parle pas. Il ne fait qu’une seule demande : le lendemain, il veut qu’on le conduise à l’aéroport de Fiumicino. Il a l’intention de partir immédiatement.

Le père Charlie est incrédule : « Mais, Votre Excellence… ».

« Peu importe », répond Gagnon, visiblement indigné. « J’ai pris ma décision. Je quitte Rome, je quitte le Vatican. Qu’ils continuent à se vautrer dans leur corruption si c’est ce qu’ils veulent. Quant à moi, je ne veux pas rester même une journée ! »

Le lendemain, avant de rejoindre l’aéroport avec Gagnon, le père Charlie reçoit une dernière mission de Monseigneur : porter une enveloppe à la Secrétairerie d’État. À l’intérieur se trouve la démission de l’archevêque. L’ordre est de ne pas la laisser à l’huissier mais de la remettre entre les mains de Villot, ce qui est fait. Après l’avoir lue, le secrétaire d’État, qui est très malade (il mourra d’un cancer du poumon un mois plus tard), est furieux, mais il ne peut rien faire pour retenir Gagnon. Monseigneur a pris sa décision : il sera missionnaire parmi les pauvres, en Colombie.

Quelque deux ans plus tard, Gagnon reçoit un coup de téléphone de Rome. Le pape Wojtyła, qui est miraculeusement sorti vivant de l’attentat de la place Saint-Pierre le 13 mai 1981, se souviendra du monseigneur détective et demandera à le voir d’urgence. Et cette fois, il se montrera beaucoup plus intéressé par l’enquête.

Murr rapporte que Jean-Paul II a proposé à Gagnon de revenir à Rome, et que Monseigneur a accepté à une condition : le retrait du cardinal Baggio de la Congrégation des évêques et celui de Mgr Marcinkus de l’IOR. Gagnon revient donc à Rome, devient président du Conseil pontifical pour la famille en 1983 et est créé cardinal par le pape en 1985. Paul Marcinkus (1922 – 2006) reste cependant à l’IOR jusqu’en 1989 et Baggio, écarté de la Congrégation pour les évêques en 1984, reste néanmoins actif dans les palais sacrés, d’abord comme président de la Commission pontificale pour l’État de la Cité du Vatican, puis comme chambellan de la Sainte Église romaine. Il est décédé en 1993.

Dans la préface du livre de Murr, l’historien de l’Église Roberto de Mattei affirme que Gagnon a commis une erreur fatale en apportant le dossier à Jean-Paul II. Décrivant la situation dramatique de l’Église, il ne put retenir ses larmes et apparut ainsi à l’énergique pape Wojtyła comme un homme en détresse, déprimé, peut-être déséquilibré, en un mot peu fiable. C’est peut-être pour cette raison que, pris par d’autres urgences, le pontife polonais n’envisage pas d’examiner le dossier.

Mais Gagnon est loin d’être peu fiable. Comme l’a écrit un « ami, frère et prêtre » anonyme dans une note introductive, le rapport a été fait par un homme qui aimait l’Église et la vérité, un homme dont la mémoire doit être honorée. Et aujourd’hui, ceux qui aiment l’Église et la vérité « peuvent à juste titre exiger que ces conclusions soient connues ».

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