Le « catho-conservateur » américain a publié un article dans lequel il met en garde contre la possibilité d’ouvrir le conclave à des laïcs: de puissants lobbies pourraient en profiter pour faire élire, avec tous les attributs de la légitimité, un pape de leur choix, et imposer leur agenda, aux antipodes de la doctrine millénaire. Autrement dit une répétition du droit de veto exercé dans le passé par les cardinaux et les empereurs. Avec la différence inquiétante qu’à l’époque, les princes agissaient ouvertement, en leur nom propre, alors que les puissants d’aujourd’hui se cacheraient derrière d’obscurs mandataires (légitimés, répétons-le, par la réforme), au nom d’une prétendue défense du bien commun.

LE VOTE ET LE VETO

George Weigel : les risques d’un « conclave synodal ».

BORGO PIO (La NBQ)
24 novembre 2023

Si le projet de réforme se concrétisait, il finirait par conditionner l’élection du Pape à des logiques mondaines, reproposant précisément ce qui est reproché aux siècles passés.

AFP PHOTO / ALBERTO PIZZOLI (Creative Commons)

George Weigel, biographe de deux papes et auteur influent dans le monde catholique, intervient à son tour dans le débat suscité par les rumeurs sur un projet de réforme du conclave en clé synodale.

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Le vrai risque est de subordonner l’élection du pape à une logique mondaine. Apparemment, Weigel part de loin dans l’article paru dans First Thingsrappelant l’ancien droit de veto exercé lors de divers conclaves par les souverains et les empereurs par l’intermédiaire de cardinaux « de confiance ». Un droit connu sous le nom de ius exclusivae qui a été aboli par la constitution apostolique Commissum nobis, promulguée en 1904 par saint Pie X. Paradoxalement, il fut le dernier pontife élu grâce à ce privilège exercé, pour la dernière fois dans l’histoire, par l’empereur François-Joseph, qui avait opposé son veto à un autre papabile, le cardinal Mariano Rampolla del Tindaro [1843-1913; il fut secrétaire d’état de Léon XIII]. Bien sûr, l’empereur n’était pas physiquement présent au conclave, mais c’est le cardinal Jan Puzyna de Cracovie qui porta le veto en son nom.

La question « peut sembler anachronique aujourd’hui ». En réalité, elle pourrait se poser à nouveau mutatis mutandis si le projet de réforme du conclave venait à se concrétiser, en particulier là où il est question d’intégrer dans le collège des électeurs « un mélange de laïcs, d’hommes et de femmes, de clercs et de religieux » et d’utiliser, dans les congrégations pré-conclaves, « la méthodologie facilitée par la ‘conversation dans l’esprit’ du Synode 2023 pour « discerner » ce dont l’Église a besoin chez un nouveau pape ».

À travers ces « ouvertures », « d’autres pouvoirs mondiaux chercheront certainement à exercer d’autres formes de « veto »« , dit Weigel, et même plus intrusives que celles exercées dans le passé par un seul souverain contre un papabile : « Les gouvernements hostiles à l’Église voudront sans aucun doute mettre les rames dans les eaux du conclave (…) la Chine, la Russie, Cuba et le Venezuela » [et pas qu’eux! même si Weigel tend un voile pudique, ndt].

Et ensuite, « il y a les milliardaires philanthropes » pour qui

« l’Église catholique est la dernière grande institution mondiale à faire obstacle à l’agenda arc-en-ciel (…) ; ces hommes et ces femmes ont déjà jugé utile de verser des millions de dollars dans des référendums sur l’avortement dans des pays historiquement catholiques, et il n’y a aucune raison de penser qu’ils auraient des scrupules à utiliser leur richesse pour influencer les discussions d’avant-vote pendant un interrègne pontifical ».

Peut-être en étant eux-mêmes nommés dans le « quota laïc » des électeurs. S’il est vrai que les dynamiques humaines se sont toujours mêlées au sein d’un sanctuaire, les anciens enjeux de pouvoir seraient remplacés par des influences bien plus importantes et à plus long terme, puisque de nature idéologique.

Un tel scénario, que l’on espère seulement hypothétique, ouvrirait les portes de la chapelle Sixtine non plus aux monarques et aux empereurs, mais à des lobbies et à des agendas bien plus pressants.

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