Belle réflexion de Rino Cammilleri (un hôte récurrent de ce blog). Il fait (malheureusement?) partie de ceux qui pensent que Benoît XVI a renoncé au pontificat parce qu’il a renoncé à se battre, et que pour mettre en œuvre ses idées, il lui aurait fallu un tout autre tempérament (que son successeur a, mais pas pour le bien de l’Eglise…).

Aujourd’hui, l’Église est littéralement encerclée. Il y a des requins dans l’océan international qui peuvent la mettre en faillite quand ils le veulent. Il y a Hollywood qui, régulièrement, met au jour des œuvres, bien sûr immédiatement récompensées, sur la pédophilie supposée du clergé catholique (et uniquement sur elle)

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Et puis il y a des loups même dans la bergerie, et Ratzinger le savait bien. Et finalement, vieux et assiégé dans un mur de caoutchouc, il a préféré renoncer

Comme il nous manque, Benoît XVI, le pape qui avait vu les loups dans l’Église

Rino Cammilleri
30 décembre 2023

Un an après la mort de Ratzinger, l’Église est littéralement encerclée. C’était un homme doux, mais pour mettre en oeuvre ses idées, il fallait autre tempérament

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François d’Assise a-t-il promis à ses disciples un logement confortable avec air conditionné et télévision ? Non : la faim, le froid, le labeur et la sueur. Et il a créé un ordre religieux qui défie les siècles. Avant que le directeur Sallusti ne me mette à la porte, j’avais derrière moi trente ans de bons et loyaux services au « Giornale ». Je tenais la chronique « Le saint du jour ». J’avais fait de même pendant cinq ans à l’Avvenire. Je m’y connais donc [en saints!}.

Il faut savoir que lorsqu’un ordre religieux commençait à dépérir, un saint arrivait et le refondait, c’est-à-dire qu’il le restaurait. Comment ? En le ramenant à la rigidité primitive de la Règle. S’il échouait, il en créait une nouvelle branche. Pour en rester aux franciscains, c’est ainsi que naquit l’Observance [Frères mineurs de l’Observance, ndt] et, lorsqu’elle a commencé à dépérir, les capucins, qui allaient pieds nus et ne se rasaient pas. Ceux de Padre Pio, pour nous comprendre.

Tout cela parce que, dans l’Église, le seul « aggiornamento » qui fonctionne est la « restauration ». C’est-à-dire le contraire de « l’adaptation » aux temps qui changent. Un grand exemple historique : la crise luthérienne qui a divisé la chrétienté. L’Église a-t-elle réagi par des « ouvertures » ? Pas du tout : trois tours de vis, avec le Concile de Trente.

Joseph Ratzinger, alias Benoît XVI, le « pape savant » qui connaissait l’histoire de la chrétienté mieux que moi, devait bien savoir tout cela. Dès le départ, il ne s’est pas choisi un nom folklorique, mais un nom traditionnel. Tranquillement, il a restauré la croix astylaire au lieu de celle avec le crucifix en forme d’équerre. Il a même restauré l’ancien camauro, la coiffe papale telle qu’on la voit dans les peintures de la Renaissance.

Mais ses plus grandes attentions, il les a réservées à la liturgie, même s’il devait se mouvoir à pas feutrés, connaissant ses poulets. C’est lui qui a créé l’ « anglorum coetus », c’est-à-dire qui a ouvert les portes à tous ces anglicans qui, lassés du mariage gay et des évêques trans, voulaient rentrer à la maison, comme le fils prodigue. Pourquoi est-ce son mérite personnel? Parce qu’auparavant, les conversions au catholicisme étaient découragées par les prêtres eux-mêmes, convaincus que l’ « œcuménisme » guérirait la fracture historique d’Henri VIII. Au lieu de cela, la fracture s’est encore élargie, le clergé anglican étant convaincu qu’en épousant des idéologies mondaines, il survivrait.

Ratzinger n’a pas caché, dans les livres qu’il a publiés avant son pontificat, sa sympathie pour la liturgie traditionnelle, la messe de saint Pie V, en latin et dos aux fidèles. Il écrivait que la messe moderne avait retiré Dieu de son centre et y avait placé le prêtre, avec son talent d’amuseur. Il savait bien que le résultat était l’ennui, la banalité, la perte du sens du sacré. Mais il savait tout aussi bien que le clergé post-conciliaire ne renoncerait pas à la messe à son image et à sa convenance. Il a donc procédé étape par étape, en commençant par autoriser l’ancienne messe à ceux qui le souhaitaient. Il était parfaitement conscient qu’il rencontrerait une résistance farouche parmi les siens. Oui, parce qu’une messe adaptée aux prêtres a pour défenseur désespéré le prêtre lui-même.

« Priez pour moi, afin que je ne m’enfuie pas devant les loups », avait-il dit dans son homélie d’inauguration. Aujourd’hui, l’Église est littéralement encerclée. Il y a des requins dans l’océan international qui peuvent la mettre en faillite quand ils le veulent. Il y a Hollywood qui, régulièrement, met au jour des œuvres, bien sûr immédiatement récompensées, sur la pédophilie supposée du clergé catholique (et uniquement sur elle). Il y a les journalistes qui découvrent des abus dans des pensionnats tenus par des religieuses, avec éventuellement des meurtres (Canada) ou des bébés vendus à l’insu de leur mère (Belgique). Il s’avère ensuite que rien n’était vrai, mais le démenti – comme d’habitude – ne voit jamais le jour, en tout cas pas avec la même emphase. Et puis il y a des loups même dans la bergerie, et Ratzinger le savait bien. Et finalement, vieux et assiégé dans un mur de caoutchouc, il a préféré renoncer [en italien: defilarsi; l’idée exprimée ne me plaît pas]

Benoît XVI était un homme doux, mais pour faire ce qu’il avait en tête, il fallait un tout autre tempérament de combattant et de stratège. Son successeur tente de faire le contraire. Il s’agit également d’une stratégie. Nous verrons bien.

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