L’édition complète du livre désormais classique de Benoît XVI vient de sortir en langue russe. Il a été présenté à Moscou ces jours-ci avec la « bénédiction de l’église orthodoxe russe » . En toile de fond, un lourd dossier géopolique. Une petite graine, apparemment, dans un pays qui compte à peine 1% de catholiques et où la pratique religieuse orthodoxe, comme celle catholique chez nous, reste de pure forme. Mais on le sait, « le bien ne fait pas de bruit », et la graine pourrait porter des fruits à long terme. Au point que le portail catholique espagnol Religion en libertad, qui donne l’information, peut titrer « Benoît XVI et son Jésus peuvent-ils sauver la Russie? »
(Un grand merci à Carlota qui m’a transmis cet article)

Benoît XVI et son Jésus peuvent-ils sauver la Russie ?

Son grand livre sur le Christ y est désormais en circulation

www.religionenlibertad.com
18 janvier 2024

Cent ans après les « procès de Moscou » par lesquels les soviets ont officiellement commencé leur persécution des catholiques, la Russie est à nouveau en guerre, avec des libertés fortement restreintes et une population qui cherche à s’étourdir, ou tente de trouver un sens vital dans l’idéologie nationaliste. Il y a aussi ceux qui se posent de fortes questions spirituelles : le pouvoir politique n’est pas tout, pensent-ils, et ils constatent d’ailleurs qu’il ne semble même pas efficace pour la vie de tous les jours.

C’est dans ce contexte que Jésus arrive. Plus précisément, le Jésus de Benoît XVI, qui est à la fois un Jésus surnaturel et un Jésus très raisonnable, raisonné, argumenté. Il s’agit de la trilogie Jésus du pape Benoît, qui a été publiée en trois volumes dans le monde entier (en 2007, en 2011 et en 2012), et distribuée à 7 millions d’exemplaires dans 160 pays et 54 langues, selon la Fondation Joseph Ratzinger-Benoît XVI du Vatican. Le premier volume a été publié en russe en 2009, mais il existe désormais une nouvelle traduction et édition avec les 3 parties en un seul volume.

Un livre catholique avec la bénédiction de Moscou

Le livre a été présenté le 17 janvier à Moscou au centre culturel de la Bibliothèque de l’Esprit. Il est le fruit du travail d’une entité catholique (l’Académie internationale Sapientia et Scientia de Rome) avec une entité orthodoxe, le Département des relations extérieures de l’Église du Patriarcat de Moscou. Il arrive donc, pourrait-on dire, avec la bénédiction de l’Église orthodoxe russe qui, à la suite de la guerre d’Ukraine et de sa lutte contre Constantinople et Alexandrie, se trouve acculée au niveau international par de nombreuses autres Églises orthodoxes.

L’homme qui a traité pendant des années avec Benoît XVI en tant que responsable des « affaires étrangères » du patriarcat de Moscou et successeur patriarcal potentiel est le métropolite Hilarion Alfeyev. Mais il n’est plus en Russie. En juin 2022, quatre mois après l’invasion russe de l’Ukraine, en plein réarmement nationaliste du patriarcat, à Moscou, on l’a vu comme peu enthousiaste à l’égard de la guerre, et il a été envoyé au loin pour paître les orthodoxes russes en Hongrie (il n’y en a pratiquement pas). C’est une sorte d’exil où il ne se salit pas trop les mains, traite avec le cardinal Peter Erdö (papabile) et peut faire un peu de diplomatie avec le gouvernement hongrois, le seul de l’Union européenne auquel Poutine parvient à faire passer quelques messages.

Hilarion étant en quelque sorte en exil, le nouveau responsable des relations extérieures de l’Église sera le métropolite Antoine de Volokolamsk, qui a assisté à la présentation du livre de Benoît XVI pour faire l’éloge du texte.

Des photos de l’événement sont disponibles sur le site du patriarcat de Moscou (cf. https://mospat.ru).

« Une authentique éthique universelle », déclare le métropolite Antoine.

« Ce volume place Dieu fait homme au centre du débat contemporain sur la culture, la politique, les relations sociales, la compréhension de la justice et la possibilité d’une éthique universelle authentique », a énuméré le métropolite Antoine lors de son premier grand événement culturel avec les catholiques.

Peut-être pour se justifier, le métropolite Antony a déclaré qu’il avait rencontré Benoît XVI personnellement et communiqué avec lui à plusieurs reprises et a noté « l’importance qu’il attachait au développement de l’interaction entre l’Église catholique et l’Orient chrétien en général et avec l’Église orthodoxe russe en particulier ».

Antony a déclaré à propos du livre

Il est impossible de ne pas être émerveillé par l’érudition colossale de Joseph Ratzinger, qui montre en plein sens un exemple ‘universel’ de maîtrise de toutes les richesses de l’exégèse chrétienne traditionnelle et en même temps d’une excellente orientation dans les problèmes de l’herméneutique philosophique moderne, de la critique textuelle et des études bibliques en général.

Il a ajouté que le livre est « une brillante compréhension d’un matériau colossal », « subordonné à l’objectif pastoral : présenter à l’homme du XXIe siècle une image complète, pure et d’une profondeur inépuisable du Christ ».

Le métropolite Antoine a d’ailleurs rédigé l’une des préfaces du livre, où il assure que ces travaux de Ratzinger confirment la possibilité d’un dialogue entre la raison et la foi, et permettent une compréhension « plus profonde » de « la tradition de l’Église, ce qui est la condition préalable pour proclamer son éternelle pertinence dans une situation de changement constant ».

Parolin parle des « victimes de la violence ».

Un autre avant-propos du livre dans cette édition russe est écrit par le cardinal Pietro Parolin. Il parle de « l’échec apparent » du tombeau du Christ et du fait que notre monde se détourne du Christ et de sa résurrection.

Parolin poursuit en disant que pour Ratzinger, ce sont souvent précisément « les victimes de la violence, celles qui sont embourbées dans des atrocités, qui élèvent des prières et soulignent le contraste entre Dieu et sa volonté face aux intérêts du monde et aux pouvoirs terrestres ». C’est une allusion courageuse si l’on considère que depuis 2022 en Russie, quiconque qualifie de « guerre » ce qui se passe en Ukraine est emprisonné ou condamné à une amende, et que quiconque critique la guerre peut être accusé de trahison.

Ensuite, Parolin parle d’une tentation que Benoît XVI dénonce : sélectionner dans les paroles de Jésus ce qui est agréable, mais ne pas l’accepter, lui et son témoignage, dans son intégralité. Et il rappelle que le pape Benoît XVI a dit qu’avec son livre, il cherchait à favoriser l’amour pour Jésus.

La rencontre a servi à lancer la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens et à se souvenir du pape Benoît XVI, décédé il y a un an.

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Damir-Hasrat Muhetdinov, premier vice-président de l' »Administration spirituelle des musulmans de la Fédération de Russie », a également prononcé un discours sur Benoît XVI.

Parmi les présents : l’archevêque catholique de Moscou, l’Italien Paolo Pezzi; Aleksandr Alekseyevich Avdiyev, ambassadeur de Russie auprès du Saint-Siège de 2013 à 2023 (un autre « changement » pendant la guerre, probablement parce qu’il n’était pas belliciste) ; Igors Lapshin, coordinateur du projet de publication du volume ; et Damir-Hasrat Muhetdinov, représentant des musulmans de la Fédération de Russie. Pietro Luca Azzaro, éditeur de l’Opera Omnia de Joseph Ratzinger et membre de l’Academia Sapientia et Scientia, a participé par vidéoconférence.

Les intervenants ont convenu que le livre de Benoît rapprochera les lecteurs du mystère du Christ, en s’appuyant sur d’importantes études historiques et exégétiques.

Les Russes ne savent rien ou presque de Jésus

La vérité est que la grande majorité des Russes ne savent presque rien de Jésus, même si depuis quelques années, les enfants ont le choix entre la matière « religion orthodoxe » ou « valeurs patriotiques » à l’école. Les catholiques représentent moins de 1 %. Ceux qui se déclarent orthodoxes sont plus de 60 %, mais parmi eux, un tiers (selon une enquête du Centre Levada de 2012) déclare également ne pas croire en Dieu : ce qu’ils veulent dire en se déclarant orthodoxes, c’est qu’ils ne sont pas musulmans ou bouddhistes, qu’ils ne sont pas tatars, ouzbeks, bouriates ou bachkirs. Les Russes qui vont à l’église à Noël ou à Pâques sont peut-être 2 ou 3 %.

Le dernier grand livre russe à avoir été largement diffusé et à avoir réussi à populariser la figure de Jésus, avec des arguments historiques, anthropologiques et de tradition hébraïque, est Jésus, le maître de Nazareth , qui s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires dans les années 1980 et 1990, par le prêtre orthodoxe – et très ouvert à l’œcuménisme – Alexandre Men. Mais Men devait déranger quelqu’un du KGB ou d’un échelon supérieur et, le 9 septembre 1990, il a été assassiné à coups de hache sur un sentier forestier alors qu’il se rendait à la messe. Boris Eltsine, qui était alors président du Soviet suprême de ce qui était encore l’Union soviétique, a demandé une minute de silence dans la salle.

Jusqu’à présent, une personne qui aimait lire et voulait connaître Jésus « presque à partir de zéro » se tournait vers le livre de Men. Aujourd’hui, en Russie, beaucoup peuvent approcher Jésus par l’intermédiaire de Benoît XVI. Qui sait ce qui pourrait arriver ?

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