L’interview de Poutine par Tucker Carlson est un événement mondial (Y. Daoudal) , et pourtant les médias mainstream (au moins ceux véhiculés par les supports les plus populaires, télévision, radio, il faut avoir la curiosité de rechercher sur internet le mot-clé spécifique pour accéder à des comptes-rendus … forcément à charge) de notre Occident éclairé en ont à peine parlé, si ce n’est pour démolir le journaliste. Pour le moment, je n’ai pas trouvé d’autre traduction en français que celle générée par l’IA – dont la fiabilité est aléatoire si elle n’est pas « relue » par un humain bien informé.
Le blog italien de Sabino Piaciolla propose une synthèse « à la volée », fort intéressante en attendant de lire le compte-rendu officiel.

Poutine de vue

J’ai regardé l’interview de Tucker Carlson avec le président Vladimir Poutine environ une heure et demie après sa mise en ligne sur X. Quand j’ai commencé, il y avait 13 millions de vues. Quand j’ai terminé, deux heures plus tard, il y en avait déjà 35 millions.

L’annonce de l’interview publiée le 6 février (le jour où l’interview a été filmée) a été vue par 106 millions de personnes à l’heure où nous écrivons ces lignes. Si l’on considère que Carlson – renvoyé de Fox News à la suite d’une accusation non fondée de racisme liée à certaines déclarations sur le « grand remplacement » en cours en Occident – agit en tant que pigiste, ces chiffres sont énormes.

Cette interview marque probablement un tournant historique dans les communications de masse. On peut supposer que si une grande chaîne comme Sky, ou la BBC, ou CNN avait présenté le même produit (mais nous savons que malgré les demandes pressantes de professionnels internes, ils se sont abstenus de demander à Poutine ce qu’il pense de la situation actuelle), elles auraient eu du mal à avoir autant de succès.

Un précédent similaire est peut-être l’interview d’un obscur journaliste britannique, David Paradine Frost, avec Richard Nixon, des années après le scandale du Watergate qui a contraint Nixon à démissionner. Dans ce cas, Frost a réussi, après six jours d’entretien, à arracher à Nixon l’aveu qu’il avait menti au peuple américain. Les différences entre les deux affaires sont nombreuses – la principale étant que Frost a interviewé Nixon en 77, trois ans après la démission du président, alors que Carlson a interviewé Poutine pendant les événements – et pourtant il est difficile de trouver quelque chose de comparable.

Les réactions furieuses à l’initiative de Carlson (Clinton le compare à un « toutou », l’ancien Premier ministre belge et député européen Guy Verhofstadt demande des sanctions de l’UE contre sa personne) montrent que le journaliste américain a touché un nerf sensible. Les maître à penser [en français dans le texte] du libéralisme woke, pro-Ukraine, inconditionnellement pro-Israël mais fidèles de la Science et pro-vaccin pratiquants, émettent des bulles de colère comme un jacuzzi.

Les résultats étonnants de ce morceau d’histoire journalistique montrent que beaucoup, beaucoup de gens veulent entendre l’autre côté. Beaucoup, beaucoup de gens sont prêts à écouter la voix du dictateur fou sanguinaire et moribond Poutine grâce au profil X du paria intouchable Tucker Carlson. Peut-être qu’un léger soupçon commence en effet à poindre dans les masses moutonnières, qui se rendent compte qu’elles se font largement mener en bateau sur de nombreux sujets.

Aussi négociée que soit l’interview, on a la nette impression que le dictateur fou assassin laisse à Carlson une certaine liberté : plus d’une fois les questions et les interactions normales (l’interview est montée, mais les plans de séquence des questions et des réponses sont longs et intégraux) montrent un Poutine surpris, amusé, qui a besoin de quelques instants de réflexion. Il s’agit, à la limite, d’un dialogue normal entre deux hommes.

En revanche, le criminel de guerre Poutine fait preuve d’un calme olympien, il est très attentif et détendu tout au long de l’interview. Il fait surtout preuve d’une connaissance et d’une conscience vraiment impressionnantes de ce qui se passe. On peut ne pas être d’accord et traiter cela de « propagande russe », mais cela ne peut dispenser personne de se rendre à l’évidence.

Il serait naïf de penser que cette interview fera pencher la balance sur la folie en cours ; cependant, les craquements dans le jeu sont de plus en plus évidente. Nous avons d’un côté des dirigeants médiocres qui aboient, crient et insultent quiconque exprime une pensée et un sentiment non alignés – selon la leçon de Goebbels : rejetez sur votre adversaire vos propres fautes – et de l’autre côté des dirigeants qui font leurs propres intérêts et ceux de leurs peuples, mais le font de façon rationnelle. Le sens peut ne pas plaire, on peut ne pas être d’accord, mais il est là. Je crains qu’on ne puisse pas en dire autant des dirigeants occidentaux.

Qu’a dit Poutine ? Je vous propose un rapide tour d’horizon à chaud des déclarations qui m’ont marquées, sans prétendre à l’exhaustivité ni à une fidélité absolue au sens général ou aux intentions. D’autre part, je pense que d’autres points de vue et une réflexion plus approfondie sont nécessaires. La nouvelle, cependant, c’est que le contenu est là et, comme le disent les Américains, « le contenu est roi », content is king.

1- Tout d’abord, Poutine parle avec une grande précision. Il exprime des concepts complexes dans un langage que même les marmottes peuvent comprendre. Dans les vingt premières minutes, il donne à Carlson une brève leçon d’histoire russe et ukrainienne avec une synthèse magistrale. Il n’est pas fréquent d’entendre un dirigeant politique, aussi pervers et malade mental que Poutine (selon les experts), de ce niveau parler d’histoire avant d’aborder des sujets d’une actualité brûlante.

2- Poutine a affirmé avoir abordé le sujet de l’entrée de la Russie dans l’OTAN avec le président Clinton, qui s’est d’abord montré très favorable mais qui, quelques heures plus tard, après avoir consulté ses conseillers, avait dit au président russe que ce n’était pas possible.

Quelque chose de similaire s’est produit lorsque Poutine a proposé à Bush père, puis au président George Bush fils et à Condoleeza Rice la création d’un bouclier antimissile commun : une proposition qui a vu des ouvertures du côté américain, s’est rapidement évaporée.

Ce n’est pas tout, Poutine affirme avoir fourni au président américain des preuves du financement et du soutien américains à des groupes terroristes au Moyen-Orient. Après les avoir examinées, l’Américain se serait exclamé : « Je vais leur botter le train » mais, note Poutine, cette dénonciation directe n’a pas été suivie d’effet.

Dans ce cas comme dans d’autres, le Russe débauché exhorte à plusieurs reprises le journaliste à vérifier directement auprès des sources directes : Clinton, Bush, Rice.

3- Dans un passage, Poutine rappelle les applaudissements émus du parlement canadien pour le nazi pro-ukrainien, qualifiant de déconcertant cet épisode qui, de plus, s’est déroulé devant le président ukrainien Zelensky, qui est juif. Il s’agit là d’un symptôme d’un court-circuit culturel-historique et cognitif que le président russe, psychopathe avéré comme le certifient les expertises de grands pontes locaux, a du mal à comprendre.

4- À la question de Carlson « qui a fait sauter les deux pipelines Nord Stream ? », Poutine répond par un sec mais poli « vous les Américains, c’est maintenant établi ». Il ajoute : dans ce genre de choses, il faut toujours se demander qui avait intérêt à le faire et qui avait la capacité de le faire. Le croisement des réponses à ces questions permet généralement de dresser le portrait-robot du coupable. Sans oublier l’enquête d’un autre formidable journaliste indépendant américain, le lauréat du prix Pulitzer Seymour Hersch, sur le sujet.

5- Interpellé par Carlson sur la « propagande russe » et la « version officielle » des faits fournis généralement propagée par le mainstream, Poutine répond qu’il est difficile de battre les Américains en matière de propagande, puisqu’ils contrôlent tous les médias du monde. Ce qui est difficilement contestable.

6- Poutine souligne ensuite la tragique erreur de calcul des Américains, qui utilisent le dollar pour financer leur domination militaire sur le monde. Imprimer des dollars qui ne sont plus garantis par aucun actif – Poutine donne l’exemple de l’Arabie saoudite qui échange du pétrole contre des yuans chinois, et souligne que les échanges entre la Russie et la Chine augmentent régulièrement et rapidement – c’est se suicider. C’est ce qu’il dit à Carlson : « Vous êtes en train de vous suicider vous-mêmes ». D’ailleurs, ajoute le président malade mental, vous pouvez mettre en œuvre de nombreuses stratégies hégémoniques, mais ‘vous ne pouvez pas empêcher le soleil de se lever’.

7- Quant à Trump, Poutine dit quelque chose d’intéressant : il l’estime en tant que personne mais, précise-t-il, ce n’est pas une question d’attitudes et de qualités personnelles, mais de ‘l’attitude mentale des élites’. L’impression que la référence concerne aussi lui-même et la Russie est plus que concrète [???].

8- Carlson pose à Poutine une question pour le moins spinozienne. Il lui demande : que signifie pour vous être un leader chrétien ? Poutine répond qu’il s’agit de faire preuve de « loyauté envers les autres religions en Russie, comme les musulmans et les juifs ». Et il précise : il y a des différences, et quelques valeurs communes. Un chrétien se protège, protège sa famille et sa patrie. Cela, dit Poutine, est au cœur de la culture russe. La culture russe est orientée vers l’homme : regardez Dostoïevski qui, affirme Poutine, est la culture russe.

Alors, l’exhorte Carlson vers la fin, vous pensez que nous sommes inhumains. Poutine : « Je ne pense pas que vous soyez inhumains, mais vous voyez : chaque nation s’élève, prospère et se décompose – pensez à l’empire romain, pensez aux barbares qui, après avoir été détruits, ont évolué vers une nouvelle civilisation ».

9- Le président russe ne néglige pas de mentionner ce qu’il considère comme les menaces actuelles les plus graves pour l’humanité : la recherche génétique et l’intelligence artificielle. Il affirme que le « croquemitaine de l’Occident n’est pas la Russie, mais la Chine ».

Pourquoi, demande Carlson. Parce que les Russes sont 140 millions, alors que les Chinois sont un milliard et demi.

Mais c’est une interview qui mérite vraiment d’être regardée dans son intégralité, quelle que soit votre façon de penser.

En conclusion, malgré quelques réticences personnelles sur les magnifiche sorti e progressive [ndt: « l’admirable destin, les progrès de l’Histoire », allusion à un poème de Leopardi « La ginestra/Le genêt »] de l’Occident collectif et quelques pressentiments sur l’échec du mondialisme, en écoutant le travail de Carlson et en le mettant à côté du bouillonnement des médias dits « officiels » (ceux qui voudraient dispenser la seule vérité admissible, celle établie par le Digital Service Act européen), une question s’est posée avec laquelle je veux prendre congé : nous sommes l’Occident de quel Orient, si nous ne voulons pas reconnaître la dignité de ce dernier et percevons son existence seulement et uniquement comme une menace ?

Pour l’instant, le discutable Carlson a montré qu’il est un véritable Américain attaché bec et ongles à sa liberté, et Poutine qu’il n’est pas le fanatique à la tête vide qu’on nous a offert jusqu’à présent.

Share This