Biographe contre biographe. Mais en s’entretenant avec le journaliste bavarois, Benoît XVI, avec son élégance et sa discrétion habituelles n’a pas cherché à se construire une image, encore moins à réécrire l’histoire, à la différence de El Sucesor avec Javier Brocal. Justement, au cours de ces entretiens, François a insinué l’idée que Benoît XVI fut un pape de transition. Ce contre quoi Seewald s’élève avec vigueur: ce fut un grand pape, et il a marqué l’l’histoire.
Une petite parenthèse: de ce qui émerge ici, Peter Seewald reste muet sur les petite arrangements avec la vérité du récit de François concernant (entre autre) le conclave qui a élu Benoît XVI, et les attaques mesquines contre don Georg; on l’aurait aimé plus pugnace. Mais peut-être le meilleur reste-t-il à venir.

Le fait est que cet homme n’a pas seulement écrit la biographie du siècle, il est entré dans l’histoire. Sans parler de ses contributions au débat social, qui lui ont valu d’être reconnu dans le monde entier comme un penseur pionnier du tournant du siècle. L’historien anglais Peter Watson le considère même comme si important qu’il compte Ratzinger parmi les « génies allemands » de l’époque où il était cardinal, aux côtés de grands noms tels que Beethoven, Bach et Hölderlin.

Seewald corrige François :

Benoît a écrit l’histoire

(Ratisbonne). 
Dans une interview accordée au « Katholische SonntagsZeitung für das Bistum Regensburg », Peter Seewald, le biographe du pape Benoît XVI, contredit l’évaluation du pape François selon laquelle Benoît n’était qu’un « pape de transition »

Dans un nouveau livre du vaticaniste espagnol Javier Martinez-Brocal, François affirme qu’après le pontificat « dynamique » de Jean-Paul II, le conclave de 2005 avait besoin « d’un pape qui maintienne un équilibre sain, un pape de transition ».

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Herr Seewald, ici à Ratisbonne, l’Institut « Papst Benenedikt » cherche à souligner l’importance de ce pontife et de ce théologien. Que penser de la déclaration du pape François selon laquelle Benoît n’était qu’un « pape de transition » ?

Joseph Ratzinger était le seul à avoir l’expérience, la tête, le cœur, la noblesse et, enfin, l’humilité nécessaires pour faire entrer l’héritage du grand Jean-Paul II dans une nouvelle ère. Sans pause, ce que personne n’aurait cru possible. Il est vrai que Benoît XVI s’attendait à un pontificat court en raison de sa mauvaise santé. Mais cela s’est transformé en huit années au cours desquelles il a tracé une voie décisive.

Par exemple?

Bon nombre des réformes qui ont valu au pape François sa popularité ont été introduites par Benoît XVI. Il a introduit pour la première fois des synodes d’évêques ouverts. Il a commencé à réorganiser le système financier du Vatican. Il a fait d’énormes progrès dans le dialogue interreligieux. Il a intensifié les relations avec le judaïsme, qui n’ont jamais été aussi bonnes que pendant son mandat. Il a été le premier pape de l’histoire à rédiger une christologie. Celle-ci est considérée comme la Magna Charta de l’image que l’Église se fait de Jésus. En outre, il est considéré comme le plus grand théologien jamais assis sur la Chaire de Pierre et le Docteur de l’Église de l’ère moderne. Par-dessus tout, il a parlé sans ambiguïté et a maintenu le navire de Saint-Pierre sur la bonne voie. Enfin et surtout, sa démission, la première d’un vrai pontife régnant, a changé la papauté comme jamais auparavant dans les temps modernes. Un « pape de transition » ? Oui, c’est vrai.

Qu’est-ce qui a pu pousser François à rendre publique l’idée d’un « pape de transition » ?

Bonne question. François adopte toujours une double approche. D’une part, il fait l’éloge de Benoît, le décrivant même comme un « grand pape » dont la personne et l’œuvre deviendront de plus en plus reconnaissables de génération en génération, et d’autre part, il le rabaisse, le qualifiant de grand-père, d’ami paternel ou simplement de « pape de transition ».

Comment expliquez-vous cette « double approche » ?

Dès le début, Bergoglio a voulu rompre avec la continuité des papes, défier la tradition, bousculer les choses ou simplement provoquer le « chaos », comme il le dit dans le nouveau livre de Javier Martinez-Brocal. Il décrit les formes traditionnelles comme une « maladie nostalgique ». Il a montré qui est le maître de maison en abolissant l’approche libéralisée de Benoît de l’ancienne messe. Le pape émérite a appris cela dans les journaux. Ceci à propos de la prétendue « relation cordiale » entre les deux.

François prétend qu’aucun changement n’a été possible pendant le pontificat de son prédécesseur. Benoît aurait donc été à ses yeux un pape de la stagnation ?

Ce serait porter un jugement totalement erroné sur la personnalité, la force créatrice et la mission que Benoît XVI s’est attribuées. Ratzinger a marqué l’histoire : en tant que moteur du concile Vatican II, en tant qu’innovateur théologique, en tant que préfet qui a considérablement renforcé le pontificat de Jean-Paul II pendant un quart de siècle, et, bien sûr, en tant que pape. Même les attaques contre lui n’ont pas pu l’empêcher de devenir le théologien le plus lu des temps modernes. Benoît a fait son autocritique en reconnaissant qu’il n’avait pas fait tout ce qu’il fallait en tant que pape. Cependant, il est clair qu’il a agi de manière décisive, en particulier dans le scandale des abus sexuels, et qu’il a poursuivi une politique cohérente de tolérance zéro.

Vous avez vous-même rendu hommage à Benoît XVI en tant que pape théologien dans votre grande biographie de Ratzinger. A-t-il un atout unique qui fait que la catégorie de « pape de transition » semble erronée ?

Je le vois avant tout comme un pasteur qui n’a pas ménagé sa peine pour l’humanité, pour les fidèles et pour la transmission fidèle du message du Christ. Son souci était de « découvrir le noyau réel de la foi sous les incrustations et de donner à ce noyau force et dynamisme ». La réforme, soulignait-il, doit ramener au cœur de la foi, et non l’étriper. Personne ne pouvait l’égaler pour la clarté de ses déclarations, l’acuité de son intellect, la brillance de son style d’expression. De plus, il avait une grandeur humaine chaleureuse et une authenticité avec laquelle il ne se contentait pas d’enseigner l’Évangile, mais le vivait. Personne ne l’a jamais entendu dire du mal de quelqu’un d’autre. Le cardinal Walter Kasper, de la Curie, qui n’était pas nécessairement un partisan de Ratzinger, a également rendu hommage au pape retraité en disant qu’il avait « beaucoup contribué à la consolidation de l’Église dans la foi et à l’approfondissement de la foi ». Il a exercé sa fonction avec beaucoup de douceur et d’humanité, même dans des situations difficiles.

L’évaluation historique d’une personnalité ne peut généralement se faire qu’après un certain temps. Quelle est l’importance de Benoît XVI qui apparaît déjà clairement aujourd’hui, et qu’attendez-vous d’une perspective plus tardive ?

Contrairement à presque tous les autres papes, l’œuvre de Joseph Ratzinger était grande et significative avant même son pontificat, même s’il a toujours été important pour lui de défendre la foi des gens ordinaires malgré son intellectualisme. Le fait est que cet homme n’a pas seulement écrit la biographie du siècle, il est entré dans l’histoire. Sans parler de ses contributions au débat social, qui lui ont valu d’être reconnu dans le monde entier comme un penseur pionnier du tournant du siècle. L’historien anglais Peter Watson le considère même comme si important qu’il compte Ratzinger parmi les « génies allemands » de l’époque où il était cardinal, aux côtés de grands noms tels que Beethoven, Bach et Hölderlin.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour la place du pape Benoît XVI dans l’histoire ?

Sa force a été de reconnaître une crise, d’exiger des corrections, d’apporter des réponses aux questions complexes de notre temps – et de préserver le message de l’Évangile inchangé pour les générations futures, afin que de nouveaux départs soient toujours possibles à partir d’une base solide. Nous nous souviendrons également de ses paroles prophétiques, dans lesquelles il soulignait très tôt que le nouveau paganisme se trouvait « aujourd’hui dans l’Église elle-même », et même, comme nous le voyons en Allemagne, dans les hautes sphères de l’État. Je me souviens du discours prononcé dans la salle de concert de Fribourg, dans lequel il appelait avec véhémence à la démondialisation. Le christianisme ne doit pas céder à l’esprit du temps, sinon il ne serait plus le « sel de la terre » dont parlait Jésus, mais serait foulé aux pieds par le peuple.

Si vous deviez résumer cela brièvement, quelle serait votre conclusion ?

Benoît XVI ne représente pas une Église d’hier, mais une Église de demain. Le processus de cristallisation et de clarification », a-t-il déclaré, « coûtera à l’Église beaucoup de bons pouvoirs ». Il « la rendra pauvre, la transformera en Église des petits… ». Mais lorsque ces divisions auront été mises à l’épreuve, une grande force jaillira d’une Église intériorisée et simplifiée ».

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