Un très grand moment, dont nous avons parlé hier. Dans un formidable commentaire, Luisella Scrosatti ne craint pas de comparer le cardinal guinéen au grand Soljenitsyne. En dénonçant la dérive de la « laïcité fluide » qui, telle une hydre maléfique, s’est insinuée dans toute la société, jusque dans l’Eglise, il a donné un nouveau souffle à l’espoir: tout n’est pas perdu car

Fiducia supplicans a été un document « providentiel », selon cette Providence qui permet au mal d’engendrer un plus grand bien. Il a en quelque sorte fait ressortir les caractéristiques du plan divin,

(Luisella Scrosatti)

Et si l’avenir de l’Eglise reposait sur les évêques africains?

Sarah comme Soljenitsyne : « Ne cédez pas au mensonge ! »

Luisella Scrosatti
La NBQ
12 avril 2024

Cinquante ans après, la dénonciation de l’écrivain russe trouve un écho dans les propos du cardinal africain. Une mise en garde contre la tentation de se plier à l’athéisme « fluide » qui a pénétré l’Église, également en vue du prochain Synode.

Il y a cinquante ans, le 12 février 1974, le jour de son arrestation, prélude à son expulsion de l’Union soviétique d’alors, Alexandre Soljenitsyne couchait sur le papier un puissant appel à se défaire du système totalitaire, sous toutes ses formes disparates.

Un appel puissant et concret, loin de la rhétorique néfaste et nauséabonde qui consiste à vouloir renverser le système, à condition que ce soit toujours les autres qui changent :

« Ce n’est pas tous les jours ni sur chaque épaule que la violence abat sa lourde patte : elle n’exige de nous que la docilité au mensonge, la participation quotidienne au mensonge : rien d’autre n’est nécessaire pour être des sujets loyaux. Et c’est précisément là que se trouve la clé de notre libération, une clé que nous avons négligée et qui est pourtant si simple et accessible : le refus de participer personnellement au mensonge. Même si le mensonge recouvre tout, même s’il domine partout, sur un point nous sommes inflexibles : qu’il ne domine pas par mon fait ! ».

Car en fin de compte, le mensonge vit dans les hommes, grandit dans les hommes, flambe à travers les hommes ; avec réalisme, Soljenitsyne a réalisé que « si les hommes répudient le mensonge, il cesse tout simplement d’exister ».

De la froide Russie, l’appel d’un homme blanc et barbu, encore dans la force de l’âge. Cinquante ans plus tard, dans le climat chaud et humide d’un pays qui touche l’équateur, c’est un homme noir et barbu, maintenant âgé de 80 ans, qui lance le même appel, mais cette fois en essayant de recruter les forces vives de l’Église, et en particulier de l’épiscopat :

Nous ne devons pas céder au mensonge ! L’essence de l’athéisme fluide est la promesse d’un accommodement entre la vérité et le mensonge. C’est la plus grande tentation de notre temps ! Nous sommes tous coupables d’accommodement, de complicité avec ce grand mensonge qu’est l’athéisme fluide ! (…) L’athéisme fluide vit et se nourrit de toutes nos petites faiblesses, de toutes nos capitulations et compromissions avec son mensonge. Mais chacun de nous peut décider aujourd’hui : le mensonge de l’athéisme ne trouvera plus de place en moi. Je ne veux plus renoncer à la lumière de la foi, je ne veux plus que, par commodité, paresse ou conformisme, la lumière et les ténèbres cohabitent en moi.

C’est la voix du cardinal Robert Sarah, préfet émérite de la Congrégation pour le culte divin, adressée à ses confrères de l’épiscopat camerounais, le 9 avril, lors d’une récente visite. Il s’agit d’une dénonciation de ce qu’il appelle « l’athéisme fluide », c’est-à-dire ce relativisme caractéristique de la culture contemporaine, qui a pénétré l’Église partout ; et l’a pénétrée parce que – ce sont toujours les mots du cardinal –

beaucoup de prélats occidentaux sont paralysés par l’idée de s’opposer au monde. Ils rêvent d’être aimés par le monde. Ils ont perdu la volonté d’être un signe de contradiction. Peut-être qu’une richesse matérielle excessive les conduit à se compromettre avec les affaires du monde. La peur d’être un signe de contradiction.

L’athéisme fluide, contrairement à l’athéisme intellectuel et militant, est insidieux :

Il ne dit jamais son nom mais s’infiltre partout, même dans le discours ecclésiastique. Son premier effet est une forme de somnolence de la foi. Il anesthésie notre capacité à réagir, à reconnaître l’erreur, le danger.

En substance, elle trompe le « système immunitaire » du chrétien, en présentant son propre côté séduisant et bienveillant, comme le dialogue, la communion, l’ouverture à tous, l’obéissance à « l’esprit ».

Sarah a rappelé l’opposition courageuse des évêques africains, et en particulier camerounais, à la Déclaration Fiducia supplicans, un document critiqué sans retenue par le cardinal guinéen lui-même. Il a souligné que l’opposition de l’épiscopat africain avait été rejetée comme une question de retard culturel :

Certains en Occident ont voulu faire croire que vous aviez agi au nom d’un particularisme culturel africain. Il est faux et ridicule de vous prêter de telles intentions ! Certains ont prétendu, dans une logique de néocolonialisme intellectuel, que les Africains n’étaient « pas encore » prêts à bénir les couples de même sexe pour des raisons culturelles. Comme si l’Occident était en avance sur les « Africains arriérés ».

La même stratégie risque d’être utilisée, selon le cardinal, lorsque lors du prochain synode, on tentera de renverser encore des points importants de la doctrine et de la morale chrétiennes :

Ils voudraient autoriser le diaconat féminin en Allemagne, les prêtres mariés en Belgique, la confusion entre prêtrise ordonnée et prêtrise baptismale en Amazonie. Certains experts théologiques récemment nommés ne cachent pas leurs projets. Et ils vous diront avec une fausse politesse : « Rassurez-vous, en Afrique, on ne vous imposera pas ce genre d’innovation. Vous n’êtes pas culturellement prêts ».

Il n’en a pas été autrement lors du Synode sur la famille en 2014, où ce sont les évêques africains, menés par Sarah et le combatif cardinal Wilfrid Fox Napier, qui se sont opposés aux tentatives de permettre la communion aux divorcés remariés et de révolutionner la doctrine sur les actes intrinsèquement mauvais, en particulier les actes homosexuels. À l’époque, ils ont été moqués par le cardinal Walter Kasper, qui a déclaré qu’avec les évêques africains, on ne peut pas parler d’homosexualité, car pour eux, c’est un sujet tabou.

Fiducia supplicans a été un document « providentiel », selon cette Providence qui permet au mal d’engendrer un plus grand bien. Il a en quelque sorte fait ressortir les caractéristiques du plan divin, toujours actif dans l’histoire, mais toujours peu considéré par les hommes. Ce plan qui aime contrarier la sagesse du monde par ce qui est considéré comme insensé par cette « sagesse » :

L’Église d’Afrique devra bientôt défendre la vérité du sacerdoce et l’unité de la foi. L’Église d’Afrique est la voix des pauvres, des simples et des petits. C’est à elle de proclamer la Parole de Dieu face aux chrétiens d’Occident qui, parce qu’ils sont riches, se croient évolués, modernes et sages de la sagesse du monde. Mais ‘ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes’ (1 Co 1,25) ».

Lors du prochain Synode, ce sera surtout aux représentants de l’Église d’Afrique de faire entendre leur voix ; sachant qu’il sera fort probable que « malgré les promesses de les écouter et de les respecter, leurs avertissements ne seront pas pris en compte, comme nous le constatons déjà aujourd’hui ». Que le synode soit « instrumentalisé par ceux qui, sous couvert d’écoute mutuelle et de « conversation dans l’Esprit », servent un agenda de réformes mondaines » est un réel danger.

Parole de Sarah.

Share This