(Giuseppe Nardi) Avec son dernier livre, François fait coup double tout en soignant le récit de sa mémoire future: il se grandit, tout en « rapetissant » Benoît XVI. Il franchit même un pas supplémentaire, inédit, en se présentant, lui et son prédécesseur, comme victimes, donc compagnons d’infortune tous deux « utilisés » par des forces obscures qui voulaient contrôler le conclave. Mais lui ne s’est pas laissé faire (tandis que Benoît?…)
Et, ne pouvant s’attaquer à Benoît XVI, il s’en prend à ceux qui lui étaient proches, en premier lieu Georg Gänswein, mais aussi le cardinal Sarah, réussissant le coup de maître d’opposer « Ratzinger » aux ratzingériens
François, Benoît XVI, ou l’énorme bobard que Sainte Marthe veut imposer au monde
Ceux qui utilisent, et ceux qui sont utilisés
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Giuseppe Nardi
5 avril 2024
(Rome) Le pape François crée déjà le récit de la mémoire qu’il veut laisser au monde après sa mort – et se plaît à semer la confusion en fournissant également un récit mémoriel pour Benoît XVI dans l’intention de grandir son propre prestige et de rabaisser celui de son prédécesseur – faisant ostensiblement son éloge.
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Nous avons déjà parlé hier du livre « El Sucesor » , dans lequel François fait coup double. Le livre est disponible à partir d’aujourd’hui en Espagne, et dans les prochains jours en Amérique latine. François y livre des éléments de base sur la manière dont il souhaite que la postérité se souvienne de lui.
Comme François est un politique, il connaît l’importance de la comparaison directe. Et la comparaison directe à laquelle il est confronté est son prédécesseur Benoît XVI. Dans le livre, il raconte donc aussi comment il voudrait que Benoît XVI soit vu : dans les grandes lignes, de la même manière qu’il avait déjà traité le pape allemand de son vivant, comme un gentil vieux papy pour lequel on a quelques amabilités en public, mais que l’on ne prend pas plus au sérieux ou en compte par ailleurs.
Comme François sait bien sûr que la perception de Benoît XVI est différente dans une grande partie de l’église, il agit de manière bien plus subtile. Il cherche à s’élever lui-même et à rabaisser Benoît. Et comment y parvient-il ? En l’étreignant, autant qu’il le peut. Cette étreinte, qui ne coûte rien à François, le fait briller aux yeux de ses partisans, car de leur point de vue, le meilleur Benoît est un Benoît étouffé par l’étreinte. Pas oublié: les seuls applaudissements que les milieux ecclésiastiques progressistes ont accordés au pape de Bavière ont été les acclamations exubérantes à sa démission.
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Le nouveau livre et une double stratégie
Ainsi, la double stratégie que François poursuit avec son nouveau livre consiste d’une part à révéler que certains milieux ecclésiastiques voulaient l’ « utiliser » lors du conclave de 2005. Il ne dit pas qu’il s’agissait de la mafia de Saint-Gall, mais c’est évident d’après le contexte et les détails déjà connus d’autres sources. De même que, d’autre part, et c’est la nouveauté, « Benoît a été utilisé ».
Quelle justice compensatoire le pape actuel applique ici! Les deux papes ont été « utilisés ». Lui et son prédécesseur Benoît. Tous deux ont donc été « victimes » de forces obscures qui voulaient jouer avec eux à des « jeux de pouvoir ». Et quelle « grandeur » montre François quand il dit :
« J’ai été blessé que Benoît soit utilisé ».
François et Benoît comme compagnons d’infortune ? Voire associés dans le malheur? Étaient-ils sur la même corde? Etaient-ils tous deux victimes ?
Tout ce récit lénifiant ne correspond pas exactement à la réalité. Et ici aussi, François qui se grandit, qui dit de lui-même qu’il n’a pas participé aux « jeux de pouvoir », qu’il a dit non aux jeux, alors que pour Benoît, il reste à savoir s’il s’est laissé utiliser… Non, ce n’est pas très amical.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de savoir qui contrôle la mémoire. La mémoire de François et celle de Benoît. Nous nous souvenons de l’insistance au début du pontificat actuel sur le fait que « pas une feuille de papier » ne pouvait se glisser entre François et Benoît, alors que tout le monde savait pertinemment que toute la forêt impériale de Nuremberg s’interposait, ainsi que quelques usines de cellulose. Cependant, Benoît XVI ne s’est pas opposé publiquement, soutenant ainsi indirectement le récit bergoglien, car il s’était imposé de ne pas critiquer publiquement son successeur. Mais qui utilise qui ?
Que François se montre plein d’amabilité envers Benoît, mais qu’en même temps, il lance des piques à son secrétaire privé, l’archevêque Georg Gänswein , cela n’a rien de surprenant. Le jeu est connu parmi les puissants. Si je ne peux pas frapper quelqu’un directement parce que cela pourrait se retourner contre moi, je frappe un proche de celui que je veux frapper, et dans le cas de Benoît, c’est justement Georg Gänswein.
Parmi les membres de la cour bergoglienne, c’est un automatisme que quiconque est critiqué pour ses fautes ou ses turpitudes personnelles, affirme par réflexe qu’il n’est qu’un bouc émissaire, car en réalité l’attaque n’est pas dirigée contre lui mais contre le pape François. L’exemple le plus récent est celui de la prunelle des yeux du pape Victor Manuel « Tucho » Fernández lui-même, qui a choisi cette forme d’autodéfense lorsqu’il a été pris pour cible pour Fiducia supplicans, mais aussi pour ses écrits pornographiques. Ou pense aussi au peu glorieux cardinal Maradiaga au Honduras…
En revanche, le seul qui peut vraiment en dire autant est Gänswein, qui a vraiment été (et est) frappé par François parce que ce dernier ne pouvait pas frapper Benoît. Ainsi, dans le nouveau livre, Gänswein reste le paratonnerre, car avec lui, comme le révèle François, il a eu une « relation difficile ». François va encore plus loin. Il frappe si cruellement Gänswein qu’il insinue même qu’il faisait partie de ceux qui ont « utilisé » Benoît, et que cela l’a rendu, lui, Bergoglio, « très triste », « m’a blessé », c’était un « manque de noblesse et d’humanité »… dit François.
Pas de commentaire. Il y a des mots qui se jugent tout seuls.
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Fake News, « faux mythe ».
Les médias mainstream soutiennent le récit bergoglien, que ce soit Javier Martínez-Brocal (ABC), Alvise Armellini (Reuters) ou Elisabetta Piqué, l’amie de François et vaticaniste du plus grand quotidien argentin La Nación – comment pourrait-il en être autrement. Piqué écrit :
Le nouveau livre « El Sucesor » est même un « document clé », car « il renverse le faux mythe des deux papes ennemis ou opposés que certains secteurs opposés au pape argentin ont essayé de répandre.
Les positions opposées n’étaient donc qu’un « faux mythe », inventé par ceux qui ont « utilisé » Benoît ? En réalité, François et Benoît étaient-ils un seul cœur et une seule âme ? Piqué cite à l’appui le passage suivant du nouveau livre, dans lequel François raconte :
« Au début, il [Benoît] venait ici pour manger avec moi. Il venait ici ou j’allais manger chez lui au couvent. Sa cuisinière faisait des steaks argentins très juteux, avec trop de poivre, mais très bons ».
Difficile de faire plus convaincant, non? François veut faire oublier la rapidité avec laquelle ses visites au monastère Mater Ecclesiae se sont taries et ont fini par disparaître. Il veut faire oublier que la fréquence de ses visites diminuait proportionnellement au fait qu’il pensait ne plus devoir tenir compte de Benoît. C’est pour cette raison qu’elles ont été exactement nulles ces dernières années.
Pour le prouver, il suffit de rappeler deux mots-clés percutants : le néologisme « indietristes » inventé par François – Benoît n’était-il pas l’indietriste en chef – et le livre « Des profondeurs de nos cœurs », avec lequel Benoît XVI a présenté début 2020 un plaidoyer pour le sacerdoce sacramentel et a empêché son écrasement.
Après, plus de steak à Mater Ecclesiae. Mais oui, François n’ignore pas que certains savent qu’en réalité, il a mis Benoît XVI de côté pendant tout ce temps et ne l’a utilisé que pour quelques photos de relations publiques. C’est pourquoi il raconte maintenant l’histoire selon laquelle Gänswein et le cardinal Sarah ont seulement « utilisé » Benoît XVI pour plaider en faveur du sacrement de l’ordre. La vraie personne, et apparemment la seule, qui était sincère avec Benoît, c’est François lui-même – du moins selon sa propre perception quelque peu déformée.
Et oui, François appelle Benoît un « grand homme » à titre posthume dans son nouveau livre. Mais comme le disait déjà Jésus à ses disciples : « Tous ceux qui me disent : Seigneur ! Seigneur, … » (Mt 7,21). C’est d’autant plus vrai si l’on considère qui d’autre François a qualifié de « très grands » : l’ennemie déclarée de l’Eglise Emma Bonino, le franc-maçon et athée Eugenio Scalfari, l’ennemi déclaré de l’Eglise et « initié » Marco Pannella, le franc-maçon et communiste Giorgio Napolitano… Des titres, il faut le dire, qui ont un certain effet répulsif…
Il est donc évident qu’avec ce nouveau livre, Sainte Marthe et ses porte-parole veulent vendre au monde un gros bobard.