Je me méfie un peu par expérience des analyses de John Allen, mais celle qu’il consacre à la nomination promise au secrétaire de Benoît XVI est une bonne surprise. L’américain – qui est au milieu vaticaniste un peu ce que « Le Monde » est à la presse française – note très justement que nommer dans un pays, quel qu’il soit, un représentant en disgrâce auprès du patron revient d’une part à donner à ce pays l’impression qu’on le considère comme négligeable sur l’échiquier géopolitique, et d’autre part, coupe au plénipotentiaire putatif toute marge de manœuvre. Bref, une double humiliation (sans parler du risque de créer le mécontentement parmi les « vrais » diplomates du Saint-Siège) qui pourrait fonctionner comme un boomerang si François se souciait vraiment de l’Eglise – à moins qu’il n’ait désormais choisi pour devise « après moi, le déluge ».

Pourquoi faire de votre enfant à problèmes un ambassadeur pourrait mériter une seconde réflexion.

John Allen
cruxnow.com/news-analysis/2024/04/why-making-your-problem-child-an-ambassador-might-merit-a-second-thought
14 avril

Des rumeurs lancées cette semaine par une journaliste proche du pape François, Elisabetta Piqué du journal argentin La Nacion, suggèrent que le pontife serait sur le point de nommer son ancienne bête noire [en français dans le texte] l’archevêque allemand Georg Gänswein, comme nonce apostolique, c’est-à-dire ambassadeur, auprès d’un pays étranger non spécifié.

Hier, le vaticaniste expérimenté Gian Guido Vecchi, du Corriere della Sera, a émis l’hypothèse d’une affectation dans les États baltes de Lituanie, d’Estonie et de Lettonie, poste vacant depuis le 11 mars, date à laquelle l’archevêque Petar Rajič, l’occupant précédent, a été nommé nouvel envoyé papal en Italie et à Saint-Marin.

Ces rapports font suite à des tensions bien connues entre François et Gänswein, ce dernier dans le rôle de principal collaborateur du défunt pape Benoît XVI – « bien connues », en grande partie, parce que les deux hommes ont parlé remarquablement ouvertement de leurs dissensions dans des livres révélateurs écrits en collaboration avec des journalistes. Ganswein l’a fait dans Nient’altro che la verità avec le journaliste italien Saverio Gaeta, et François a répondu dans El sucesor avec le journaliste espagnol Javier Martínez-Brocal.

Parmi les admirateurs du pape François, la possibilité de donner un nouveau poste à Gänswein, après l’avoir exilé en Allemagne après la mort de Benoît sans affectation, est présentée comme un choix louable de laisser le passé être le passé. Comme le dit Piqué dans son article du 10 avril, il s’agirait d’une « décision inattendue, mais totalement conforme à cette miséricorde, cette ouverture de cœur et cette absence de rigidité que le premier pape jésuite a prêchées depuis le début de son pontificat. »

Ceux qui sont moins enclins à voir François en des termes aussi élogieux pourraient être tentés d’y voir plutôt une opération de relations publiques trompeuse, destinée à atténuer les critiques plutôt intempestives du pontife à l’égard de Gänswein dans le nouveau livre, où il affirmait qu’il manquait de « noblesse et d’humanité », sans pour autant lui accorder une influence ou une autorité réelle, et en le plaçant notamment loin de l’action à Rome.

(Une caricature éditoriale parue dimanche dans le Corriere della Sera montrait Gänswein avec ses valises sous la légende : « Avant, j’étais au Vatican. Maintenant, ils m’envoient en Lituanie et disent que c’est un signe de rapprochement avec le pape. Vraiment ? ? »)

Pourtant, même en mettant de côté la question subjective de l’intention du pape, il y a quelques raisons structurelles pour lesquelles la nomination de Gänswein en tant qu’ambassadeur du pape dans les circonstances actuelles pourrait mériter d’être repensée.

Avant d’en arriver là, écartons une objection potentielle, à savoir que Gänswein, âgé de 67 ans, n’a pas étudié à l’Académie pontificale ecclésiastique, le terrain d’entraînement habituel des futurs envoyés du pape, et qu’il n’a pas d’expérience diplomatique ; on pourrait donc dire qu’il n’est pas qualifié.

Tout d’abord, il existe un précédent où un ancien fonctionnaire du bureau doctrinal du Vatican a réussi sa transition vers le service diplomatique du Vatican : L’archevêque américain Charles Brown, qui a travaillé à la Congrégation pour la doctrine de la foi de 1994 à 2011, date à laquelle le pape Benoît XVI l’a nommé envoyé en Irlande. De l’avis général, Brown a fait un travail honorable en aidant l’église irlandaise à naviguer dans les tempêtes de la crise des abus sexuels, et sert aujourd’hui en tant que nonce apostolique aux Philippines.

Ayant occupé le poste de préfet de la maison pontificale sous Benoît et François, Gänswein est habitué à traiter avec des chefs d’État et d’autres acteurs diplomatiques, et il est presque certain qu’il pourrait comprendre assez rapidement tout ce qu’il a besoin de savoir.

Les véritables objections à une telle nomination ont trait à ce qu’elle dit sur le pays auquel Gänswein pourrait être affecté, ainsi que sur le rôle d’un nonce apostolique lui-même.

Pour commencer par le pays, la chose la plus importante pour une nation quand l’un de ses partenaires diplomatiques choisit un nouvel ambassadeur est de savoir si le choix indique qu’il est pris au sérieux. Choisissez quelqu’un qui est perçu comme ayant un poids réel auprès de l’administration qu’il représente, et le pays d’accueil aura une impression positive de ce choix ; choisissez quelqu’un qui est perçu comme un outsider – ou, pire, quelqu’un qui est perçu comme étant en disgrâce auprès de son patron – et la nomination pourrait presque être perçue comme une insulte.

Cela revient presque à dire : « Je me soucie tellement peu de notre relation avec vous que je vous envoie quelqu’un en qui je n’ai pas vraiment confiance, juste pour l’écarter du chemin. »

En corollaire, de telles perceptions limiteraient aussi probablement l’efficacité de Gänswein. L’atout le plus important de tout ambassadeur est la perception qu’il peut parler avec autorité au nom de son patron. Dans ces circonstances, cependant, il semble raisonnable qu’un pays d’accueil puisse avoir des doutes sur le sérieux à accorder à ce que Gänswein dit comme déclaration d’intentions papales.

En outre, il y a aussi la question de l’impact d’une telle nomination sur le moral du corps diplomatique du Vatican.

L’Accademie de Rome, fondée par le pape Clément XI en 1701 pour former les diplomates pontificaux, est traditionnellement considérée comme une destination de choix pour les jeunes ecclésiastiques. Les nonces sont non seulement la voix et le visage du pape dans les échanges avec les gouvernements auprès desquels ils sont accrédités, mais ils représentent également le Saint-Siège et le pontife dans la vie de l’église locale de ce pays.

En d’autres termes, il s’agit d’un poste critique, et tout pape devrait souhaiter que les personnes chargées d’une telle responsabilité la prennent au sérieux.

Dans ces conditions, on peut raisonnablement se demander s’il est sage pour un pape d’envoyer le signal, même par inadvertance, qu’il se soucie si peu du rôle du nonce qu’il est prêt à griller une place simplement pour se débarrasser d’un personnage perçu comme un problème.

Pour en revenir à la comparaison avec Brown, lorsqu’il a été envoyé en Irlande en 2011, il a été perçu qu’il venait avec la confiance profonde et le soutien personnel du pontife, et qu’il entrait dans une situation où ses antécédents avec la dimension canonique de la crise des abus seraient d’une aide unique. Le fait que Brown soit un étranger au monde diplomatique n’a donc pas été pris par les autres nonces comme un affront, mais il est difficile de voir comment ils pourraient tirer la même conclusion au sujet de Gänswein.

Bien entendu, il ne s’agit pas de suggérer que le pape François ne souhaite pas sincèrement enterrer la hache de guerre ou qu’il ne croit pas que Gänswein pourrait bien s’acquitter de sa tâche en tant qu’ambassadeur. Cela suggère cependant que si l’idée progresse, le pontife pourrait vouloir trouver un moyen de préciser qu’il s’agit de plus que ce que les Italiens appellent par dérision un parcheggio, c’est-à-dire une place de parking, juste pour donner à Gänswein quelque chose à faire.

Sinon, pour résoudre un casse-tête temporaire, le pape risque de se retrouver avec des problèmes à plus long terme, à la fois avec un autre pays et au sein de son propre corps diplomatique.

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