C’est un aspect de plus du côté ambigu, et même double de sa personnalité, qui rend son pontificat difficilement lisible (y a-t-il quelque chose à lire d’autre que LUI?). Dernière manifestation de cette quasi- « schizophrénie, sur l’annuaire pontifical, il a repris – sans explication- le titre de patriarche d’Occident, que Benoît XVI avait abandonné en 2006, en expliquant sa décision à travers une note du 22 mars du Conseil pontifical pour l’Unité des Chrétiens.

Ce qui est surprenant, c’est la façon dont plusieurs décisions prises par le pape François tout au long de son pontificat de onze ans regardent en arrière, du moins avant le pontificat de Benoît XVI. Ces décisions suggèrent que le pontificat de Benoît XVI a été mis en attente et que son héritage a été mis de côté.

Le pape François, un pontificat qui regarde (aussi) en arrière.

Andrea Gagiarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-a-pontificate-that-also-looks-backward
15 avril 2024

Dans cette dernière phase de son pontifica, le pape François a souvent mis en garde contre l’ « indietrisme » . C’est un terme difficile à rendre [en français], mais il n’a rien d’obscur. Le mot vient de l’italien, indietro – « en arrière » – et pourrait sans trop de difficulté être traduit par « arrièrisme ».

Il a averti à plusieurs reprises que s’occuper de l’histoire de l’Église ne signifie pas regarder en arrière ; que la tradition n’est pas la préservation des cendres. Il n’a pas tort sur ce point, mais il a utilisé cet artifice rhétorique – une homilétique efficace – pour justifier certains actes de sa gouvernance ecclésiastique.

Le pape François a utilisé le type de raisonnement apparemment encapsulé dans indiétrisme pour justifier les mesures restrictives qu’il a imposées à la célébration des rites liturgiques selon les anciens livres liturgiques. Il l’a également utilisé pour expliquer ou même défendre la solution qu’il propose à des situations pastorales limites, comme la bénédiction pour les soi-disant « couples irréguliers » prévue par la déclaration controversée Fiducia supplicans.

Rien de tout cela n’est vraiment surprenant. Ce qui est surprenant, en revanche, c’est la façon dont plusieurs décisions prises par le pape François tout au long de son pontificat de onze ans regardent en arrière, du moins avant le pontificat de Benoît XVI. Ces décisions suggèrent que le pontificat de Benoît XVI a été mis en attente et que son héritage a été mis de côté.

. . . . .

La dernière de ces décisions est la réintégration du titre de « patriarche d’Occident » parmi les attributs du pape.

Benoît XVI a supprimé le titre de patriarche d’Occident. Le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, comme il s’appelait alors, a expliqué cette décision dans une longue note datée du 22 mars 2006, soulignant que le titre avait été supprimé pour une question conceptuelle (l’Occident ne signifiait plus un territoire géographique limité mais une aire culturelle comprenant également les États-Unis et la Nouvelle-Zélande) et aussi pour améliorer les relations œcuméniques, en évitant effectivement de mettre le pape en concurrence avec les patriarcats présents au sein de l’Église orthodoxe.

Aucune explication n’a été donnée pour la réintégration du titre de Patriarche de l’Ouest. Il est difficile de penser que cela a été motivé par les nouvelles relations œcuméniques qui se sont développées au cours de ces onze années de pontificat de François. Les relations ont bien progressé, avec plusieurs voyages dans des territoires orthodoxes et l’amélioration des relations œcuméniques avec tous, du moins jusqu’à la publication de la déclaration Fiducia supplicans.

Il est donc remarquable que l’encouragement du dialogue œcuménique figure parmi les principales raisons invoquées par les observateurs de tout le spectre des opinions dans l’Église, pour le rétablissement d’un titre que Benoît XVI avait supprimé afin d’encourager un meilleur dialogue œcuménique. Le fait que cette restauration intervienne dans le premier annuario préparé après la mort de Benoît XVI est certainement une question de curieux timing.

Reste à déterminer si cette décision aura des conséquences ou si elle est dictée par le désir de laisser le titre de patriarche d’Orient au patriarche œcuménique de Constantinople, divisant ainsi le monde en zones d’influence religieuse.

C’est possible.

Il convient de mentionner que les orthodoxes n’avaient pas été très satisfaits de la décision de Benoît XVI en 2006, pas plus que certains catholiques de rite oriental, en partie parce que le statut patriarcal du Siège de Rome était l’un des points sur lesquels il y avait un accord large et sans ambiguïté.

Le fait est que les décisions prises sans donner d’explication se prêtent à des lectures contradictoires. C’est par excellence le mode du pontificat du pape François : tout le monde est obligé de courir après l’actualité pour essayer de comprendre le sens de certaines décisions, et il n’y a pas d’explications pour ces décisions. Cela entraîne également une autre conséquence :

  • Tout le monde se sent obligé de conseiller quelque chose.
  • Il n’y a pas de filtres.
  • Le pape peut décider de manière improvisée.

La réintroduction du titre de patriarche de l’Occident intervient au cours d’une semaine qui a vu la publication de la déclaration Dignitas Infinita, dont la présentation s’est ouverte sur une longue défense par le cardinal Victor Manuel Fernandez, préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi de la déclaration Fiducia Supplicans.

Dignitas Infinita et la défense de Fiducia Supplicans montrent comment le pape François veut représenter le pontificat. D’une part, une déclaration sans rien de trop terriblement controversé ni même d’intéressant sur le plan théologique – Dignitas infinita – exprime le désir du pape François d’élargir les horizons, mais présente des problèmes doctrinaux mineurs. Lorsque Dignitas est attaquée, c’est parce qu’elle semble en désaccord avec le langage – le « style » – du pape François. Comment le pape du « Qui suis-je pour juger ? » peut-il ensuite se montrer aussi sévère à l’égard de l’idéologie du genre ? Comment le pape de « todos todos todos ! » peut-il ensuite fermer complètement l’expérience de la gestation pour autrui ?

La réponse est peut-être qu’après tout, le pape est catholique, mais on comprend d’où viennent les gens qui posent ces questions et aussi pourquoi ils les posent.

D’autre part, nous parlons de la réintroduction du titre de patriarche de l’Occident, qui est définitivement un pas en arrière – quoi qu’il en soit par ailleurs – comme il y en a eu plusieurs au cours de ce pontificat.

La décision du pape François d’inclure quelques cardinaux « de réparation » [“remediation” cardinals] dans chaque consistoire (c’est-à-dire de créer des cardinaux qui s’étaient retrouvés en marge avec Benoît XVI, comme les anciens nonces Rauber et Fitzgerald), en est un [pas en arrière]. Sa décision de rejeter la libéralisation par Benoît XVI de l’utilisation des anciens livres liturgiques en est un autre. Sa série de réformes financières et judiciaires qui ont abandonné la voie internationale tracée et entreprise par Benoît XVI en faveur de la relation plus ancienne, privilégiée et complexe du Saint-Siège (et de la Cité du Vatican) avec l’Italie en est un autre.

Au milieu, entre le regard en arrière – la restauration du titre de patriarche de l’Occident – et le regard en avant, mais dans l’orthodoxie – la déclaration Dignitas Infiinita – nous avons aussi un autre caractère du pontificat du pape François.

Au cours de la conférence de presse, le cardinal Fernandez a produit une défense de Fiducia supplicans, qui s’appuie sur un sondage d’opinion. Non seulement le langage pastoral du pape n’a pas été compris, non seulement il n’est pas accepté que le pape fasse quelque chose comme il peut le faire et comme tous les papes l’ont fait, mais en fin de compte – c’est le raisonnement de Fernandez – un sondage non identifié dit que 65% des jeunes entre 25 et 35 ans ont approuvé Fiducia Supplicans, un texte dont Fernandez dit qu’il a atteint (chiffre improbable) 7 milliards de vues sur Internet.

L’image donnée est celle d’une Église qui regarde les chiffres et le consensus, qui construit de fait ses innovations sur le consensus. Il y a des décisions personnelles du Pape, et ces décisions sont basées sur le consensus.

En ce sens, il n’est pas surprenant que la répudiation du document de la Doctrine de la Foi sur le non à la bénédiction des mariages homosexuels ait conduit le Pape, lors de l’Angélus du dimanche suivant sa publication, à expliquer que le langage de Dieu est la compassion et la tendresse – et qu’il serait prêt pour le chemin de Fiducia Supplicans. Et ce n’est même pas une surprise lorsque le pape François dit avoir accepté la démission de l’archevêque Aupetit de Paris sur « l’autel de l’hypocrisie » – et à la suite d’une campagne de presse basée sur des affirmations dont la propre enquête des autorités françaises a prouvé par la suite qu’elles étaient inexactes.

Il n’est pas facile de trouver une direction commune à ces choix.

Le fait est peut-être qu’il n’y a pas vraiment de direction commune. D’une part, il y a la Curie, le travail qu’elle effectue sur les documents, la recherche d’un équilibre avec l’innovation demandée par le Pape (dans le cas de Dignitas infinita, l’inclusion de questions sociales), et en même temps, au moins le vernis de continuité avec l’enseignement magistériel précédent. D’autre part, il y a le pape François et ses décisions impromptues, qui peuvent aussi être le résultat d’une pratique pastorale, mais qui se révèlent finalement schizophrènes.

Ensuite, il y a les « gardiens de la révolution » qui défendent chaque choix du pape François comme étant totalement inaccessible à la critique, quelle qu’elle soit. Entretenir, et a fortiori exprimer une opinion critique sur la décision du pape François – quelle qu’elle soit – revient à se dresser directement contre le pape, et donc contre l’Église.

Drôle d’époque pour un consensus fondé sur le dialogue.

Le véritable problème semble également être une mauvaise compréhension du langage de l’Église. Le cardinal Fernandez a déclaré que le pape François ne parlerait jamais ex cathedra, presque comme si parler ex cathedra était une mauvaise chose. Peut-être Fernandez voulait-il surtout dire que le pape n’utiliserait pas l’infaillibilité parce que – a-t-il ajouté – qu’il ne changerait jamais de doctrine.

Fernandez n’a pas tout à fait tort de penser que le pape enseigne d’une manière ou d’une autre, personnellement ou par l’intermédiaire de sa curie, chaque fois qu’il prononce une homélie ou qu’ils produisent un document, mais il est néanmoins raisonnable de se demander QUAND le pape ou ses lieutenants enseignent surtout et QUAND ils ne font que parler, et l’attitude adoptée et défendue par Fernandez suggère fortement que ni lui ni son directeur ne croient qu’il y a une grande différence.

Mais en fin de compte, l’enseignement papal et le gouvernement papal s’enchevêtrent et deviennent tous deux hautement politisés et sociologiquement motivés. C’est un langage qui divise et polarise, un langage qui divise l’Église entre ceux qui sont d’accord avec le pape et ceux qui ne le sont pas, entre ceux qu’un sondage place parmi les personnes favorables et ceux qui sont considérés comme défavorables, entre les intiétristes et les progressistes.

La réalité est plus nuancée.

En ce sens, le pape semble contradictoire parce qu’il y a une différence entre ce qu’il approuve et ce qu’il dit. Le risque ultime du pontificat est qu’il déçoive tout le monde. Les progressistes auront le sentiment d’avoir obtenu moins que ce qu’ils auraient pu ou dû obtenir, et les conservateurs se sentiront marginalisés et attaqués, parce qu’ils l’ont été.

Les personnes de bon sens aimeraient aussi entendre parler de l’eucharistie, de la foi et du sens de la vie et ne pas être affectées par divers arguments para-politiques. Ils ont également moins d’intérêt, je dirais, pour les bavardages concernant l’élection du pape ou pour les reconstructions papales de situations complexes visant à définir le récit final du pontificat mais réussissant surtout à rendre un pontificat humain, trop humain.

En fin de compte, le sens du divin est absent.

Share This