« Ceux qui ne vivent pas en Argentine ont du mal à comprendre le phénomène du péronisme ». Le modèle que représenterait pour François l’ex-« homme providentiel » et ex-président d’Argentine, Juan Domingo Perón (1895-1974) est un thème récurrent chez les observateurs depuis le débute du pontificat, et de nombreux articles sont parus ce sujet y compris sur ce site, mais c’est évidemment un sujet qu’un non-Argentin peut difficilement aborder, faute de connaissance interne du pays. Cette nouvelle analyse, très structurée, vient donc de l’intérieur, du site du blogueur (argentin) The Wanderer. On pourra objecter que certains des traits de caractère que l’on attribue ici à Juan Domingo Perón et par ricochet à François, sont génériques, et peuvent s’appliquer à d’autres hommes de pouvoir, dont l’un au moins nous touche de près… Mais ceux qui émergent ici permettent assez bien de cerner la personnalité du chef de l’Eglise: par exemple, en plus du fait qu’il est difficile de le classer politiquement (ni de droite ni de gauche), le mauvais goût (qui frise la vulgarité et qui marque jusqu’à sa façon de célébrer) et la prédilection (si l’on peut dire) pour les médiocres dont il aime s’entourer afin qu’ils ne lui fassent pas d’ombre, et qui lui doivent tout, pouvant ainsi tomber en disgrâce à tout moment.

L’actuel pontife parvient à combiner en sa personne le porteño rusé, le jésuite sinueux et le péroniste vorace.

François et le péronisme global

caminante-wanderer.blogspot.com/2024/04/francisco-y-el-peronismo-global
16 avril 2024

François arbore rarement ce sourire éclatant…

Ceux qui ne vivent pas en Argentine ont du mal à comprendre le phénomène du péronisme. Pour se faciliter la tâche, ils l’assimilent à une autre réalité familière : le socialisme, la démocratie chrétienne, le mouvement progressiste ou une variante mal définie du populisme. En revanche, il est assez répandu de qualifier le pape actuel de péroniste. La conclusion semble simple : on attend du pape qu’il se comporte comme un socialiste, un populiste, etc.

. . . . .

Cependant, lorsqu’il s’agit d’actions papales concrètes, les moules d’autres pays sont inadéquats. Ni les faits ni les motivations ne sont corrects.

Le fait est que le péronisme est un phénomène uniquement argentin, qui ne s’identifie pas aux réalités d’autres pays. Il ne s’agit pas d’un mouvement/parti fondé sur un développement conceptuel, mais plutôt d’un simple outil de pouvoir. Une structure permettant d’accéder au pouvoir, de l’utiliser, de le conserver et de l’accroître. Il y a des péronistes de gauche, de droite et du centre. Il y a des conservateurs et des révolutionnaires. Ils ont tous leurs raisons de se considérer comme péronistes, basées sur des moments de la vie de Perón ou sur l’histoire du mouvement ou du parti justicialiste.

Il est difficile de trouver des éléments communs à tous ceux qui se disent péronistes. Certains aspects sont caractéristiques de nombreux péronistes, comme la protection des travailleurs, l’animosité envers les États-Unis, le désir de favoriser les pauvres, la tendance à l’étatisme, etc. Cependant, nous mettrons l’accent sur certaines composantes qui ne relèvent pas de la facette conceptuelle-affective du péronisme, mais de la réalité de son fonctionnement dans presque tous ses aspects. Ces éléments sont les suivants : 1. primauté du pouvoir. 2. malaise face à l’excellence 3. priorité de la tactique sur la stratégie. Il est clair qu’il s’agit d’une simplification et d’une généralisation qui ne prétend pas épuiser toute la réalité du péronisme.

L’actuel pontife parvient à combiner en sa personne le porteño rusé, le jésuite sinueux et le péroniste vorace. Dans cet article, nous nous limiterons à son côté péroniste. Rien ne sera dit sur les autres aspects de la personnalité papale, tels que la psychologie complexe, l’itinéraire de formation, les limitations académiques, les stratégies répétées -dont l’efficacité décline- ou la sympathie pour les transgresseurs (y compris, paradoxalement, la FSSPX).

Examinons le reflet des caractéristiques ci-dessus dans la personnalité du pape François.

1) Primauté du pouvoir

À cet égard, la trajectoire du pape actuel est linéaire. La plupart de ses actions conduisent à obtenir, utiliser, conserver ou accroître le pouvoir.

Cela doit être souligné car on insiste souvent sur certaines contradictions conceptuelles qu’il encourt. Chez d’autres personnes, cela peut se traduire par de profonds déchirements intérieurs ou des trahisons calculées. Dans le cas de Bergoglio, cependant, la contradiction théorique n’a que peu d’importance. Il peut dire quelque chose aujourd’hui et dans quelque temps tenir, sans grande difficulté, une idée incompatible avec ce qu’il a dit auparavant, tant que tout est lié à un seul objectif. Le développement des idées et des idéaux maçonniques peut être suivi d’une condamnation des francs-maçons et, plus tard, de la permission d’entamer un dialogue étroit avec eux. La critique de certaines « gauches » (souviens-toi de ce qu’il a dit dans le cas d’Osorno, au Chili) est suivie d’une faveur et d’une sympathie pour de nombreuses personnalités de gauche. En réalité, pour ceux qui donnent la priorité aux objectifs pratiques, cette contradiction est apparente. Pour Francisco, ce qui compte, ce ne sont pas les idées, mais les décisions et les actions. Il n’est pas un théoricien, mais un politicien. L’un de ses célèbres aphorismes s’applique ici : « La réalité est supérieure à l’idée ». « La seule vérité est la réalité », disait Perón.

Dans cette logique, le droit est également compris comme un simple instrument entre les mains de ceux qui détiennent le pouvoir. Et cette vision explique certains comportements irritants pour un juriste ou répondant à des conceptions juridiques contraires : par exemple, changer les règles de procédure en plein procès (souvenons-nous de ce qui s’est passé lors du procès du cardinal Becciu) ; défendre, selon les accusés, la prescriptibilité ou l’imprescriptibilité de certaines actions pénales ; recevoir ou nommer des juges qui garantissent des droits tout en restreignant le droit à la défense de certains accusés. Ici aussi, c’est le résultat pratique qui prime. Les normes juridiques doivent être invoquées lorsqu’un objectif concret est recherché. Si l’objectif souhaité ne peut être atteint par la loi, on fera appel à la clémence ou on agira comme si la norme n’existait pas. Dans le domaine judiciaire, on neutralisera l’indépendance hasardeuse des tribunaux en réduisant au minimum leur action réelle, sauf si le résultat souhaité présente une garantie certaine. Le droit, en somme, ne peut pas devenir un obstacle, puisqu’il est un outil de pouvoir. Au point d’être un vecteur de vengeance. Comme le disait Perón, « pas de justice pour l’ennemi ».

Toute organisation intermédiaire forte est aussi une barrière pour ceux qui exercent le pouvoir suprême. Une association catholique florissante – au sens latin – prend ses décisions internes avec une relative autonomie, de sorte que, dans la vie de tous les jours, elle a plus d’influence sur ses membres que le pape lui-même. Ainsi, lorsque l’alignement des autorités des organisations ecclésiastiques sur le pouvoir du Vatican est faible, l’action quotidienne devient, de fait, une limite à la volonté papale. Dans ce contexte, les interventions institutionnelles (visites fraternelles aux évêques, nominations de commissions pour les congrégations religieuses ou les mouvements laïcs, etc.) sont un moyen important de briser cette résistance. Les décisions papales ne doivent pas passer par le filtre des cadres intermédiaires. Ceux qui n’ont pas encore été mandatés se soumettront, par peur, aux indications de ceux qui détiennent le pouvoir. Dans le même ordre d’idées, il faut comprendre le pouvoir de destitution des évêques et le rejet de la direction à vie des responsables d’associations catholiques.

Toujours au sein de la structure ecclésiastique, les postes inférieurs doivent avoir le moins d’autorité possible. La scission entre l’autorité formelle et le pouvoir réel dans les cadres intermédiaires va dans ce sens. Un chef de dicastère peut être une figure purement décorative, car le contact direct avec le pape se fait avec un subordonné du dicastère et non avec le préfet. Ce subordonné contrôle son patron, qui se retrouve alors dans une situation délicate. Le résultat pratique est que les autorités infrapapales ont tendance à moins décider, à exécuter les résolutions du pape ou à ne mettre en œuvre que les politiques dont elles savent avec certitude qu’elles ont l’approbation du supérieur.

Les procédures donnent également à l’organisation une gestion de la situation qui peut être frustrante pour ceux qui exercent le pouvoir suprême. Si un pape doit choisir un évêque à partir d’une liste de noms qu’il reçoit des nonciatures, il devient l’otage de la structure. Il en va de même pour les béatifications et les canonisations. Par conséquent, mettre de côté les procédures, les signes extérieurs d’autorité ou les protocoles et cérémonials, c’est montrer que celui qui détient le pouvoir ne se soumet à rien. Et cela est déguisé en efficacité, en absence de signes du passé ou en dispense de formulaires inutiles.

Il en va de même pour la récompense du mérite. Il n’y a pas de sièges cardinalices, car ceux-ci conditionneraient l’élection papale. Un avantage reçu du pape ne doit pas être fondé sur un droit ; au contraire, son origine réside dans la volonté du souverain. Plus la décision est excentrique, plus la dette de l’élu envers le pape sera importante.

Par ailleurs, aucune situation n’est définitive. Celui qui est promu cardinal aujourd’hui peut bientôt être exclu du collège des cardinaux. Tout est provisoire. La crainte continuelle de perdre ses avantages par surprise est un formidable outil d’assujettissement.

Lorsque l’affaire est difficile ou compliquée, la responsabilité est transférée à des réalités ou à des organismes impersonnels. Un premier exemple est l’insistance de François sur le fait que la politique qu’il mène se limite à suivre ce que les cardinaux ont décidé pendant le conclave. Les commissions nommées ensuite lui permettent d’adopter ou de reporter une décision, en transférant le coût politique à une réalité impersonnelle. Avec un avantage supplémentaire : il acquiert une réputation de démocrate et de gestionnaire qui a la sagesse d’agir sur les conseils des experts.

2) Malaise face à l’excellence

La deuxième caractéristique est le malaise face à l’excellence. Chez François, il n’y a pas de mépris pour l’argent ou de désir d’austérité. Ce qu’il y a, en revanche, c’est une résistance ou un malaise face à tout ce qui est qualité.
Les applications sont diverses. Il vit à Sainte Marthe, parce qu’il serait mal à l’aise dans un appartement spacieux du Vatican ; de plus, il ne veut pas être isolé, ce qui impliquerait une perte de pouvoir (accessoirement, c’est un cadre approprié pour les demandes informelles au Souverain, formulées de manière informelle dans ce cadre). Sa liturgie est peu coûteuse. Il utilise des vêtements liturgiques laids, parce qu’il est à l’aise avec eux. Les étoles de qualité sont lourdes et inconfortables. Ses vieilles chaussures sont confortables, alors que les nouvelles le serrent. Il n’a pas assisté au concert préparé en son honneur, car il n’aime pas écouter ce genre de musique.

Bien qu’ils essaient de promouvoir que ce sont des signes d’austérité, il est clair que ce n’est pas une question d’argent. Si l’austérité était le critère général, elle serait projetée sur le reste des décisions. Cependant, il n’y a aucune difficulté financière à faire venir à Rome des musiciens latino-américains de mauvaise qualité ou des conférenciers médiocres. Il n’y a pas non plus de problème d’argent lorsqu’il s’agit des dépenses énormes des Journées Mondiales de la Jeunesse ou des nombreuses réunions de toutes sortes qui ont lieu au Vatican.

Mais il faut bien se rattraper. Vivre à Sainte Marthe s’explique comme un exemple d’austérité ou comme un moyen d’équilibre psychologique. Tous ses vêtements – y compris sa tenue liturgique – sont expliqués comme une manifestation de simplicité et de pauvreté. Son refus d’assister au concert est montré comme un rejet du faste de la Renaissance.

En outre, son comportement est une démonstration que la réalisation d’objectifs importants ne nécessite pas d’instruments de qualité. Un changement significatif dans la discipline ou la liturgie de l’Église peut être apporté avec un texte sans profondeur théologique. Qui plus est, c’est un signe de pouvoir que des intellectuels sérieux fassent des analyses sérieuses de documents médiocres. Un triomphe officiel de la vulgarité.

3) Priorité de la tactique sur la stratégie.

Ou, en d’autres termes, faire passer le court terme avant le long terme. La vie est courte. Le long terme est loin, et les décisions dont les effets influencent réellement l’intensité du pouvoir et la popularité d’un dirigeant qui entre en fonction à un âge avancé sont celles qui sont prises à court terme.

Ce sont ces décisions que le pape privilégie. Sur le plan tactique, le pape s’efforcera de ne renoncer à aucune décision. Lui sont réservés la nomination de ses véritables collaborateurs, l’influence sur les processus électoraux immédiats, l’approbation actuelle des médias, la gestion économique qu’il juge décisive, les opérations politiques qui l’intéressent, etc. D’une manière générale, le pape doit avoir la possibilité d’intervenir, s’il le souhaite, dans tout type de détermination.

Les opérations de presse habituelles soutiennent le récit d’un pape réformateur, qui apporte des changements irréversibles dans tous les domaines de l’Église. Et que ceux qui s’opposent à lui sont des conservateurs minoritaires mais puissants, ancrés dans des structures dépassées dont ils bénéficient. La génération répétée d’attentes de changements drastiques, qui se soldent systématiquement par de nouvelles naissances de montagnes, est un peu lassante. Le renouvellement permanent des agents de presse s’inscrit dans le court terme. Périodiquement, de nouveaux ennemis, des gestes surprises et de grands changements attendus doivent émerger, dont la publicité maintient l’importance du leader.

L’accent mis sur la tactique est aussi un problème de limitation, commun à la plupart des humains. Peu d’hommes sont capables de prendre des décisions qui marquent profondément et durablement les esprits. La plupart d’entre nous sont médiocres, agissant en fonction de leurs possibilités.

Share This