C’est certainement un bon choix du Pape – on a envie de dire « pour une fois! ». Le cardinal Pizzaballa joint à une piété qui n’est plus si courante dans la hiérarchie de l’Eglise (en tout cas, c’est mon opinion) ce que Nico Spuntoni appelle « un sain réalisme lombard » qu’il doit à sa terre d’origine. Son analyse de la situation à Gaza est celle qui devrait guider tous ceux qui poursuivent sincèrement l’objectif de la paix, mais, avertit-il, sur le long terme: il ne faut pas s’attendre à ce qu’un coup de baguette magique amène la paix..

Qui est l’homme du Pape pour la crise de Gaza?

Nico Spuntoni
Il Giornale
5 mai 2024

Le patriarche de Jérusalem des Latins, à Rome ces jours-ci, a réitéré sa position sur le conflit : un cessez-le-feu est nécessaire, mais plus de boycott d’Israël

Il cardinale Pierbattista Pizzaballa durante il Venerdì Santo in una foto pubblicata sulla pagina Facebook del Latin Patriarchate of Jerusalem
Le cardinal Pierbattista Pizzaballa durant le vendredi Saint

La pourpre du cardinalat symbolise le sang du martyre. Et du sang, malheureusement, le cardinal Pierbattista Pizzaballa en sait quelque chose, lui qui est patriarche de Jérusalem des Latins. Depuis le tragique 7 octobre 2023 et l’escalade dramatique du conflit israélo-palestinien, son visage est devenu familier dans le monde entier.

L’Église catholique n’a pas la tâche facile en Terre sainte et doit agir avec prudence pour protéger les communautés chrétiennes, les relations de bon voisinage avec les musulmans et ne pas provoquer de tensions dans les relations diplomatiques entre le Saint-Siège et l’État d’Israël.

Le patriarche Pizzaballa a toutefois fait preuve d’équilibre et de capacité, même dans les moments les plus difficiles, ce qui n’a pas manqué au cours de ces sept derniers mois.

Pragmatisme lombard

Le cardinal est actuellement en Italie et a pris possession le 1er mai du titre de Sant’Onofrio al Gianicolo, comme prévu après le consistoire de fin septembre. Dans l’église romaine, le cardinal Pizzaballa a prononcé une homélie dans laquelle, en évoquant la délicate situation au Moyen-Orient, il a laissé transparaître le sain pragmatisme qui caractérise souvent sa terre d’origine, la Lombardie. Le cardinal a noté que « nous voudrions tous que les États-Unis résolvent le problème, nous voudrions que les traités de paix aboutissent à quelque chose d’important et de grand, capable de changer le cours de l’histoire », mais il a ajouté que « le Royaume de Dieu ne grandit pas de cette manière. Il grandit dans la communauté, avec les gestes de la communauté, sereinement, petit à petit » , concluant que « en tant qu’Église de Terre Sainte et de Rome, unie, nous sommes appelés à être cette semence » .

En bref, le franciscain ne s’attend pas à ce que la dramatique crise israélo-palestinienne puisse être résolue d’un coup de baguette magique.

Lors de la cérémonie de prise de possession, le nouveau titulaire de l’église sur la colline du Janicule a également déclaré que « le profond sillon de haine, de rancœur, qui existe entre les populations nous fait comprendre que le temps sera très long et qu’il faudra un leadership capable d’inspirer la confiance et doté d’une grande vision pour l’avenir, sachant toutefois qu’il faudra beaucoup de temps, beaucoup de patience, parce que les blessures sont encore trop profondes » .

Equilibre, mais pas équilibrisme

Après le 7 octobre, les moments de tension n’ont pas manqué, comme après la protestation de l’ambassade d’Israël auprès du Saint-Siège à propos de la déclaration des patriarches et chefs des Eglises de Jérusalem jugée trop ambiguë. Pourtant, Pizzaballa est tenu en haute estime à Tel-Aviv, bien qu’il ait été l’une des voix les plus autorisées à déplorer la situation des civils à Gaza et à appeler à un cessez-le-feu. Ces dernières années en Terre Sainte, le patriarche s’est révélé être un pasteur équilibré, mais pas un équilibriste: ses récentes déclarations en Italie témoignent qu’il ne mâche pas ses mots pour dire ce qu’il pense de la crise et de ses conséquences. À l’occasion de la lectio magistralis qui s’est tenue à l’Université pontificale du Latran le 2 mai dernier, le cardinal lombard a déclaré ouvertement que « tous les accords de paix en Terre Sainte, jusqu’à présent, ont en fait échoué, parce qu’il s’agissait souvent d’accords théoriques, qui prétendaient résoudre des années de tragédie sans tenir compte de l’énorme charge de blessures, de douleur, de ressentiment, de colère qui couvait encore et qui, au cours des derniers mois, a explosé de manière extrêmement violente » . Le chemin à suivre, selon lui, n’est pas pavé de proclamations grandiloquentes mais nécessite « un chemin de purification de la mémoire » car « les blessures, si elles ne sont pas guéries, créent une attitude de victime et de colère, qui rend la réconciliation difficile, voire impossible » .

Pizzaballa a appelé à une « purification de la mémoire commune » car « tant qu’il n’y aura pas de reconnaissance du mal commis et subi mutuellement, tant qu’il n’y aura pas de relecture de ses propres relations historiques, les blessures du passé continueront d’être un bagage à porter sur ses propres épaules et un critère de lecture des relations réciproques » .

A ce propos, toujours depuis Rome, il a à nouveau relancé son appel à la libération des otages israéliens enlevés par le Hamas le 7 octobre dernier.

Dans sa longue expérience en Terre Sainte, le franciscain semble également avoir acquis la conviction que le mot « paix » ne doit pas rester abstrait mais nécessite, comme il l’a dit à une autre occasion, « la justice et la reconnaissance des droits de tous ».

La proximité de Gaza, le rôle de Rafah

L’Église catholique est historiquement favorable à la solution « deux peuples, deux États ». Pizzaballa lui-même en est partisan, bien qu’il ait fait remarquer il y a quelques mois qu’aujourd’hui « techniquement, cela me semble difficile, même si c’est la seule voie possible » . Dans son discours au Latran à Rome, le cardinal a clairement affirmé que « depuis des décennies en Terre Sainte, il y a l’occupation israélienne des territoires de la Cisjordanie, avec toutes ses conséquences dramatiques sur la vie des Palestiniens et des Israéliens » et il a ajouté que « la conséquence première et la plus visible de cette situation politique est la condition d’injustice, de non-reconnaissance des droits fondamentaux, de souffrance dans laquelle vit la population palestinienne de la Cisjordanie. Il s’agit d’une situation objective d’injustice ». 

Traditionnellement, le Patriarcat latin de Jérusalem a une position de non-hostilité à l’égard de la cause palestinienne, notamment parce que – comme l’a rappelé Pizzaballa au Latran – à Gaza, la communauté catholique, aujourd’hui réduite, compte 462 personnes. Mais le cardinal ne pense pas qu’il faille surestimer le rôle de médiation que l’Église catholique pourrait jouer dans le conflit.

En ce qui concerne l’éventuelle incursion israélienne à Rafah, Pizzaballa a répondu aux journalistes: « nous disons que nous sommes présents, ce n’est pas le moment d’entrer dans les détails » . Mais il a également noté que « notre rôle n’est pas d’entrer en médiation, en particulier dans des situations aussi complexes et problématiques, mais de créer les contextes et les conditions pour que cela se produise » .

Une position qui, une fois de plus, révèle son pragmatisme, mûri également au cours des nombreuses années passées en Terre Sainte et des nombreuses négociations qui ont échoué.

Contre les boycotts

Ses propos sur ce qu’il appelle « l’occupation israélienne des territoires de Cisjordanie » et sa proximité avec la population civile de Gaza ne l’amènent pas pour autant à s’associer aux protestations des pro-palestiniens à travers le monde. Face aux tentatives répétées de boycott académique contre Israël, le cardinal a exprimé son opposition. « J’avoue que j’ai du mal à comprendre », a-t-il déclaré à la fin de la cérémonie de prise de possession de la colline du Janicule. « Les universités  sont des lieux où la confrontation culturelle, même passionnée, doit être ouverte et où la confrontation doit s’exprimer pleinement, mais pas dans la violence, ni dans les boycotts« .

Un message fort et clair aux étudiants et professeurs occidentaux favorables au boycott vient directement d’un homme en première ligne aux côtés de la population civile de Gaza.

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