Je publie ce billet de notre « curé de la Sierra », le père Jorge Guadalix, parce que j’y vois un témoignage de premier ordre: celui d’un prêtre pour de vrai, qui n’est ni un rescapé de 68 ni un tradi, plutôt une sorte de don Camillo d’aujourd’hui, vivant sur le terrain et proche de ses humbles ouailles, et en même temps bien ancré dans son époque malgré son âge, et très présent sur les réseaux sociaux qu’il voit comme des instruments d’évangélisation. Et ce témoignage nous dit qu’il se sent exclu, lui et tous les fidèles de bout de banc auquel il donne sa voix, de « l’Eglise pour todos todos todos » voulue par François.
.
Il a lu avec attention (par devoir « professionnel ») l’instrument de travail de la conférence épiscopale espagnole en vue du Synode (reflet fidèle de la synodalité bergoglienne, j’imagine qu’on a la même chose en France), mais il n’est pas nécessaire d’avoir lu ce pensum pour comprendre que l’Eglise proposée ici est une Eglise sans avenir, qui n’a rien compris à ce que veulent les fidèles, qui n’a (souvent) plus la foi, mais qui croit tout résoudre par des réunions et des discussions.

Ils ne nous représentent pas

Père Jorge González Guadalix
www.infocatolica.com/blog/cura
4 mai 2024

Le père Jorge

Il y a quelques années, le cri d’une foule de personnes, surtout des jeunes, qui, devant le Congrès des députés espagnols criaient « Ils ne nous représentent pas » [No nos representan: manifestation des « Indignés » en 2011] est devenu célèbre, démontrant de toutes leurs forces qu’ils ne voyaient pas leurs problèmes, leurs préoccupations et leurs besoins représentés dans le travail des députés.

Aujourd’hui, alors que je viens de prendre connaissance du document de travail de la Conférence épiscopale espagnole pour la dernière phase du Synode de la synodalité qui se tiendra à Rome en octobre 2024, je dois malheureusement faire mien ce cri et proclamer de toutes mes forces que ce document ne me représente pas. Ni moi, ni de nombreux catholiques fidèles aujourd’hui.

Evidemment, que peut apporter au synode ce prêtre âgé, qui exerce son ministère dans trois villages reculés de la Sierra Norte de Madrid, avec un total de moins de quatre cents fidèles, essentiellement âgés ? Je ne suis rien, et personne ne se soucie beaucoup de ce que je crois ou pense. Et pourtant, je crois que, dans l’esprit synodal, me sachant partie vivante de l’Église et me sentant motivé pour exprimer ce que je crois, vis et ressens, je me présente libre et pressé d’exprimer mon opinion.

N’allez pas croire que je suis resté en marge du processus synodal. Ni en marge, ni indifférent. Chacun est là où il doit être et collabore du mieux qu’il peut. Laissez-moi de vous expliquer quelle a été ma participation..

Dans l’esprit de ne pas rester en marge de ce que le pape François nous propose comme manière d’être catholique, j’ai écrit plusieurs billets sur cette question. Je retiens notamment celui publié le 27 janvier 2022 dans lequel je demandais aux lecteurs de ce blog leurs suggestions pour le Synode. Un billet qui comptabilise plus de 25 000 lecteurs et qui a généré un total de 455 commentaires avec des suggestions qui ont été envoyées à Rome et à Madrid, avec plus ou moins de succès.

Je propose chaque semaine des cours de formation catholique en ligne, avec des programmes qui comptent des milliers de vues, et même un programme d’actualités hebdomadaire, qui compte lui aussi des milliers de fidèles qui écoutent, commentent et font leurs suggestions. Beaucoup, bien sûr, à propos du Synode.

Je parle à mes simples paroissiens dans ces paroisses de village et ils me font part de leurs préoccupations et de leur vision de l’Église. Je me permets de leur dire qu’ils ne sont pas représentés. Les Raphaela [personnage « générique » récurrent dans les chroniques de notre curé de la Sierra, censée représenter la foi des simples, ndt] de mon village, les lecteurs de mon blog, qui se comptent par milliers, avec plus de 12 millions de visites, ceux qui suivent la chaîne San José de la Sierra, sont sur une autre longueur d’onde.

Aucun d’entre eux ne voit comme un problème, ni même ne comprend vraiment, le fait de « passer d’un “christianisme sociologique” à une foi en Jésus découvert ». Ils ont porté les pauvres dans leur cœur et dans leur vie et ont pratiqué les œuvres de miséricorde toute leur vie, ils n’ont jamais été particulièrement préoccupés par le rôle des femmes dans l’Eglise et ils ont pratiqué la co-responsabilité toute leur vie comme une conséquence logique de « l’aide à l’Eglise dans le besoin ».

Ils ne comprennent pas ce que signifie célébrer les sacrements mais avec un langage et des célébrations liturgiques, notamment l’eucharistie dominicale, qui est vraiment nourrissante… Ils se contentent qu’elle soit célébrée selon la liturgie de l’Église… et surtout qu’on leur garantisse l’accès aux sacrements, car les messes sont une loterie et la confession devient de plus en plus une mission impossible. Ils ne comprennent pas non plus une synodalité et une communion ecclésiale qui ne leur garantissent pas la célébration des sacrements, même s’ils sont peu nombreux et habitent loin.

Ils ne comprennent pas non plus, et je ne comprends pas non plus, les suggestions faites aux paroisses : prise en charge des célébrations, affiches d’information, évaluation des célébrations en l’absence de prêtres. C’est un renoncement. C’est une mauvaise chose. Il n’est pas facile non plus d’essayer de comprendre ce que signifie la recherche d’initiatives de formation : sur la synodalité, le Concile Vatican II, sur le discernement communautaire avec la méthodologie de la conversation dans l’Esprit.

En fin de compte, il semble que tout soit résolu avec des réunions et encore des réunions : création de conseils paroissiaux, avec la présence de toutes les vocations, et là où ils existent déjà, pour les renforcer et les renouveler afin qu’ils travaillent avec « un style participatif qui nous aide à être communauté » ; célébration d’assemblées paroissiales ; actions pour renforcer la coresponsabilité des laïcs.

Sur ce dernier point, la dispersion est plus grande. Plusieurs idées ont été avancées :

  • Favoriser la création de ministères d’accueil, d’écoute et d’accompagnement.
  • Promouvoir les synodes diocésains, pour apprendre et faire vivre la synodalité.
  • Créer des groupes d’action pastorale dans l’archiprêtré, pour coordonner la catéchèse, la liturgie, la charité….
  • Générer des structures ou des mécanismes permettant l’évaluation de l’évêque, des prêtres, des diacres et des autres secteurs paroissiaux.
  • Créer un calendrier de réunions conjointes des commissions permanentes des conseils diocésains des provinces ecclésiastiques.
  • Encourager les équipes d’évangélisation paroissiales en tant que forces motrices des conseils pastoraux.
  • Mettre en place un service des vocations pour présenter la vie comme une vocation.
  • Continuer à promouvoir le soin de la création et de la maison commune.
  • Encourager la présence d’animateurs de communauté.

En d’autres termes, nous allons tout régler en nous réunissant davantage.

Les fidèles demandent la clarté doctrinale, l’unité non pas dans les rires et le partage de rafraîchissements lors d’une soirée spéciale, mais l’unité dans la foi, la liturgie, la morale et la discipline. Ils demandent à pouvoir aller à la messe sans frayeur et à se confesser facilement, à prier, à ce que les enfants et les jeunes soient instruits d’une doctrine fiable.

Non, je ne parle pas au nom d’une minorité du peuple. Je parle, oui, au nom de ces gens ordinaires à qui on ne demande pas leur avis parce que les gens intelligents de ce monde, les experts des conseils, des réunions, des assemblées et des tables rondes, sont déjà là pour donner leur avis. Je parle au nom de ces milliers et milliers de personnes qui se réfugient dans des réseaux parce qu’elles se sentent parfois expulsées de leur paroisse. Au nom de ceux qui, se méfiant de leurs propres pasteurs, cherchent à se former partout où ils le peuvent, mais qui sont ceux qui vont tous les dimanches à la messe dans leur paroisse, prient, aident, offrent leurs dons et ne se sentent pas représentés.

Désolée pour ce très long billet. Mais il fallait que je le dise.

Share This