Demain, le document de la DDF annoncé par Tucho Fernandez établissant de « nouvelles normes pour la procédure d’évaluation des apparitions présumées et autres phénomènes surnaturels » sera présenté en conférence de presse au Vatican par le préfet lui-même (soucieux de prouver qu’il est bien présent et sait aussi produire des documents « sérieux »). Il y a une semaine, Giuseppe Nardi analysait les enjeux et les problèmes, pas toujours simples comme le prouvent le « cas très compliqué » de Medjugorje.

Les opposants à l’Eglise et d’autres s’efforcent d’apporter la « preuve » que les apparitions mariales et autres phénomènes surnaturels sont une « fraude ». Pour l’Église, la question est bien plus complexe. Même là où il n’y a pas de véritable apparition, de bons fruits peuvent se produire, car ils ne sont pas liés à une apparition ou à un lieu, mais à un cœur ouvert à Dieu.

Le Vatican veut « serrer la vis » contre les phénomènes d’apparition

LA LIGNE DE CRÊTE DU DISCERNEMENT DES ESPRITS

Giuseppe Nardi
katholisches.info/2024/05/
9 mai 2024

La Congrégation pour la doctrine de la foi a annoncé la publication de « nouvelles normes pour la procédure d’évaluation des apparitions présumées et autres phénomènes surnaturels ». Le nouveau document sera présenté le 17 mai à 12 heures au bureau de presse du Vatican. Les orateurs prévus sont

  • Le cardinal Víctor Manuel « Tucho » Fernández, préfet du dicastère de la foi
  • Mgr Armando Matteo, secrétaire du département pour la doctrine de la foi du dicastère de la foi
  • Sœur Daniela Del Gaudio SFI [Sœurs franciscaines de l’Immaculée, ndt], directrice de l’Observatoire international des apparitions mariales et des phénomènes mystiques de l’Académie pontificale mariale internationale, professeur de mariologie à l’Athenaeum pontifical Regina Apostolorum (collège des Légionnaires du Christ) et à la Faculté pontificale Saint-Bonaventure (collège de l’Ordre des Frères mineurs) à Rome.

Le cardinal Fernández avait lui-même annoncé fin avril la préparation du nouveau document.

La dernière publication de la Congrégation pour la doctrine de la foi remonte au 25 février 1978, à la fin du pontificat de Paul VI : « Normaede modo procedendi in diudicandis praesumptis apparitionibus ac revelationibus » (« Normes pour la procédure de jugement des apparitions et révélations présumées« ). Ces normes ont été signées par le cardinal Franjo Šeper, alors préfet de la foi, et par le secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’archevêque Jérôme Hamer OP, que Jean-Paul II a créé cardinal en 1985.

Le nouveau document fournit les bases pour « une certification rapide et sûre des statues de la Madone qui pleurent ou qui saignent », a déclaré Franca Giansoldati, vaticaniste du quotidien romain Il Messaggero. Giansoldati met le nouveau document en relation directe avec les événements de Trevignano [Depuis 2016, Marie se manifesterait à une « mystique » nommée Gisella Cardia à Trevignano Romano, une ville de la province de Rome], contre lesquels le Vatican veut se « prémunir ». La « voyante » locale Gisella aurait provoqué « un malaise même chez le pape », car elle aurait mis en émoi tout un diocèse par de prétendues visions et apparitions et attiré des adeptes même de l’étranger. L’évêque local a déclaré qu’elle n’était « pas crédible » et que ses messages avaient un contenu « bizarre » qui « ne correspond pas à la doctrine catholique ».

Des règles plus strictes

Les nouvelles normes romaines impliquent des dispositions plus strictes, un « véritable serrage de vis », selon Giansoldati. C’est nécessaire, selon la vaticaniste, car à l’ère d’Internet, les nouvelles se propagent à la vitesse de l’éclair. Un cas présumé doit donc, selon Giansoldati, être immédiatement « géré » en neutralisant le risque que les fausses informations circulent pendant des mois et trompent de nombreuses personnes ». On s’attendrait en fait à ce qu’il y ait d’abord une indication selon laquelle des enquêtes sont menées en premier lieu.

Il y a, poursuit la vaticaniste, « des milliers et des milliers » d’indications qui parviennent chaque année du monde entier au Vatican concernant des statues de madones [statues de la Sainte Vierge] qui pleurent des larmes de sang, qui « bougent les yeux » ou qui « exhalent des parfums odorants ».

L’Eglise s’est toujours montrée très réticente à l’égard de ces phénomènes. L’appel à ce que Rome prenne une décision à ce sujet n’est cependant apparu que récemment. Pour être précis, la question d’une décision romaine ne s’est posée que dans le contexte de Medjugorje. Auparavant, comme pour Lourdes et Fatima, l’autorité de l’évêque local suffisait. Le bras de fer tenace autour de la localité d’Herzégovine a conduit à faire entrer Rome en jeu en tant que dernière instance compétente. Par le passé, Rome n’a considéré qu’il était nécessaire d’agir que lorsque des formes de piété populaire risquaient de sortir des rails.

La création de l’Observatoire romain des apparitions mariales et des phénomènes mystiques mentionné ci-dessus et le nouveau document sont toutefois l’expression d’une volonté de centralisation.

Le rythme de diffusion des informations sur les réseaux sociaux rend ces mesures nécessaires. Dans le passé, le Vatican a procédé à des examens approfondis et a pris beaucoup de temps pour cela, « parfois trop longtemps », selon Giansoldati. Il n’y a que très peu d’apparitions de la Vierge Marie reconnues par l’Eglise, une vingtaine au total, les plus récentes étant la Vierge aux larmes de Syracuse en Sicile (1953) et Kibeho au Rwanda (1981/82). Alors qu’à Syracuse, il n’y a eu ni apparition ni message, à Kibeho, les deux se sont produits. La Vierge y est apparue quatre fois à plusieurs jeunes filles, se présentant comme la « Mère du Verbe ». Lors de la dernière apparition, le 19 août 1982, elle a montré aux jeunes les horreurs des massacres qui devaient se produire en 1994. Son message est l’appel à la conversion, à la prière et au jeûne, et l’invitation à aimer Dieu et son prochain comme seul chemin vers l’unité et la paix.

A Syracuse, le Saint-Siège, concrètement la Congrégation pour la doctrine de la foi, a été informé en permanence des recherches. Finalement, les évêques de Sicile, réunis en session, ont déclaré l’authenticité du caractère surnaturel. A Kibeho, la reconnaissance par l’évêque local a eu lieu en 2001, également en concertation avec la Congrégation pour la doctrine de la foi. Dans les deux cas, Rome n’est pas intervenue directement.

Le « cas très compliqué » de Medjugorje

C’est alors que s’est produit, selon Giansoldati, le « cas très compliqué » de Medjugorje, « avec des voyants qui recevaient (et reçoivent toujours) des messages à des moments précis ». La commission d’enquête mise en place par Benoît XVI et dirigée par le cardinal Ruini a remis son rapport final à son successeur François, en raison de la démission de ce dernier. Le rapport n’a pas été publié à ce jour. Selon des indiscrétions émanant de membres de la commission, celle-ci est arrivée à la conclusion que seules les toutes premières apparitions mériteraient d’être crédibles, lorsque les voyants étaient encore des enfants, tandis que derrière les innombrables événements et messages suivants, qui se compteraient par milliers, il faudrait exclure « une main céleste ».

Le pape François n’a cependant rien entrepris jusqu’à présent sur la question de la reconnaissance, raison pour laquelle la décision négative de l’évêque local reste valable. Le chef de l’Eglise se contente de faire de Medjugorje un lieu de prière sous la supervision du Vatican.

Or, la question de savoir si une apparition est authentique ou s’il s’agit d’une fraude ou d’une tromperie est très sérieuse. Il est clair que l’examen ne constitue pas une tâche facile pour l’Église, mais un véritable défi pour pouvoir donner une réponse claire aux hommes. (…)

Les opposants à l’Eglise et d’autres s’efforcent d’apporter la « preuve » que les apparitions mariales et autres phénomènes surnaturels sont une « fraude ». Pour l’Église, la question est bien plus complexe. Même là où il n’y a pas de véritable apparition, de bons fruits peuvent se produire, car ils ne sont pas liés à une apparition ou à un lieu, mais à un cœur ouvert à Dieu.

Comment « serrer la vis » ?

Comment peut-on imaginer le prochain « tour de vis » que le Vatican entend effectuer face au phénomène des apparitions ? Les détails ne sont pas encore connus, mais en gros, des enquêtes plus strictes seront ordonnées. Plus que la lettre du document, c’est l’esprit dans lequel les enquêtes seront menées qui semble décisif. Celles-ci restent certes du ressort de l’évêque local, mais Rome veut mettre à leur disposition, avec l’Observatoire , un instrument bien rodé et parvenir ainsi à une uniformisation et à une systématisation des enquêtes, tout en exerçant un contrôle.

La vie des présumés voyants doit être examinée de manière complète et précise. Il faut déterminer s’il s’agit d’une maladie ou d’un besoin de reconnaissance. Il faut exclure les personnes qui gagnent de l’argent grâce au « phénomène » ou qui ont un casier judiciaire.

Un nouveau critère serait également de savoir si les « messages » contiennent des scénarios de fin du monde ou des déclarations apocalyptiques. Le père franciscain Stefano Cecchin, président de l’ Académie pontificale mariale internationale, a fait sensation il y a un an lorsqu’il a déclaré dans une interview à Alfa y Omega que les apparitions qui parlent de châtiments « sont absolument fausses ». Il délégitimait ainsi, certainement sans le vouloir, Fatima et La Salette, pour ne citer que deux des apparitions mariales reconnues les plus connues. En clair : s’il est question d’avertissements, de punitions et de ruine en rapport avec des phénomènes d’apparition, il convient d’agir avec une prudence et une retenue redoublées. Plus encore : ce sont en quelque sorte des candidats privilégiés à l’élimination immédiate.

De très nombreuses apparitions récentes, réelles ou supposées, sont des avertissements et annoncent de possibles châtiments. Est-ce là le problème ? Le 17 juin 2023, le père Cecchin a en tout cas dit encore plus clairement à Avvenire, le quotidien des évêques italiens, ce qui semble être une des motivations du « tour de vis »:

« Pourquoi les gens veulent-ils aujourd’hui saper le pape, l’Eglise, les institutions civiles ? Marie est porteuse de paix, elle vient nous conduire à la rencontre de Dieu parce que Dieu m’aime, elle sacrifie son fils pour les pécheurs, pas pour châtier le monde ».

Katholisches.info s’est donc demandé le 23 juin 2023 si Rome préparait une « Cancel Culture » contre Marie ?

Dans ce contexte, il est frappant de constater que le père Cecchin, contrairement à Sœur Del Gaudio, nettement plus réservée, n’est pas prévu comme orateur lors de la conférence de presse de présentation.

Il y a en tout cas aussi des candidats « sérieux » à la reconnaissance, selon Giansoldati, dont les cas sont en cours d’examen. En font partie la mystique Pierina Gilli de Montichiari, décédée en 1991, à qui la Vierge serait apparue en 1946/47, puis à nouveau en 1966 et plus tard, la dernière fois le 24 mars 1983, sous la forme de « Rosa mystica », ainsi que Michelino Marcovecchio et les apparitions d’Agnone, toujours en cours.

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