Le document du DDF (ICI sur le site du Vatican) instituant de nouvelles normes pour le « discernement » des apparitions mariales est pleinement dans la ligne d’un pontificat qui prétendait « démondaniser » l’Eglise et qui au final s’essouffle à force de courir après le monde. Le scepticisme est la règle. Le texte de Tucho Fernandez donne des normes non pas de discernement, mais de déni du surnaturel.
Ce qui ressort, en fin de compte, c’est l’exclusion presque totale d’un jugement positif concernant le caractère surnaturel des phénomènes – seul le Pape pourra le faire « de manière tout à fait exceptionnelle ».

Et si la Vierge apparaissait vraiment ? Tant mieux pour elle – semble répondre le dicastère – mais ne venez pas nous apprendre le métier.

Apparitions mariales, nouvelles normes pour nier le surnaturel.

Stefano Chiappalone
lanuovabq.it
18 mai 2024

Dans le document signé Fernández, il y a six critères pour tout vérifier, mais malheur à l’éventuel caractère surnaturel des phénomènes et des apparitions. Tout au plus un nihil obstat, pour la série « ça ne fait pas de mal… ».

Tout vérifier sauf le caractère surnaturel : tel est le sens des nouvelles Normes du Dicastère pour la Doctrine de la Foi pour procéder au discernement de présumés phénomènes surnaturels, signées par le cardinal préfet Víctor Manuel Fernández et le secrétaire Mgr Armando Matteo. En bref dans l’évaluation d’éventuelles apparitions (ou d’autres phénomènes) nous aurons : une plus grande centralisation entre les mains du Dicastère, six conclusions possibles concernant les faits examinés et surtout l’exclusion presque totale d’un jugement positif concernant le caractère surnaturel des phénomènes – ce que seul le Pape pourra faire « de manière tout à fait exceptionnelle ».

Lors de la conférence de presse de présentation, le cardinal Fernández a précisé que (sauf intervention suprême) « le caractère surnaturel ne sera pas déclaré ». Archivées, les catégories précédentes, confirmant, infirmant ou suspendant le jugement de surnaturalité (respectivement : constat de supernaturalitate, constat de non supernaturalitate ou non constat de supernaturalitate); il sera possible de dire tout au plus : nihil obstat (rien n’interdit que…). Dans la série : ça ne fait pas de mal…

Précision : que les révélations privées ne doivent pas être confondues avec la Révélation tout court (même si elles peuvent offrir une aide valable pour la comprendre et la vivre) et que – contrairement à cette dernière – elles ne sont pas strictement nécessaires au salut, l’Église l’a dit clairement déjà auparavant. De même qu’un nihil obstat prudentiel était déjà mentionné dans les Normes de 1978, dans lesquelles on lit que l’autorité ecclésiastique peut « permettre certaines manifestations publiques de culte ou de dévotion, en continuant à y veiller avec une grande prudence (ce qui équivaut à la formule : “pro nunc nihil obstare”) ». Ce qui était [jusqu’alors] prudentiel, devient maintenant définitif et constitue la seule conclusion favorable possible. En effet, les expressions définitives à cet égard sont explicitement réprouvées (sauf dans le cas négatif, bien sûr). Le document cite comme exemple à ne pas suivre la déclaration des évêques siciliens qui se sont exprimés ainsi à propos de Notre-Dame des Larmes de Syracuse : « La réalité des larmes ne peut être mise en doute ». Une déclaration désormais inconcevable.

Dans la meilleure des hypothèses prédites – nihil obstat – « même si aucune certitude n’est exprimée quant à l’authenticité surnaturelle du phénomène, de nombreux signes d’une action de l’Esprit Saint “au milieu” d’une expérience spirituelle donnée sont reconnus, et aucun aspect particulièrement critique ou risqué n’a été détecté, du moins jusqu’à ce moment-là ».

Autrement dit, les fruits positifs sont là, mais dans leur contexte, “au milieu” , et sans exprimer « aucune certitude sur l’authenticité surnaturelle du phénomène ». Au contraire,

« il est réitéré que ni l’évêque diocésain, ni les conférences épiscopales, ni le dicastère, en règle générale, ne déclareront que ces phénomènes sont d’origine surnaturelle, pas même si un nihil obstat est accordé ».

Ensuite, le cardinal Fernández a tenu à rassurer que « ce n’est pas une simple permission » et il a cité à cet égard le texte : « l’évêque diocésain est encouragé à apprécier la valeur pastorale et aussi à promouvoir la diffusion de cette proposition spirituelle ». Mais justement, seulement la « valeur pastorale », en décourageant tout le reste.

Les autres critères, selon les problèmes qu’ils soulèvent [dans l’ordre croissant], sont :

  • prae oculis habeatur (« Bien que des signes positifs importants soient reconnus, certains éléments de confusion ou de risques possibles sont également ressentis ») ;
  • curatur (« Plusieurs éléments critiques ou significatifs sont notés, mais en même temps il y a déjà une large diffusion du phénomène et une présence de fruits spirituels ») ;
  • sub mandatur (« Les points critiques détectés ne sont pas liés au phénomène en lui-même, qui est riche en éléments positifs, mais à une personne, une famille ou un groupe de personnes qui en font un usage abusif ») ;
  • prohibetur et obstruatur (« même en présence de demandes légitimes et de quelques éléments positifs, les points critiques et les risques apparaissent sérieux ») ;
  • enfin, la declaratio de non supernaturalitate (« le phénomène est reconnu comme n’étant pas surnaturel »).

Ainsi, on peut exprimer une opinion sur le surnaturel, mais seulement lorsqu’il est nécessaire de le nier. Parfois, les éléments négatifs sont déjà reconnaissables dans le comportement du destinataire présumé des phénomènes, comme l’a expliqué le cardinal préfet avec la bienséance de langage : « s’il ne vit pas dans la grâce sanctifiante », a-t-il dit lors de la conférence de presse, « il lui est plus facile de faire de la merde [fare cazzate] » (sic !).

C’est à l’évêque d’examiner et de superviser, en précisant que « le Dicastère doit toujours être consulté et intervenir ». Ce sera en effet au Dicastère « d’examiner les actes du cas » et de « confirmer ou non la détermination proposée par l’évêque diocésain ». Même en cas d’issue positive,

« l’évêque diocésain portera la plus grande attention à la juste appréciation des fruits du phénomène examiné, en continuant à les surveiller avec un soin prudent » ;

et surtout,

« il veillera aussi à ce que les fidèles ne considèrent aucune des déterminations comme une approbation du caractère surnaturel du phénomène ».

Il est entendu que

« le Dicastère se réserve le droit, en tout état de cause, d’intervenir à nouveau suivant le développement du phénomène ».

En somme, même si l’enquête se conclut favorablement, l’ordinaire du diocèse a pour rôle de contrôler plutôt que d’encourager : après Traditionis custodes voici Apparitionis custodes.

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Enfin Fernandez vint

Une dernière note sur le calendrier et la genèse des nouvelles normes, évoquées au début du document. La révision des critères de discernement, inévitable après quelques décennies, avait débuté en 2019, mais « au cours de ces cinq années, plusieurs propositions de révision ont été élaborées, toutes jugées cependant insuffisantes ».

Jusqu’à ce que,

« le 16 novembre 2023, on reconnaisse enfin la nécessité d’une révision globale et radicale du projet élaboré jusqu’alors, et que l’on élabore un autre projet de document, totalement repensé dans le sens d’une plus grande clarification des rôles de l’évêque diocésain et du dicastère ».

Bref, on n’arrivait pas au bout.

Et puis la situation s’est débloquée – nous dirions « par miracle », mais sans aucune certitude quant au surnaturel – immédiatement après l’arrivée du cardinal Fernández. Si bien qu’après cinq ans d’atermoiements, en cinq mois, le document est apparu au grand jour. Opérant naturellement « une révision globale et radicale » – d’ailleurs le leitmotiv de cet acte et d’autres actes de l’actuel pontificat est : « Avant nous faisions ceci et cela, mais nous au lieu de cela… ».

Un doute subsiste en fin de compte. En raison de la législation précédente, le seul élément qui reste inchangé concerne la declaratio de non supernaturalitate ; le changement, plutôt que de résoudre les cas négatifs, semble viser à réduire l’impact des cas positifs.

Et si la Vierge apparaissait vraiment ? Tant mieux pour elle – semble répondre le dicastère – mais ne venez pas nous apprendre le métier.

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Post-scriptum

Le document parle en termes généraux, mais l’intérêt des médias se porte surtout sur les répercussions dans l’actualité. Pour le cardinal Fernández, « avec ces normes, il sera plus facile d’avancer et de parvenir à une conclusion » sur Medjugorje. Dans ses réponses aux journalistes présents à la conférence, le préfet n’a pu retenir un certain scepticisme, insistant sur les fruits positifs, mais évoquant, dubitatif, les dates et heures que la Vierge aurait données à l’évêque lors des prétendues apparitions. « C’est à voir », a déclaré le cardinal argentin.

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En ce qui concerne les présumées apparitions mariales de Trevignano, le préfet a révélé que derrière la déclaration de non-surnaturel récemment décrétée par l’évêque de Civita Castellana, Mgr Marco Salvi, se cachait précisément l’intervention du dicastère qu’il dirige. L’excommunication est possible, a admis le cardinal.

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Nico Spuntoni, la NBQ
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