La communauté Sant’Egidio, qui est le véritable artisan du soi-disant accord « secret », est à l’origine de deux conférences qui se sont tenues ces jours-ci, une à Rome, une à Milan, pour commémorer le centième anniversaire du Concile de Shangaï (mai-juin 1924) voulu par Benoît XV. Le Pape d’alors entendait réaffirmer l’esprit missionnaire et l’universalité de l’Eglise à travers la présence en Chine d’un clergé local « parfaitement formé ».
Un esprit missionnaire aux antipodes de celui qui préside au rapprochement sino-vatican d’aujourd’hui, dans un contexte historique totalement différent. Mais, pour parvenir à l’accord (qui, pense-t-il, devrait lui assurer une place dans l’histoire) , le pape est prêt à « concéder n’importe quoi juste pour planter un drapeau à Pékin« . Et comme d’habitude, pour ce faire, on n’hésite pas à « tordre l’histoire »…. y compris aux dépens des martyrs catholiques chinois.

Chine-Vatican, on réécrit l’histoire pour légitimer l’accord.

Riccardo Cascioli
La NBQ
22 mai 2024

Nombreux intervenants chinois, message vidéo du pape et discours du secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Parolin : le concile de Shanghai de 1924 commémoré par deux conférences à Milan et à Rome pour promouvoir « l’esprit » de l’accord secret sur la nomination des évêques. Une déformation historique sur le dos des catholiques chinois.

Monsignor Shen Bin e il cardinale Parolin - LaPresse
Mgr Shen Bin et le cardinal Parolin: l’évêque qui a défié directement le pape

« Nous espérons depuis longtemps pouvoir avoir une présence stable en Chine, même si elle n’aura peut-être pas, dans un premier temps, la forme d’une représentation pontificale, d’une nonciature apostolique… ».

C’est dans cette perspective, tracée par les propos du secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, qu’il faut interpréter la conférence sur le 100e anniversaire du Concile de Shanghai, à laquelle Parolin a assisté hier, 21 mai.

En réalité, il s’agissait d’une commémoration en deux temps : lundi 20 à Milan, organisée par l’Université catholique, et hier précisément à Rome, organisée par l’Université pontificale Urbanienne ; toutes deux rendues possibles par la Communauté de Sant’Egidio, qui fait tant pour promouvoir « l’esprit » de l’accord secret controversé entre la Chine et le Saint-Siège, signé en 2018, renouvelé tous les deux ans et désormais sur le point d’être définitivement approuvé.

À Milan comme à Rome, il y avait une forte présence chinoise parmi les intervenants, tous évidemment liés au régime communiste de Pékin, évêques compris : à Milan, l’évêque mongol de Hohhot, Meng Qinglu qui a participé à plusieurs ordinations épiscopales illégitimes, y compris après l’accord de 2018 ; à Rome, en revanche, il y avait l’évêque de Shanghai, Joseph Shen Bin [voir photo ci-dessus], protagoniste de la fameuse « gifle » du régime communiste au Saint-Siège : il a été installé à Shanghai le 4 avril 2023 par le gouvernement et le pape, dos au mur, ne l’a reconnu que le 15 juillet suivant. Qu’il prenne aujourd’hui la parole lors d’une conférence au Vatican en dit long sur le rapport de force établi par l’accord et surtout sur la volonté du Vatican de concéder n’importe quoi juste pour planter un drapeau à Pékin.

Il n’est donc pas étonnant que le souvenir du Concilium Sinense de Shanghai (mai-juin 1924) ait été l’occasion de réinterpréter l’histoire en fonction des besoins actuels.

Mais qu’est-ce que le Concile de Shanghai ?

C’est avant tout la façon dont les indications au monde missionnaire que le pape Benoît XV avait données dans sa lettre apostolique Maximum Illud (1919) ont commencé à être mises en œuvre en Chine : le pape constatait que dans diverses parties du monde, la tâche missionnaire était freinée par la dépendance excessive du clergé à l’égard des puissances coloniales qui contrôlaient ces régions ; d’où, par exemple, la nécessité de promouvoir la création d’un clergé autochtone « parfaitement formé » :

« De même que l’Église de Dieu est universelle, et donc étrangère à aucun peuple, de même il convient qu’il y ait dans chaque nation des prêtres capables de diriger, comme maîtres et guides, leurs propres compatriotes sur le chemin de la santé éternelle ».

Mgr Celso Costantini, envoyé comme délégué apostolique en Chine par le pape Pie XI à la fin de l’année 1922, fut le grand réalisateur de ce parcours et, dès 1926, six évêques chinois furent ordonnés à Rome, une façon de souligner que l’« indigénisation » de l’Église était étroitement liée à son universalité.

La tentative pas vraiment voilée des deux conférences de célébration de ces jours-ci est de créer un parallèle entre ce processus de “nationalisation“ et l’actuelle ”sinisation“ imposée par le président chinois Xi Jinping par l’intermédiaire de l’Association patriotique des catholiques chinois, et approuvée par la hiérarchie vaticane.

C’est ce que démontre également un passage du message vidéo du pape François à la conférence romaine, lorsqu’il déclare :

« À Shanghai, les pères réunis dans le Concilium Sinense ont vécu une expérience authentiquement synodale et ont pris ensemble des décisions importantes. L’Esprit Saint les a réunis, a fait grandir l’harmonie entre eux, les a conduits sur des chemins que beaucoup d’entre eux n’auraient pas imaginés, surmontant même la perplexité et la résistance. C’est ce que fait l’Esprit Saint qui guide l’Église ».

En pratique, dit le pape, l’Esprit Saint, par le biais de la synodalité, les a fait passer de l’opposition à l’ordination du clergé local à l’ouverture de «nouvelles voies».

En d’autres termes, c’est ce que nous faisons aujourd’hui ; ce qui revient à dire que ceux qui critiquent l’accord avec la Chine ne sont pas ouverts à l’Esprit Saint.

Le parallèle avec le Concile de Shanghai est cependant une distorsion historique évidente. Non seulement en raison du contexte politique et social de l’époque totalement différent de celui d’aujourd’hui : la Chine vivait encore dans la tourmente qui avait suivi la révolution républicaine de 1911-12 qui avait renversé la dynastie Qing, la Première Guerre mondiale et la saison des seigneurs de la guerre. Une situation bien éloignée de celle du régime totalitaire actuel qui contrôle aujourd’hui toute la Chine d’une main de fer et tend à s’étendre.

Mais surtout, dans les documents des papes Benoît XV et Pie XI, dans les travaux de Mgr Costantini, dans les actions des grandes figures catholiques chinoises de l’époque (également rappelées dans ces conférences), il est clair que la seule véritable préoccupation était « l’annonce du Christ ». C’est l’élan missionnaire qui a poussé à trouver les meilleurs moyens de faire parvenir le Christ à chaque homme, à chaque peuple. Il n’y avait pas de calculs politiques, mais les missionnaires étaient rappelés à leur vocation première, eux qui « ne sont pas envoyés par leur pays, mais par le Christ ». Le processus d’indigénisation du clergé était donc le fruit du zèle missionnaire.

En assistant à ces conférences à Milan et à Rome, en revanche, on percevait clairement la voie opposée : organiser l’Église de manière à légitimer sa « nationalisation », mais précisément dans le sens souhaité par le régime communiste. Au fond, tous les discours impliquaient cet objectif.

Il y a un deuxième aspect très important, pour révéler le mensonge sournois sur lequel reposent certaines positions. En forçant le parallèle entre l’attitude du Vatican aujourd’hui et celle du siècle dernier, on passe sur tout ce qui s’est passé au cours des cent dernières années, et sur ce qui se passe encore aujourd’hui. L’Église chinoise, même si elle est peu nombreuse, a donné une grande preuve de foi par le martyre : rien que depuis l’avènement du régime communiste en 1949, des milliers de catholiques chinois ont payé de leur sang leur appartenance au Christ et leur fidélité au Pape. Et ils paient encore cette appartenance par une persécution systématique, aggravée après les accords Chine-Saint-Siège de 2018. Une persécution qui s’est désormais également étendue à Hong Kong, où des dizaines et des dizaines de catholiques sont en prison. C’est le martyre et la fidélité de nombreuses personnes qui prouvent que l’Église est vraiment devenue chinoise ; c’est la véritable « sinisation », qu’il faut continuer à poursuivre.

Au lieu de cela, un silence tragique s’est abattu sur toute cette réalité depuis le Vatican ; lors des deux conférences sur le Concile de Shanghai, il aurait semblé à un auditeur non averti de la situation réelle que c’était à l’Église de s’amender de ses péchés contre la Chine.

Car l’auditeur inconscient ne sait pas que le silence est le prix à payer pour espérer « avoir une présence stable » à Pékin. Aux dépens des catholiques chinois.

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