J’avais lu en 2016, lors de sa sortie en librairie, « Conclave » de l’américain Robert Harris, et avec toutes les réserves imposées par le politiquement correct au monde de l’édition, je l’avais trouvé captivant, assez réaliste et très bien documenté, loin des romans de gare caricaturaux à la Dan Brown ou autres « auteurs » (ateliers d’écriture?) dont on se hâte d’oublier le nom.
Le roman, curieusement sorti dans une certaine discrétion (il n’était pas en tête de gondoles dans les grandes surfaces « culturelles »), n’a sans doute pas trouvé son public, au moins en France. La perspective du conclave ne passionnait plus grand monde et François était au zénith de sa popularité.
Aujourd’hui, Hollywood s’en est emparé (l’échéance du conclave devient une réalité tangible), et le film devrait sortir en salle avant la fin de l’année. Occasion pour Damian Thompson de brosser un tableau assez pénétrant de ce que pourrait être le prochain conclave, avec, parmi les papabili, un cardinal Parolin très trouble et très sinueux, et surtout très habile, qui a actuellement le vent en poupe. En passant, on a droit au jeu amusant du « qui-est-qui » consistant à associer les noms fictifs du film à ceux de la réalité.
Du même Damian Thompson
Le complot pour trouver le prochain pape
Damian Thompson
www.spectator.co.uk/article/the-plotting-to-find-the-next-pope/
27 juillet 2024
L’adaptation hollywoodienne de Conclave, le thriller de Robert Harris sur une conspiration visant à truquer une élection papale, ne sera pas dans les salles de cinéma avant novembre. Mais à en juger par la bande-annonce publiée la semaine dernière, son casting étoilé, son intrigue astucieuse et sa cinématographie spectaculaire – des jets de fumée dispersant les cardinaux alors qu’une explosion fait voler en éclats la chapelle Sixtine – effaceront instantanément les souvenirs de The Two Popes, la risible fantaisie de Netflix nommée aux Oscars dans laquelle Benoît XVI choisit secrètement le cardinal Bergoglio pour lui succéder.
Le roman de Harris a été publié en 2016 et, diplomatiquement, se situe à quelques années dans le futur, puisque le Saint Père anonyme qui gît mort d’une crise cardiaque dans la Casa Santa Marta était clairement censé être François.
À sa mort, tous les cardinaux âgés de moins de 80 ans et donc habilités à voter sont enfermés dans la Casa entre les tours de scrutin. Leurs téléphones portables sont confisqués et le wifi coupé.
Mais que se passe-t-il si, pendant l’élection, le doyen du collège des cardinaux – un Italien dans le roman, mais joué par Ralph Fiennes dans le rôle du cardinal anglais Lawrence dans le film – voit l’un des favoris saboter un rival entre les deux tours de scrutin ? Et si un cardinal créé en secret par l’ancien pape s’avérait ne pas être ce qu’il semble être ?
Certains détails du livre n’ont pas été bien accueillis. Le Saint Père décédé de Harris, humble et attaché à ses principes, n’a rien à voir avec le François vindicatif et hanté par les scandales de 2024. L’un des quatre principaux candidats, le cardinal italien Tedesco, est un traditionaliste enragé qui compte des dizaines d’alliés parmi les électeurs. Une telle créature ne pourrait pas exister aujourd’hui. Quatre cardinaux électeurs sont peut-être des traditionalistes adhérents de la « messe en latin », et aucun n’a la moindre chance – ce qui n’est pas surprenant, étant donné que 92 des 120 cardinaux éligibles ont été créés par le pape François.
Dans l’ensemble, cependant, la politique vaticane décrite dans le roman est convaincante. Outre Tedesco, les autres candidats sont le cardinal nigérian Adeyemi, interprété dans le film par Lucian Msamati, qui autoriserait la danse tribale au milieu de la messe, mais pas la communion pour les divorcés ; un libéral sophistiqué, le cardinal Bellini (Stanley Tucci) ; et le cardinal Tremblay (John Lithgow), le chambellan du pape, un Canadien à la langue bien pendue qui surveille tout le monde et appuie sur une série de boutons différents pour chaque faction. C’est un mélange astucieux.
Lors du tournage de Conclave, il semblait que sa sortie en novembre coïnciderait avec un véritable conclave. François était terriblement essoufflé et se rendait régulièrement à l’hôpital. Aujourd’hui, « il a rebondi, comme il le fait toujours », déclare une source vaticane avec lassitude – non pas parce qu’il attend des funérailles, mais parce que tout regain d’énergie sera déversé dans des règlements de compte. Depuis des mois, des rumeurs circulent selon lesquelles le pape, exaspéré par les informations selon lesquelles les jeunes catholiques se tournent vers la messe traditionnelle en latin, envisagerait une interdiction mondiale draconienne de l’ancienne liturgie.
Mais il sait que le temps lui est compté. Il a 87 ans, six ans de plus que Joe Biden, et il est le pape le plus âgé depuis plus d’un siècle. Bien qu’il puisse adopter des mesures de terre brûlée contre les traditionalistes, il a créé trop de cardinaux aux opinions conservatrices cachées pour s’assurer un successeur ouvertement progressiste.
Si un conclave avait lieu l’année prochaine, il est probable que trois candidats importants correspondraient à peu près aux Adeyemi, Bellini et Tremblay de Harris. Dans ce cas, les conservateurs qui ne veulent pas d’un pape africain chercheraient quelqu’un inspiré par Benoît XVI, insistant sur la pureté de la doctrine et la rénovation esthétique de tous les cultes, anciens et nouveaux. Ils sont déjà en train de chercher, gênés par la difficulté d’appliquer un modèle occidental à des cardinaux apparemment prometteurs d’Asie de l’Est.
En attendant, comme le souligne Nico Spuntoni, observateur du Vatican, un seul homme est considéré à Rome comme un favori évident pour succéder à François – et ce n’est pas le liberal cardinal Luis Tagle, qui était une rock-star à Manille mais qui, lorsqu’il est passé à la Curie où il est devenu responsable de l’évangélisation, a vu sa carrière imploser à cause d’allégations d’incompétence. Si, après le prochain conclave, le cardinal Pietro Parolin apparaît vêtu de blanc, personne ne sera surpris », déclare Spuntoni.
Parolin, 69 ans, originaire de Vénétie, est secrétaire d’État, c’est-à-dire premier ministre de l’État du Vatican et, surtout, représentant du pape sur la scène internationale. Depuis 11 ans, il a survécu aux remaniements sauvages et réguliers de François. Il est considéré comme un modéré qui serait capable de réparer les dégâts causés par les emportements et les vendettas de son patron. Comme le note Spuntoni, il a le don de compatir avec les victimes de la colère de François sans jamais laisser un mot déloyal franchir ses lèvres.
Mais pour comprendre la véritable nature de la diplomatie de Parolin, il faut étudier son initiative la plus ambitieuse en tant que secrétaire d’État. En 2018, il a négocié un accord avec Pékin, jamais publié, qui donne au parti communiste chinois le pouvoir de nommer les évêques catholiques pour approbation par le pape, mettant ainsi soi-disant fin à la division entre l’Église contrôlée par l’État et l’Église clandestine qui lui est fidèle. Pékin a immédiatement commencé à nommer des évêques sans consulter Rome, et le pape a dû les approuver. Pendant ce temps, le pape, soutenu par son secrétaire d’État, ne dit rien sur les attaques génocidaires de la Chine contre les Ouïghours.
Comment peut-on survivre à un désastre aussi sordide ? La réponse est que les talents diplomatiques virtuoses de Parolin sont utilisés pour se protéger lui-même.
De même, il était en charge de la Secrétairerie d’État lorsque celle-ci a été entraînée dans des investissements financiers ridiculement ineptes et corrompus. Il s’agissait notamment d’un projet visant à prendre le contrôle du développement luxueux d’un ancien entrepôt Harrods situé dans Sloane Avenue, à Chelsea. Le Saint-Siège a affirmé avoir été escroqué par l’adjoint de Parolin, le cardinal Angelo Becciu, qui, avec neuf autres accusés, a été condamné par un tribunal du Vatican pour détournement de fonds, blanchiment d’argent, fraude et extorsion.
Aujourd’hui, les projecteurs sont braqués sur l’actuel substitut de Parolin, l’archevêque Edgar Pena Parra, qui a admis l’année dernière avoir ordonné l’espionnage électronique non autorisé du directeur de la banque du Vatican, qui avait refusé de prêter à son département 150 millions d’euros pour couvrir ses pertes dans l’avenue Sloane. Début juillet, Pena Parra a été cité comme témoin dans un procès de la Haute Cour lié à l’affaire londonienne, dans lequel il a admis avoir signé une facture « totalement fictive » de 5 millions d’euros présentée par un homme d’affaires qui aurait extorqué de l’argent au Saint-Siège. Heureusement pour Parolin, les médias ne l’ont guère remarqué.
Comme le cardinal Tremblay dans Conclave, Parolin adapte subtilement son message aux différentes factions. Nous ne pouvons deviner ses véritables opinions qu’en examinant attentivement son CV. Son mentor était le cardinal Achille Silvestrini (1923-2019), un champion de l’Ostpolitik, une politique de capitulation presque totale face aux régimes socialistes.
Silvestrini faisait également partie de la « mafia de Saint-Gall », le groupe de réformistes libéraux qui a désespérément fait pression pour empêcher le cardinal Ratzinger d’être élu pape en 2005.
Dans les années 1990, le rusé Silvestrini dirigeait son propre bureau de presse parallèle et non officiel ; il en va de même pour Parolin, qui alimente régulièrement ses correspondants préférés au Vatican en histoires pour les empêcher de s’intéresser de trop près à son service. Pendant ce temps, il se déplace sinueusement au sein du collège des cardinaux, s’assurant que ses opinions les plus dures ne tombent que dans des oreilles bienveillantes. Par exemple, il se garde bien d’annoncer son soutien à la proposition d’interdiction de la messe traditionnelle en latin, cible privilégiée des cardinaux de Saint-Gall. En public, il soutient la décision de François contre les femmes diacres. En privé ? Il a déjà tenté de persuader un cardinal de haut rang que c’était une bonne idée. S’il devient pape, ces questions reviendront à l’ordre du jour.
Dans la bande-annonce de Conclave, le cardinal Bellini joué par Tucci dit au cardinal Lawrence joué par Fiennes qu’ « aucun homme sain d’esprit ne voudrait de la papauté ». Puis la caméra s’arrête sur Tremblay et une voix non identifiée dit : « Les hommes qui sont dangereux sont ceux qui veulent la papauté ». Dans le livre, cette phrase est celle du cardinal Sabbadin, allié de Bellini, qui les décrit comme « ceux qu’il faut arrêter ».
En l’occurrence, la catastrophe est évitée parce que des informations vitales s’infiltrent dans la Casa Santa Marta après que les portes ont été verrouillées et les fenêtres fermées. Cela n’arrivera pas dans la vie réelle. Mais ce n’est pas nécessaire. Les cardinaux électeurs en savent déjà assez. Ce sera leur faute si le cardinal le plus puissant du Vatican parvient à s’éloigner des tourments des catholiques chinois et du blizzard du blanchiment d’argent à la Secrétairerie d’État pour se rendre sur le balcon de Saint-Pierre.