Andrea Gagliarducci consacre sa chronique du lundi à la « biographie » de François – présentée en grande pompe par l’ « auteur », et même en prime time dimanche soir à la télévision italienne.
Le propos du vaticaniste est parfaitement résumé dans sa conclusion: « MOI, MOI, MOI ». Plus exactement

Ce n’est donc pas une autobiographie, mais ce n’est pas non plus une exploration spirituelle de la volonté de Dieu. Dans ce livre, il n’y a que le pape. Il n’y a jamais l’Église, que le pape est appelé à servir.

L’autobiographie qui n’en est pas vraiment une

20 janvier 2025
Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com

Vendredi dernier, le pape François a publié son autobiographie, célébrée en grande pompe, du moins de la part du Vatican et de certains médias complaisants.

Intitulé Spera en italien, Hope en anglais, à lire non pas comme un nom mais comme un verbe à l’impératif, le livre est arrivé en librairie le 16 janvier et suit de près la sortie de trois autres ouvrages : un livre-entretien avec le journaliste Hernan Reyes, un livre-entretien sur sa relation avec Benoît XVI avec le journaliste Javier Martínez-Brocal et un autre livre sur sa vie par rapport aux événements historiques, avec le journaliste Fabio Marchese Ragona.

Spera a été écrit par l’éditeur littéraire italien Carlo Musso, ce qui fait du mot « autobiographie » un terme plutôt imprécis, même si c’est ainsi qu’il est commercialisé. À tout le moins, le terme « autobiographie » n’explique pas entièrement la démarche littéraire que l’on trouve dans les pages du livre.
Le pape François ne se contente pas de regarder le passé, de mettre les événements en ordre et d’essayer d’en faire un récit organique, ordonné et complet. Au contraire, François utilise des épisodes du passé pour justifier certaines de ses actions en tant que pape. Hope, en d’autres termes, est plutôt une sorte de apologia pro vita sua. Le pape François répond même aux critiques, notamment celle selon laquelle il sourit rarement depuis son élection au siège de Pierre.

Surtout, il sélectionne les épisodes et choisit soigneusement ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas raconter, sautant des pans entiers qui – chronologiquement – auraient mérité d’être abordés. Rien ou presque n’est dit sur son « exil » à Cordoue. Rien ou presque n’est dit sur son doctorat, commencé et jamais achevé en Allemagne. Même ses voyages pontificaux sont soigneusement choisis, tout comme les épisodes qu’il raconte. Dans le livre du pape François, il y a un goût pour l’histoire-minute, du moins lorsqu’il s’agit de donner une image fidèle du pontificat.

Bien sûr, tout peut être interprété de différentes manières. Le pape François s’attarde longuement sur le Conclave qui l’a élu. Il ne donne pas de détails, mais fournit un contexte essentiel.

Nous apprenons que François n’a pas écrit le fameux discours qui sera diffusé plus tard par le cardinal Ortega [ndt: cf. fr.zenit.org/2013/03/27]. Ce dernier lui en a demandé une copie et il a reconstitué ses propos.

Nous apprenons que le pape François n’a pas envisagé son nouveau poste sous l’angle officiel. Il s’est contenté de regarder ce qu’il ressentait personnellement. Il a enlevé son anneau de cardinal, mis son anneau d’archevêque, refusé ce qu’on lui proposait et ainsi de suite avec la croix pectorale. Il n’a pas porté la mozzette parce que « ce n’est pas pour lui ». Il n’a pas porté de pantalon blanc parce qu' »il ne voulait pas être un marchand de glaces » [!!!]. Certains voient dans ces détails la grandeur d’un homme qui ne se plie pas à la tradition et d’autres la vanité d’un homme qui ne pense pas à servir une institution mais plutôt à régner sur une institution. L’histoire nous dira quelle interprétation est la plus juste.

Sa relation avec sa mère explique en partie pourquoi il a déclaré que si quelqu’un avait parlé de sa mère, il l’aurait frappé, une déclaration qui a suscité une certaine polémique.

Le pape affirme également avoir fait tout ce qu’il pouvait pour parler au dictateur argentin Jorge Raphael Videla et obtenir des nouvelles des jésuites disparus dans son pays, et avoir même demandé aux prêtres qui devaient célébrer pour les généraux de dire qu’ils étaient malades pour qu’il [lui ???] puisse les remplacer. Le débat reste ouvert, même si les remarques que le pape François a faites aux jésuites hongrois qui l’interrogeaient sur la question il y a quelques années constituaient une sorte de tentative d’apaisement.

Que nous dit donc ce livre du pape François ?

  • Il nous dit tout d’abord que le pape a décidé d’entrer dans l’histoire en donnant sa propre explication des faits. Le genre de l’autobiographie papale, ainsi que le livre-entretien avec le pape, ne sont pas nouveaux. Toutefois, Jean-Paul II et Benoît XVI ont utilisé ces moyens avec discrétion. Ils ont toujours mis l’Église au premier plan, bien que tous deux aient été accusés d’un certain protagonisme personnel [ndt: très sincèrement, je ne vois chez Benoît XVI aucun « protagonisme », seulement une grande humilité et une grande volonté de s’effacer, son unique autobiographie, écrite avant qu’il ne devienne pape, était plus que brève et n’était destinée qu’à « couper » les ,insinuations de ses détracteurs]. Le pape François fait passer ses pensées avant tout le reste, et ses pensées envahissent et débordent les histoires qu’il raconte dans le livre. Chaque détail est un prétexte pour le pape de réitérer sa vision du monde et de réfuter ou critiquer ceux qui l’ont critiqué.
  • Deuxièmement, la biographie nous apprend que le pape François est conscient des controverses qui entourent son pontificat. Le pape François défend ses décisions concernant des questions brûlantes telles que Fiducia supplicans et Amoris laetitia. Cependant, la question des abus, qui a été au centre du pontificat, est abordée presque superficiellement, comme si elle nécessitait une analyse approfondie ailleurs. La diplomatie n’est incluse que dans des appels génériques à la paix et aux cessez-le-feu, mais il n’y a pas de véritable raisonnement géopolitique. Les relations œcuméniques sont également abordées de manière presque superficielle. Lorsqu’il y a une controverse profonde, le pape François ne l’aborde pas. Il exprime son opinion, parfois même en dehors des canons du Saint-Siège, et laisse ensuite aux autres le soin de trouver une solution, en recherchant l’équilibre dans ses paroles.
  • Enfin, la biographie du pape François confirme que ce pontificat est un pontificat de rédemption [rachat?] plutôt que de construction. François est entré en fonction avec sa propre vision du monde et, dès le début, il a voulu l’imposer coûte que coûte. C’est ce qui ressort de ses commentaires acerbes sur la résistance à ses réformes ou même sur ceux qu’on appelle les « indietristes ». De nombreux petits détails montrent que le pontificat de François est aussi un pontificat de « revanche ». Par exemple, il a créé des « cardinaux de réparation » ou des cardinaux dont la pourpre sert à répondre à des situations passées, à les soutenir ou à les inverser.

Il revisite également le récit dans lequel le Dicastère pour la Doctrine de la Foi, dirigé par le Cardinal Fernández, ami du Pape François, est engagé. À la fin du mois, le Dicastère pour la doctrine de la foi publiera un document sur l’intelligence artificielle. Puis il en prépare un autre sur l’esclavage hier et aujourd’hui, un autre sur la monogamie aujourd’hui et un autre sur la mariologie. Il s’agit d’une activité publique inédite, mais qui vise à créer un précédent.

La vérité est qu’on ne trouve pas une grande attention pour l’institution telle qu’elle est transmise par la tradition. L’institution est devenue le pape François, et tout tourne autour de lui : ses humeurs, ses décisions.

François, cependant, est entré en fonction non pas à cause d’une tradition à défendre, mais avec des préjugés à surmonter. La seule chose sur laquelle tout le monde était d’accord avant le Conclave qui a élu François était que l’institution romaine était corrompue et avait besoin d’être réformée. Sous François, l’institution dont les ecclésiastiques réclamaient qu’on en prenne soin lors des réunions pré-conclave n’a fait l’objet que de peu d’interventions de fond. François a essentiellement donné un coup de jeune à la Curie romaine. Est-ce un signe que la corruption n’est pas si répandue ou qu’elle se propage en secret ?

L’autobiographie semble plutôt un prétexte pour réitérer les concepts chers à la papauté, que le pape François répète jusqu’à l’épuisement. Ce n’est donc pas une autobiographie, mais ce n’est pas non plus une exploration spirituelle de la volonté de Dieu. Dans ce livre, il n’y a que le pape. Il n’y a jamais l’Église, que le pape est appelé à servir.

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