Marco Tosatti a accordé une interview au quotidien belge Le Soir. Il y confie ses premières impressions de bon connaisseur du monde du Vatican. Et elles sont globalement positives.
L’interview est complétée par quelques réflexions personnelles de l’ex-vaticaniste de la Stampa, et rédacteur du blog Stilum Curiae, et des « révélations » (en réalité elles sont depuis longtemps un secret de Polichinelle derrière les Murs sacrés) sur le déséquilibre psychique du défunt pape: en comparaison, le visage serein du nouveau pape rassure et apaise.

Léon XIV, un espoir de stabilité pour l’Eglise et le monde, après un pontife en déséquilibre

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Que pensez-vous du choix effectué ce jeudi par les 133 cardinaux électeurs réunis en conclave ?

Ce nouveau pape représente certainement un choix de médiation et de continuité. Robert Francis Prevost a en effet été « découvert » par François, qui l’a nommé préfet du dicastère pour les évêques en 2023, un poste de grande responsabilité et de pouvoir au sein du Vatican. Il est à la fois un bon diplomate et un « pasteur missionnaire ». C’est enfin un « fils de saint Augustin » humble et équilibré, dont le regard, à la fois timide et résolu, m’a un peu rappelé celui de Benoît XVI.

Qu’avez-vous pensé de son premier discours ?

Léon XIV a prononcé l’un des plus longs discours jamais prononcés par un pontife nouvellement élu. Il a répété le mot « paix » à plusieurs reprises et j’ai aimé son appel à une « paix désarmée et désarmante ». Il a également commencé son discours par les premiers mots prononcés par le Christ ressuscité : « La paix soit avec vous ! ». Le nom qu’il a choisi n’est pas non plus anodin : Léon XIII a été le dernier pape du XIXe siècle, celui qui a guidé l’Église catholique dans sa délicate et difficile transition vers la modernité.

Que représente l’élection du premier pape américain ?

C’est la fin d’un tabou. On a toujours pensé qu’un pontife issu de la première puissance mondiale serait un peu excessif… Mais ceux qui ont élu Robert Francis Prevost espèrent sincèrement que le nouveau pape saura faire preuve d’une véritable autonomie par rapport à ses origines. Les cardinaux électeurs ont choisi l’homme, pas son passeport.

Quels sont les défis qu’il devra relever à court terme ?

Léon XIV devra tout d’abord garantir l’unité de l’Église catholique, gravement menacée par de profondes divisions, de dangereuses fragmentations doctrinales et des antagonismes qui ont atteint une virulence sans précédent. En effet, l’Église semble présenter à ses fidèles des visages très différents, voire inconciliables. Je pense en particulier à la « fureur aveugle » de l’Église allemande, qui est rejetée par une partie très importante de la communauté et des hiérarchies catholiques à travers le monde, notamment par les évêques d’Afrique. Mais ce n’est pas tout…

Qu’aimeriez-vous ajouter ?

L’autre objectif important à court terme est la mise en place par Léon XIV d’une véritable diplomatie vaticane pour la paix. François a redoublé d’efforts dans ce sens pour faire taire les armes. Son successeur devra suivre la voie tracée par le pontife argentin. Une tâche qui ne sera certainement pas facile, compte tenu de la force et de l’influence des puissances bellicistes qui dictent l’agenda de notre époque. Il suffit de penser à la guerre en Ukraine ou à la violence inouïe qui ensanglante Gaza depuis trop longtemps… Pourtant, dans son premier discours, le nouveau pape a semblé faire preuve d’une réelle et sincère sensibilité à ces questions.

Et à moyen terme ?

Léon XIV est appelé à redonner une force et une profondeur réelles à la foi catholique et à la religion dans le monde. Et à présenter les valeurs morales, que nous considérons aujourd’hui comme obsolètes, comme quelque chose de positif et de fondamental pour notre vie quotidienne. Le nouveau pape devra également restaurer la crédibilité du Vatican. La réputation de l’Eglise est en danger à cause de l’hostilité qui existe dans le monde à l’égard d’une certaine culture chrétienne, des erreurs et des faiblesses de certains membres du clergé, et de l’impression donnée par le Vatican qu’il n’est pas toujours en phase avec les défis du présent.

Vous parlez, par exemple, du problème des abus sexuels commis par des membres du clergé ?

OUI. François ne s’est pas assez battu sur ce front. Malgré ses déclarations d’intention, ce fléau n’a pas été éradiqué, bien au contraire. Aujourd’hui encore, nous avons des prélats de haut rang au Vatican qui ont été condamnés dans leur pays d’origine pour avoir commis des abus sexuels. Pensez également à l’ancien prêtre jésuite et artiste slovène Marko Rupnik, excommunié après avoir été accusé d’abus sexuels sur des religieuses, dont on dit qu’il vit toujours à Rome et dont l’excommunication semble avoir été mystérieusement suspendue…

Que pensez-vous de la proposition faite récemment par certains hauts prélats de soutenir le nouveau pape en créant un « conseil des cardinaux » pour le guider dans ses décisions ?

Cette proposition n’est qu’une conséquence du pontificat qui vient de s’achever. En théorie, le pape est un monarque absolu. Ce pouvoir a été exercé avec beaucoup de respect et de prudence par les prédécesseurs de François. Mais ce dernier, par ses accès de colère, ses décisions soudaines et souvent contradictoires, a régné en véritable autocrate. Il était une sorte de « pape roi ». Je ne crois pas que Léon XIV exercera le pouvoir de la même manière.

Le nouveau pontife voudra-t-il redonner force et vigueur à la « bureaucratie vaticane » et à la Curie romaine, affaiblies et quelque peu dévalorisées par François ?

L’équilibre politique au Vatican est le résultat d’une répartition harmonieuse des pouvoirs. Nous avons le pape, le secrétaire d’État qui est aussi une sorte de ministre des Affaires étrangères du Saint-Siège, un substitut de la Secrétairerie d’État qui est à mi-chemin entre la figure d’un Premier ministre et celle d’un ministre de l’Intérieur, des congrégations très importantes et parfois très autonomes dans leur fonctionnement… François, par sa gestion politique, a rompu cet équilibre. C’est pourquoi je pense que Léon XIV, sans avoir nécessairement besoin de s’appuyer sur un nouveau « conseil des cardinaux », aurait intérêt à rétablir l’équilibre institutionnel du passé.

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J’ajoute quelques points à ce qui précède.

J’ai l’impression – mais je peux évidemment me tromper – que le choix de Robert Francis Prevost a été fait avant que les portes de la chapelle Sixtine ne se ferment. L’insistance de plusieurs cardinaux de grande expérience et certainement au courant – Romeo, Re pour n’en citer que deux – sur un conclave rapide et des prédictions aussi précises sur le calendrier confirment cette hypothèse.

La priorité à la nécessité de ne pas provoquer une fracture dans l’Église, que l’élan du pontificat de Bergoglio a déclenchée.

La nécessité d’offrir aux fidèles un visage rassurant. Et équilibré. Maintenant que Jorge Mario Bergoglio est décédé, je peux dire que des personnes ayant une connaissance directe des faits ont confié à des cardinaux de confiance que François, avant même son élection, prenait déjà des médicaments pour stabiliser son équilibre émotionnel et psycho-émotionnel. Avons-nous vécu douze ans d’un pontife pas très stable, pas fiable dans les hautes sphères ? Probablement oui : les accès de colère, les tempêtes verbales et autres épisodes similaires, bien connus de ceux qui ont fréquenté Santa Marta, le confirmeraient. La sérénité du visage de Robert François Prévost est rassurante.

Son discours, que l’on peut qualifier de programmatique, m’a paru intéressant. Il a utilisé les paroles du Christ ressuscité en ouverture (on se souvient avec des frissons du « bonsoir » bergoglien…) ; il l’a clôturé en récitant l’Ave Maria avec le parvis. Il a parlé, à plusieurs reprises, de paix ; et en ce moment historique où le monde semble aux mains des fauteurs de guerre, ce n’est pas rien ; il a affirmé que le Mal ne prévaudra pas ; et le non praevalebunt évangélique implique que Léon XIV est bien conscient de l’existence du Mal avec un grand M, comme son prédécesseur en nom, à qui l’on doit la prière à saint Michel Archange. Normal, pour un pape, dites-vous ? Peut-être, mais rassurant tout de même, cela témoigne d’un horizon surnaturel chrétien. Et d’une conscience que le combat qui se joue dans ce monde a des acteurs qui ne sont pas seulement humains.

Certes, l’évocation de l’Église « synodale » …. mais il ne faut pas oublier que Robert Francis Prevost a été élu par un collège de cardinaux dont 108 ont été créés par Jorge Mario Bergoglio, et portent sa marque ; on pouvait s’attendre à un rappel du thème si cher à son prédécesseur. Son absence aurait été étrange.

Que dire de plus ? Les inconnues sont nombreuses. On ne sait rien de sa capacité à gérer les êtres humains [pas tout à fait, voir le père Guadalix]; et quelques accusations de négligence dans la répression des abus des prêtres – qu’il a résolument niées – l’ont accompagné. Il faudra voir quel sera le choix des hommes et les décisions sur un grand nombre de sujets.

Et la situation de l’Eglise après douze ans de Bergoglio est ce qu’elle est. Vocations sacerdotales et religieuses en baisse constante depuis 2012, flux de la générosité des fidèles en crise, fuite en avant d’épiscopats, d’évêques et de prêtres, guerre incompréhensible, sinon d’un point de vue surnaturel, envers la messe de toujours et les catholiques fidèles à la tradition, gestion honteuse d’affaires comme celle de Rupnik et de Zanchetta…il faudra un Hercule, pour nettoyer ces écuries d’Augias.

Mais la première impression, pour ce qu’elle vaut, a été positive.

Que Dieu l’aide, et qu’il nous aide tous.

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Marco Tosatti

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