A ceux qui continuent à ressentir une certaine réticence envers le nouveau Pape, je me permets de conseiller la lecture in extenso d’une de ses homélies. Celle qu’il a prononcée hier à l’occasion du Jubilé des familles et des enfants, des grands-parents et des personnes âgées est particulièrement belle et émouvante. La voici en français, suivie du commentaire de Silere non possum:


Homélie du Pape
L’Évangile qui vient d’être proclamé nous montre Jésus qui, lors de la dernière Cène, prie pour nous (cf. Jn 17, 20) : le Verbe de Dieu fait homme, désormais proche de la fin de sa vie terrestre, pense à nous, ses frères, se faisant bénédiction, supplication et louange au Père, avec la force de l’Esprit Saint. Et nous aussi, alors que nous entrons, remplis d’émerveillement et de confiance, dans la prière de Jésus, nous sommes impliqués par son amour dans un grand projet qui concerne toute l’humanité.
Le Christ demande en effet que nous soyons tous « un » (v. 21). Il s’agit là du plus grand bien que l’on puisse désirer, car cette union universelle réalise entre les créatures la communion éternelle d’amour dans laquelle s’identifie Dieu lui-même, comme le Père qui donne la vie, le Fils qui la reçoit et l’Esprit qui la partage.
Le Seigneur ne veut pas que nous nous unissions pour former une masse indistincte, comme un bloc anonyme, mais il souhaite que nous soyons un : « Comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi » (v. 21). L’unité pour laquelle Jésus prie est donc une communion fondée sur l’amour même dont Dieu aime, d’où viennent la vie et le salut. En tant que telle, elle est avant tout un don que Jésus vient apporter. C’est en effet, du fond de son cœur d’homme que le Fils de Dieu s’adresse au Père en disant : « moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (v. 23).
Écoutons avec admiration ces paroles : Jésus nous révèle que Dieu nous aime comme Il s’aime Lui-même. Le Père ne nous aime pas moins qu’Il n’aime son Fils unique, c’est-à-dire infiniment. Dieu n’aime pas moins, parce qu’Il aime d’abord, Il aime le premier ! Le Christ Lui-même en témoigne lorsqu’Il dit au Père : « Tu m’as aimé avant la fondation du monde » (v. 24). Et il en est ainsi : dans sa miséricorde, Dieu veut depuis toujours rassembler tous les hommes auprès de lui, et c’est sa vie, donnée pour nous dans le Christ, qui nous rend un, qui nous unit entre nous.
Écouter aujourd’hui cet Évangile, pendant le Jubilé des familles et des enfants, des grands-parents et des personnes âgées, nous comble de joie.
Très chers amis, nous avons reçu la vie avant même de la vouloir. Comme l’enseignait le pape François, « tous les hommes sont des enfants, mais aucun de nous n’a choisi de naître » (Angelus, 1er janvier 2025). Mais ce n’est pas tout. Dès notre naissance, nous avons eu besoin des autres pour vivre, seuls nous n’y serions pas y arriver : c’est quelqu’un d’autre qui nous a sauvés, en prenant soin de nous, de notre corps comme de notre esprit. Nous vivons donc tous grâce à une relation, c’est-à-dire à un lien libre et libérateur d’humanité et de soin mutuel.
Il est vrai que parfois cette humanité est trahie. Par exemple, chaque fois que l’on invoque la liberté non pour donner la vie, mais pour la retirer, non pour secourir, mais pour offenser. Cependant, même face au mal qui s’oppose et tue, Jésus continue de prier le Père pour nous, et sa prière agit comme un baume sur nos blessures, devenant pour tous une annonce de pardon et de réconciliation. Cette prière du Seigneur donne pleinement un sens aux moments lumineux de notre amour les uns pour les autres, en tant que parents, grands-parents, fils et filles. Et c’est cela que nous voulons annoncer au monde : nous sommes ici pour être “un” comme le Seigneur veut que nous soyons “un”, dans nos familles et là où nous vivons, travaillons et étudions : différents, mais un, nombreux, mais un, toujours, en toutes circonstances et à tous les âges de la vie.
Mes très chers amis, si nous nous aimons ainsi, sur le fondement du Christ, qui est « l’alpha et l’oméga », « le commencement et la fin » (cf. Ap 22, 13), nous serons un signe de paix pour tous, dans la société et dans le monde. Et n’oublions pas : c’est dans les familles que se construit l’avenir des peuples.
Au cours des dernières décennies, nous avons reçu un signe qui nous remplit de joie et qui nous fait réfléchir : je veux parler du fait que des couples mariés ont été proclamés bienheureux et saints, non pas séparément, mais ensemble, en tant que couples mariés. Je pense à Louis et Zélie Martin, les parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ; et j’aime rappeler les bienheureux Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi, dont la vie familiale s’est déroulée à Rome au siècle dernier. Et n’oublions pas la famille polonaise Ulma : parents et enfants unis dans l’amour et dans me martyre. Je disais que c’est un signe qui fait réfléchir. Oui : en désignant comme témoins exemplaires des époux, l’Église nous dit que le monde d’aujourd’hui a besoin de l’alliance conjugale pour connaître et accueillir l’amour de Dieu et surmonter, par sa force qui unifie et réconcilie, les forces qui désagrègent les relations et les sociétés.
C’est pourquoi, le cœur plein de reconnaissance et d’espérance, je vous dis, à vous les époux : le mariage n’est pas un idéal, mais la norme du véritable amour entre l’homme et la femme : un amour total, fidèle, fécond (cf. Saint Paul VI, Lettre encyclique Humanae vitae, 9). Tout en vous transformant en une seule chair, cet amour vous rend capables, à l’image de Dieu, de donner la vie.
C’est pourquoi je vous encourage à être, pour vos enfants, des exemples de cohérence, en vous comportant comme vous voulez qu’ils se comportent, en les éduquant à la liberté par l’obéissance, en recherchant toujours en eux le bien et les moyens de le faire grandir.
Et vous, enfants, soyez reconnaissants envers vos parents : dire “merci” pour le don de la vie et pour tout ce qui nous est donné chaque jour avec elle, c’est la première manière d’honorer son père et sa mère (cf. Ex 20, 12). Enfin, à vous, chers grands-parents et personnes âgées, je recommande de veiller sur ceux que vous aimez, avec sagesse et compassion, avec l’humilité et la patience que les années enseignent.
Dans la famille, la foi se transmet avec la vie, de génération en génération : elle est partagée comme la nourriture sur la table et les affections du cœur. Cela en fait un lieu privilégié pour rencontrer Jésus, qui nous aime et veut notre bien, toujours.
Et j’aimerais ajouter une dernière chose. La prière du Fils de Dieu, qui nous donne l’espérance tout au long du chemin, nous rappelle aussi qu’un jour nous serons tous unum (cf. saint Augustin, Sermo super Ps. 127) : une seule chose dans l’unique Sauveur, étreints par l’amour éternel de Dieu. Non seulement nous, mais aussi nos pères et nos mères, nos grands-mères et nos grands-pères, nos frères, nos sœurs et nos enfants qui nous ont déjà précédés dans la lumière de sa Pâque éternelle, et que nous sentons présents ici, avec nous, en ce moment de fête.
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Silere non possum
De Humanae Vitae à Saint Augustin:
La famille et le message de Léon XIV
L’homélie prononcée aujourd’hui par le Pape Léon XIV, au cours de la Messe pour le Jubilé des familles, des enfants, des grands-parents et des personnes âgées, résonne comme une profonde méditation sur le mystère de l’amour humain et divin. Enracinées dans la prière sacerdotale de Jésus tirée de l’Évangile de Jean, 17, les paroles du Pape nous invitent au cœur même de l’Évangile : l’appel à l’unité, une unité qui reflète la vie de la Trinité et qui embrasse toute la famille humaine.
Ce qui a rendu cette homélie particulièrement lumineuse, ce sont deux références judicieusement choisies : l’enseignement prophétique d’Humanae Vitae et la profondeur théologique de saint Augustin. Ces références ont enrichi le message du pape en traçant une ligne de continuité entre la réalité vécue de la famille, la tradition magistérielle de l’Église et le destin éternel qui nous est promis dans le Christ.
Humanae Vitae : L’amour, un don total
Quand le pape Léon XIV a cité Paul VI – « le mariage n’est pas un idéal, mais la mesure du véritable amour entre un homme et une femme : un amour total, fidèle et fécond » (Humanae Vitae, 9) – il ne se contentait pas de rappeler une encyclique du passé ; il proposait à nouveau son message central à un monde de plus en plus tenté de réduire l’amour à une émotion passagère ou à un contrat de convenance.
L’encyclique Humanae Vitae, promulguée en 1968, était une réaffirmation audacieuse de l’enseignement pérenne de l’Église sur l’amour humain, en particulier face à la révolution sexuelle. Son idée centrale – que l’amour conjugal est inséparable de l’ouverture à la vie – n’était pas simplement une règle morale, mais une vision de l’épanouissement humain.
En rappelant cela, Léon XIV a souligné que l’amour n’est pas une réalité fermée sur elle-même. Au contraire, c’est un don qui reflète le Créateur, un amour qui engendre la vie et nourrit la communion.
Cet enseignement prend une force particulière aujourd’hui, dans un contexte où la famille est souvent mise sous pression par des courants culturels et idéologiques qui privilégient l’autonomie individuelle au détriment de l’interdépendance relationnelle.
Rappelant l’encyclique Humanae Vitae, le pape Léon XIV a réaffirmé la dignité de l’amour conjugal comme vocation et mission – un amour qui, comme l’affirme l’encyclique, est marqué par « la totalité, la fidélité et la fécondité ».
Le Pape a évoqué avec douceur des figures lumineuses telles que Louis et Zélie Martin, Louis et Maria Beltrame Quattrocchi et la famille Ulma, canonisés non pas en tant qu’individus mais en tant que couples et familles. Leurs vies témoignent que le chemin de la sainteté se trouve dans l’Église domestique, où les époux se sanctifient mutuellement et avec leurs enfants à travers des gestes quotidiens d’amour et de sacrifice.
Saint Augustin : l’unité au-delà du temps
Le point culminant de l’homélie a été la référence du Pape Léon XIV au Sermo super Psalmum 127 de Saint Augustin, où le grand Docteur de l’Eglise parle de la façon dont nous serons « un dans l’Un ». Cette expression augustinienne résume une idée théologique profonde : l’unité humaine, brisée par le péché, trouve son accomplissement dans le Christ, qui nous réconcilie avec le Père. L’expression évoque le destin ultime des croyants : une communion des saints, une union mystique dans l’amour éternel de Dieu.
Dans la pensée d’Augustin, la vision de la vie familiale du psaume –« Tes enfants comme des pousses d’olivier autour de ta table » (Ps 127, 3) -n’est pas seulement un symbole de prospérité terrestre, mais un signe d’espérance eschatologique. Les familles, enseigne Augustin, sont des microcosmes de l’ordre divin, des communautés où l’amour nous prépare au banquet éternel de Dieu.
L’homélie du pape Léon XIV, s’inspirant de ces images, nous a invités à voir nos propres familles – imparfaites et fragiles – comme des germes d’unité éternelle.
Les paroles du Pape nous rappellent que l’unité pour laquelle le Christ prie n’est pas l’uniformité ou l’effacement des différences, mais une communion d’amour qui reflète la Trinité elle-même : « Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous » (Jn 17, 21). Un amour qui transcende la mort, embrassant nos proches qui nous ont précédés et faisant de leur mémoire une partie intégrante de notre célébration liturgique d’aujourd’hui. En ce sens, le Jubilé des Familles n’est pas seulement une fête des liens présents, mais aussi un souvenir de notre espérance commune dans la résurrection.
Une invitation à l’action
L’homélie du pape Léon XIV n’était pas seulement contemplative ; c’était aussi une invitation à l’action. Ses exhortations aux parents – éduquer leurs enfants « dans la liberté par l’obéissance », « voir toujours le bien en eux » et cultiver leurs talents – reflètent la sagesse pastorale d’un homme attentif aux défis des familles modernes. Son invitation aux enfants à exprimer quotidiennement leur gratitude envers leurs parents, et aux grands-parents et aux personnes âgées à les guider avec « sagesse et compassion », esquisse un portrait de la famille comme une école d’amour et de foi, où chaque génération a un rôle à jouer dans l’éducation et la transmission de la vie.
Dans un monde fragmenté, où l’individualisme et l’aliénation érodent souvent les liens de parenté et de communauté, l’homélie du pape Léon XIV rappelle de manière prophétique que les familles ne sont pas seulement le fondement de la société, mais aussi le signe vivant de l’alliance de Dieu avec l’humanité.
Ses derniers mots – « Les familles sont le berceau de l’avenir de l’humanité » [ndt: curieusement, le texte officiel saute ce passage] – font écho non seulement à Humanae Vitae, mais aussi à l’enseignement de Saint Jean-Paul II sur la famille en tant qu’ « église domestique » et sanctuaire de la vie.
En résumé, l’homélie du pape Léon XIV a su mêler avec maestria Écriture, tradition et sagesse pastorale. Ses références à Humanae Vitae et à saint Augustin ont éclairé le cheminement de la famille en tant que réalité à la fois naturelle et surnaturelle. Son message était clair : dans la famille, nous ne rencontrons pas seulement les uns les autres, mais aussi le visage du Christ, qui nous rassemble dans l’unité. En nous efforçant d’incarner cet amour dans nos foyers et nos communautés, nous entrevoyons la promesse d’être « un dans l’Un » – une communion éternelle en Dieu, qui est l’Amour même.