Formidable commentaire d’un prêtre italien traditionaliste (qui constate lui aussi que les temps ont changé et que les modèles du XVIe siècle ne s’appliquent évidemment plus aujourd’hui).
.
Certes, « il est tout à fait normal que celui qui a repris l’héritage de François, et en général l’héritage des papes postconciliaires, ne puisse se détacher en un clin d’œil des thèmes typiques des dernières décennies de l’Église ». « La seule question est de savoir si ce pontificat a l’intention d’y remédier ou non ».
Mais il y a des signes clairs d’espérance. Et les croyants doivent aider le Pape, avec les moyens dont ils disposent.
. Nous avons besoin de chrétiens avec des callosités aux genoux, qui ne regardent pas le site web du Vatican pour des nominations qui correspondent plus ou moins à leurs propres goûts ou idées, mais qui savent guider les nominations et les choix du pape avec leurs prières.
.
S’il vous plaît, si vous voulez le bien de l’Église et des âmes, plaignez-vous moins et priez plus… nous nous reverrons (peut-être) chez l’orthopédiste pour soigner nos genoux meurtris par la prière.
L’espoir et la confiance placés en Léon XIV ne signifient pas « que la crise de l’Église est terminée ».

blog.messainlatino.it
29 mai 2025
Père Bastiano Del Grillo
Blog In Tua Justitia Libera me Domine
En ces premières semaines du nouveau pontificat de Léon XIV, la distinction entre ceux qui voient chez lui une parfaite continuité avec François et ceux qui tentent de se placer dans une position de prudence sans pour autant cacher une pointe d’enthousiasme, semble de plus en plus claire.
Une divergence de plus en plus grande semble se dessiner dans le monde de la tradition, entre ceux qui contestent les actes de ce pape, le considérant comme totalement moderniste et donc à rejeter, et ceux qui tentent par tous les moyens de trouver des signes sur lesquels fonder d’hypothétiques changements de cap.
Ce qui est sûr, c’est que certains choix et certains discours de ces derniers jours donnent raison aux premiers. La nomination du secrétaire du dicastère pour les instituts religieux et les références constantes à Vatican II et aux thèmes et termes typiques du pontificat de François suggèrent à juste titre que le gouvernail du navire est resté plus ou moins dans la même position.
Comme cela a déjà été dit en d’autres termes dans un article récent, je pense qu’il est tout à fait normal que celui qui a repris l’héritage de François, et en général l’héritage des papes postconciliaires, ne puisse se détacher en un clin d’œil des thèmes typiques des dernières décennies de l’Église. Ceci, à mon humble avis, souligne de façon flagrante ce que nous pensons tous, à savoir que la crise de l’Église ne s’est pas arrêtée avec l’élection de Léon XIV. La seule question est de savoir si ce pontificat a l’intention d’y remédier ou non.
Il y a cependant des aspects qui doivent nécessairement être pris en considération :
1. L’Église n’est pas d’origine humaine, mais divine, et ne peut être évaluée ou jugée avec une logique humaine.
2. L’Église, comprise comme le peuple et le corps mystique du Christ, dans la mesure où elle est d’origine surnaturelle, doit s’appuyer sur les vertus propres au christianisme, comme la vertu d’espérance.
Ces deux aspects sont fondamentaux pour éviter deux tendances délétères :
1. Considérer l’Église comme un organe entièrement humain, purement politique et matériel, soumis à la dynamique humaine, y compris l’adaptation de la pensée au contexte dans lequel elle opère.
2. Réduire l’Eglise à un instrument de propagande spirituelle comme beaucoup d’autres mouvements et philosophies plus ou moins anciens.
Dans la première tendance illustrée, celle qui nous intéresse, il y a le risque, même sous une forme totalement inconsciente et de bonne, voire de très bonne foi, d’oublier l’origine divine de l’Église, en pensant que tout problème interne de l’Église doit être résolu par des stratégies et des choix humains plus ou moins forts, et pour cette raison avec une certaine efficacité présumée.
C’est l’erreur dans laquelle tombent les « traditionalistes » qui espèrent voir dans le contexte actuel un pape de type « saint Pie V » luttant contre les hérésies, capable de choix forts et autoritaires qui, même s’ils sont bons aujourd’hui ne donneraient pas de résultats, mais risqueraient au contraire de créer des fractures et des difficultés pires que celles qui existent actuellement.
En effet, il faut garder à l’esprit que les contextes historiques changent, et que ce qui était souhaitable et fructueux à la fin des années 1500 ne le serait probablement plus autant aujourd’hui. L’influence du pape dans le contexte social médiéval a radicalement changé par rapport à l’influence qu’il peut avoir aujourd’hui. Pensez par exemple à la peine d’excommunication qui, dans le contexte d’un « État ecclésiastique » englobant de vastes territoires et incluant tous les contextes sociaux, avait des conséquences très graves sur la vie de la personne condamnée. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas ; l’excommunié est seulement exclu de la vie de la communion ecclésiale, mais il n’est pas évincé de la vie de l’État, restant parfaitement inséré dans un contexte social qui, exalte même celui qui a été censuré par une telle peine.
Il est tout à fait clair que la crise de l’Église que nous vivons aujourd’hui n’a pas changé, même après l’élection de Léon XIV. Ce n’est certes pas une mozette rouge ou un retour au palais apostolique qui sanctionnent un retour à l’orthodoxie de la foi, mais bien autre chose.
Si nous considérons l’Église pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire une œuvre divine, nous devons mettre en place les instruments surnaturels dont nous disposons : prière d’intercession, prière pour demander la protection divine de l’Église et, pourquoi pas, demander une effusion extraordinaire de l’Esprit Saint sur le Saint-Père nouvellement élu. Cette espérance prudente que beaucoup manifestent n’est pas motivée uniquement par la ferveur de voir le pape vêtu de la mozette et et de l’étole pontificales, ce qui contribue peut-être à redonner de la dignité à la figure du pontife, mais n’est pas au centre de cette espérance.
L’espérance chrétienne repose sur la certitude que l’Église n’appartient pas au pape Léon comme elle n’a pas appartenu au pape François, mais qu’elle appartient au Christ. Crier comme des forcenés que le pape Léon XIV n’est pas différent de son prédécesseur et étouffer ainsi toute lueur d’espoir me semble non seulement contraire à l’esprit chrétien, mais précisément au Christ lui-même, et à la promesse qu’il nous a faite, à savoir que « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » (Mt.16:18).
Le fait que le Pape Léon parle du Concile, de la synodalité, des ponts à construire, de la fraternité universelle, ne doit pas nous faire perdre l’espoir, mais nous rappelle en même temps que la crise n’est pas terminée et qu’en plus de devoir continuer à travailler et à prier, il y a encore beaucoup à souffrir et à offrir.
Parmi les nombreuses choses en continuité avec François, nous risquons de manquer les nombreuses choses en discontinuité qui devraient nourrir l’espérance.
Dans une vidéo de 2023 le cardinal Prevost a souligné qu’il n’était pas toujours d’accord avec le pape François et qu’il était convaincu que Bergoglio ne le nommerait jamais évêque.
Dans son homélie lors de la prise de possession de la cathédrale Saint-Jean-de-Latran, le pape Léon a rappelé que « la communion se crée à genoux ».
Cela ne doit en aucun cas être sous-estimé.
Dans son discours à l’occasion du Jubilé des Églises orientales, il a donné des éléments importants pour comprendre sa vision de la liturgie.
Concernant cette prétendue discontinuité, l’analyse faite par le banquier Ettore Gotti Tedeschi lors de son intervention sur la chaîne YouTube «Fede & Cultura Universitas» est d’un grand intérêt.
L’ex-président de l’IOR y met en évidence des différences profondes avec le pontificat de François qui ne sont pas basées sur des caractéristiques externes, mais sur des déclarations qui sont souvent diamétralement opposées à celles du pape François.
En particulier, le banquier souligne que le pape François n’avait pas un concept clair de la « doctrine sociale de l’Église », et ce en raison d’une définition peu claire des « valeurs non négociables », une expression que, comme l’a dit François lui-même, il avait du mal à comprendre.
Gotti Tedeschi souligne que la doctrine sociale de l’Église et sa nature missionnaire se fondent sur des valeurs absolues qui ne peuvent être réinterprétées dans un contexte social plus ou moins modifié, sous peine de perdre leur caractère absolu. La défense de la vie, par exemple, ne change pas en fonction de l’évolution du « sentiment commun ». Si je n’ai pas de valeurs absolues à défendre, dit le banquier, je n’ai pas de doctrine sociale à proposer. »
En outre, la conception de l’esprit missionnaire de François n’est pas fondée sur la nécessité d’apporter le Christ à son prochain, comme en témoigne l’encyclique « Fratelli tutti » qui tue la mission en la réduisant à un assistanat vide de vérité évangélique au profit d’une fraternité fondée sur quelque chose d’indéfini et donc d’instable.
En outre, souligne Gotti Tedeschi, le pape François considère le prosélytisme comme une « absurdité solennelle », confondant le travail missionnaire avec l’imposition forcée de la foi chrétienne.
Le pape Léon, en revanche, affirme l’ancien président de l’IOR, a démontré qu’il avait avant tout une conception christocentrique du dialogue interreligieux et donc de la vocation missionnaire de l’Église ; la devise qu’il a choisie « In Illo uno unum » (Dans l’unique Christ, nous sommes un) souligne ce christocentrisme qui est à la base de l’unité. La mariologie de Léon apparaît également très différente de celle de François pour qui Marie est réduite à un simple « disciple ». Cette mariologie si appauvrie par François, selon Gotti Tedeschi, a conduit à la mise sous tutelle et à la suppression de nombreuses institutions accusées d’être « trop mariales ».
L’intéressant article d’Ettore Gotti Tedeschi souligne les nombreux points de rupture avec François et analyse bien d’autres aspects, mais ceux-ci me semblent particulièrement intéressants pour notre réflexion.
De mon point de vue, je préfère user de prudence avant de crier aux quatre vents qu’un changement radical se profile à l’horizon, mais cela n’enlève rien au fait qu’il y a des éléments sur lesquels on peut fonder une espérance bonne et justifiée , ce qui ne veut pas dire croire que la crise de l’Église est terminée ou qu’elle a commencé à s’atténuer.
Je crois honnêtement qu’il n’est pas nécessaire d’être des « pleurnicheurs » chrétiens . Nous avons besoin de chrétiens avec des callosités aux genoux qui ne regardent pas le site web du Vatican pour des nominations qui correspondent plus ou moins à leurs propres goûts ou idées, mais qui savent guider les nominations et les choix du pape avec leurs propres sacrifices et prières. D’ailleurs, contrairement à François, ce pape donne des signes positifs qui, au moins, nous incitent à croire à nouveau que l’Église est dirigée par le Christ.
Nous ne pouvons pas nous arrêter à nous lamenter et croire que nous n’aurons jamais un pape qui sortira l’Église de la crise dévastatrice dans laquelle elle se trouve. Nous avons un pape qui, si on l’aidait, pourrait commencer à travailler pour jeter les bases d’un changement qui, soyons honnêtes, ne peut se produire du jour au lendemain.
Dois-je croire que ces personnes qui vivent dans le découragement sont des sédévacantistes ? Dois-je croire que ces personnes vivent un christianisme d’intellectuel de YouTube ? Dois-je croire que ces personnes qui se plaignent de chaque brindille dans l’œil du pape ne voient pas les séquoias dans leurs propres yeux ?
S’il vous plaît, si vous voulez le bien de l’Église et des âmes, plaignez-vous moins et priez plus… nous nous reverrons (peut-être) chez l’orthopédiste pour soigner nos genoux meurtris par la prière.