Selon Riccardo Cascioli, le livre-entretiens avec Elise Ann Ellen aurait pu (dû) être évité.
Sa sortie a suscité une double surprise.
Une première parce qu’après l’expérience catastrophique du pontificat logorrhéique de François, on pouvait espérer que le nouveau pape, présenté comme plus réservé, éviterait le risque d’exercer, même à son insu, un « magistère parallèle », source de confusion.
Mais le plus étrange, la seconde surprise, souvent passée sous les radars, ce sont les modalités avec lesquelles le livre est publié (l’interview a été réalisée en anglais et sort en espagnol, loin de Rome, et uniquement au Pérou, pour le moment), et surtout la personnalité de l’auteur de l’interview, ex du Sodalitium Christiane Vitae (cf. El Wanderer, Ce livre sur Léon XIV (I)), une société de vie apostolique fondée au Pérou dissoute par le François sur son lit de mort. Avec en toile de fond les accusations de présumée inertie de l’évêque Prevost dans la gestion des affaires de pédophilie dans son diocèse péruvien. Vu sous cet angle, le livre pourrait être une sorte d’opération de « déminage »…

Le livre contenant l’interview du pape aurait pu être évité

Riccardo Cascioli
La NBQ
24 septembre 2025

Compte tenu des dommages causés par les interviews du pape François, il est surprenant que le pape Léon ait voulu commencer par participer à un projet de biographie sous forme d’interview. Avec des modalités pour le moins curieuses et une réponse aux anciennes accusations d’abus qui laisse quelques zones d’ombre.

Comme on le sait, l’un des aspects les plus controversés du pontificat de François a été le chapitre « interviews » : qu’elles soient autorisées ou « volées » (celles avec Eugenio Scalfari ont fait grand bruit), elles ont toujours été source de malentendus, de polémiques, de fuites en avant, de contradictions, un véritable magistère de la confusion. Leur prolifération a surtout dévalorisé le rôle du pape, réduit d’un côté à celui d’un quelconque opinioniste et de l’autre à exercer le magistère pontifical principalement en dehors de ses propres instruments (encycliques, exhortations, etc.).

Le début du pontificat du pape Léon a montré un style immédiatement différent, beaucoup plus attentif aux mots, à ne pas créer d’ambiguïté, à éviter les déclarations qui pourraient provoquer des scandales ou des polémiques.

C’est aussi pour cela que la sortie, la semaine dernière, d’un livre-biographie (León XIV, Ciudadano del mundo, misionero del siglo XXI, Penguin), écrit par la journaliste américaine Elise Ann Allen, avec en annexe une longue interview à 360 degrés (fruit de deux longues conversations pendant la pause estivale du pape à Castel Gandolfo), a quelque peu surpris. En réalité, Léon XIV n’apparaît pas directement dans le livre, uniquement dans l’interview finale, mais aussi dans le récit de sa vie, pour commenter les notes biographiques de l’auteur et offrir des détails et des explications supplémentaires.

La surprise vient à la fois du fait lui-même et de la modalité avec laquelle il s’est produit. Compte tenu de la dérive du pontificat précédent décrite au début, on pouvait s’attendre, du moins au début et conformément au style observé ces derniers mois, à un arrêt des interviews.

Lorsque le pape doit intervenir en matière de foi et de morale ou sur des questions qui concernent directement la vie de l’Église, il dispose déjà des outils pour le faire de manière autoritaire, et sur d’autres sujets, il n’est pas nécessaire qu’il s’exprime, précisément pour éviter cet effet « opinioniste » qui a causé tant de problèmes avec son prédécesseur.

Une telle initiative est d’autant plus singulière que le pape n’a pas encore commencé à « parler » par des actes : les nominations dans les dicastères clés et les décisions sur les dossiers brûlants (LGBTQ, Chine, Synode, messe Vetus Ordo, abus sexuels, droit canonique) qui ont créé dans l’Église les polarisations que le pape dénonce également dans ce livre.

Et bien que Léon XIV ait une façon de parler claire et directe, qui ne recourt pas à des artifices pour faire passer ses idées, l’interview, de par sa nature, conduit à exprimer des concepts de manière sommaire ou en tout cas insuffisamment articulée, de sorte qu’elle peut donner lieu à différentes interprétations ou à des malentendus. C’est déjà le cas dans ce livre, avec des expressions qui font débat, par exemple sur le thème LGBTQ, que nous aurons l’occasion de reprendre plus tard. Thèmes qui nécessiteraient enfin une grande clarté.

Il y a un autre aspect qui concerne la personne appelée à réaliser ce « projet », en l’occurrence une journaliste « amie », détail qui rappelle beaucoup une méthode controversée du pape François. Dans ce cas, il s’agit toutefois d’une amitié qui, comme le raconte Allen elle-même, est née dans le contexte d’une bataille contre le Sodalitium Christiane Vitae (SCV), une société de vie apostolique fondée au Pérou, dont le fondateur et d’autres responsables ont été reconnus coupables d’abus psychologiques et sexuels. Pour mémoire, cette bataille s’est conclue par la dissolution du Sodalitium, signée par le pape François sur son lit de mort.

Ce détail pourrait expliquer une bizarrerie liée à cette opération-livre : il n’est sorti qu’en espagnol (une édition en anglais paraîtra ultérieurement) et a été présenté au Pérou. Il s’agit d’un événement sans précédent : le premier livre-interview du pape qui sort dans une seule langue et est publié très loin de Rome. Il est curieux que personne n’ait souligné la particularité de ce choix et ne se soit interrogé sur les raisons. L’hommage rendu au pays où il a été missionnaire et évêque ne suffit certes pas à expliquer complètement ce fait. De plus, la langue originale du livre et de l’interview est l’anglais, donc la première publication est déjà une traduction. Des choix vraiment singuliers.

Ici, l’origine de l’amitié entre le pape Léon et Allen peut peut-être avoir une signification. Un point important de la biographie est en effet l’espace consacré à l’affaire des abus sexuels dans l’Église péruvienne, qui, dans les mois précédant le conclave, avait également touché le cardinal Prevost. Comme on s’en souvient [cf. La Bussola], des accusations avaient été portées contre lui parce qu’en tant qu’évêque de Chiclayo, il aurait couvert deux prêtres accusés d’abus sexuels.

Le livre est aussi une sorte de mémoire dans lequel le pape, à travers le récit d’Elise Ann Allen, donne sa version des faits.

Tout remonte précisément aux dénonciations d’abus au sein du SCV, qui ont vu l’évêque Prevost parmi les plus prompts à les recueillir et à mener une bataille sans merci contre cette association, aux côtés de deux journalistes – Pedro Solinas et Paola Ugaz – qui ont publié en 2015 le livre Mitad Monjes, Mitad Soldados (Moitié moines, moitié soldats), consacré précisément à ces abus. Ce qu’Allen évite de dire, c’est qu’elle-même, tout comme Salinas, a quitté le Sodalitium dont elle était membre jusqu’en 2013, ce qui ne peut manquer d’influencer son jugement.

Ainsi, les accusations montées contre Prevost seraient la vengeance de certains membres du SCV, frappés de sanctions canoniques (mais il n’y a aucune preuve de cela).

En réalité, les accusations d’abus sexuels contre deux prêtres du diocèse de Chiclayo dirigé par Prevost sont réelles et Allen elle-même a entendu la victime présumée qui a révélé l’histoire des abus, Ana Maria Quispe. La thèse d’Allen est que l’évêque Prevost a correctement enregistré les accusations, envoyé les victimes présumées dans un centre d’écoute pour bénéficier d’un accompagnement psychologique et transmis toute la documentation à Rome. Et que tout le tapage autour de cette histoire est donc le fruit de l’instrumentalisation de ceux qui voulaient frapper l’« ennemi » Prevost.

En conclusion de l’histoire, Léon XIV se dit très désolé pour les victimes et regrette la lenteur de la justice, qui aggrave la douleur :

« Le temps qui s’est écoulé pendant tout ce processus – dit-il à Allen -, a rendu tout cela très douloureux. Je le regrette sincèrement. Mais au milieu de tout cela, comme cela a été rendu public, il y a eu beaucoup de manipulation de l’affaire, ce qui a causé une douleur encore plus grande à beaucoup de gens, mais surtout à eux. Je le regrette beaucoup. Ils ont été victimisés et revictimisés ».

Sans vouloir insister sur cette affaire, on ne peut toutefois s’empêcher de remarquer que, même dans ce livre, Ana Maria Quispe maintient que sa plainte n’a pas donné lieu à une véritable enquête dans le diocèse ; c’est-à-dire que même si l’affaire a été signalée à Rome, les victimes présumées n’ont été entendues par personne. Et cette circonstance reste encore sans démenti documenté.

Quoi qu’il en soit, Leone XIV conclut en affirmant qu’en tant que pape, il s’est immédiatement mobilisé pour trouver une solution à ce problème de lenteur de la justice, tout en garantissant « les droits de tous », victimes et accusés. Nous verrons bientôt si cet engagement portera ses fruits : l’affaire Rupnik, qui a provoqué tant de scandale et causé tant de dommages à l’Église, attend d’être résolue.

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