Mise à jour. Côté limitation des libertés, on ne cesse de le dire ici, la France et l’Italie sont pratiquement jumelles; sauf que, si cela peut nous consoler, c’est encore pire de l’autre côté des Alpes (voir màj) où depuis le 15 octobre le passe sanitaire est obligatoire pour TOUS les travailleurs. C’est de cette situation terrible, qui s’installe avec la complicité active d’une majorité de la population (et, malheureusement, de l’Eglise) que part cette réflexion de Stefano Fontana, qui pose la question du philosophe allemand Carl Schmitt: « Dans quelle mesure est-il possible pour un dictateur politique de s’emparer de la productivité spirituelle de tout un peuple ».

Depuis le 15 octobre, l’Italie a franchi un pas de plus vers l’instauration d’un régime totalitaire: le passe sanitaire est obligatoire pour travailler, dans toute le pays: donc, si vous n’êtes pas vacciné, soit vous êtes au chômage, soit vous devez vous faire tester trois fois par semaine, à vos frais. Presque comme en France (où les médias aux ordres ont osé parlé de « tests de confort ». Comme si le fait d’aller rendre visite à l’hôpital à un proche gravement malade était un « caprice » ou un loisir!), mais, disons-le, en pire! Le 18 octobre, donc hier, les forces de l’ordre sont intervenues à Trieste, foyer de la résistance au passe sanitaire, et ont chargé des manifestants pacifiques en déployant tous les moyens de lutte contre les émeutes urbaines avec une brutalité inouïe, faisant donner les canons à eau, les matraques et les gaz lacrymogènes contre des familles sans défense, rappelant la répression des manifestations de gilets jaunes durant l’hiver 2018-2019.

Dans cette manifestation, il y a une grande force d’origine spirituelle

Et ce n’est pas dans les médias mainstream qu’on trouvera le compte-rendu, il faut aller chercher sur les réseaux sociaux, dans les blogs et les sites non alignés, comme ceux que je cite souvent dans ces pages (Valli, Tosatti, Blondet, la Bussola). Voir par exemple ces deux très brèves vidéos

Et maintenant, que peuvent-ils nous faire faire d’autre ?

Stefano Fontana
La NBQ
19 octobre 2021
Ma traduction

S’ils nous font faire cela, que peuvent-ils nous faire faire d’autre ? C’est la question alarmante et, disons-le, angoissante que beaucoup de gens se posent aujourd’hui. C’est aussi la question sur la nature diabolique du pouvoir.

Carl Schmitt (1888-1985)

Carl Schmitt, qui en savait long sur le pouvoir pour l’avoir étudié en profondeur, posait la question de la manière suivante : « Il faut se demander dans quelle mesure, en général, il est possible pour un dictateur politique de s’emparer de la productivité spirituelle de tout un peuple au point qu’aucune pensée libre ne survit et qu’aucune réserve ne subsiste à son égard ». Quiconque connaît la pensée de Schmitt sait qu’il faisait également référence aux démocraties parlementaires.

Chez nous, le pouvoir en place a incité 90 % d’une population qui pour 90 % des contaminés était exempte de symptômes à se faire vacciner. Sur cette base, il a arrêté la vie économique pendant une longue période et a ensuite préconisé la vaccination obligatoire pour relancer la vie économique. Il a introduit le Green pass sous la forme la plus dure et presque unique au monde, alors que cette disposition n’a aucune portée sanitaire, mais uniquement pour forcer la vaccination. L’obligation s’est ainsi transformée en chantage. Si vous voulez faire ceci ou cela, vous devez avoir un Green pass.

Non seulement le chantage mais aussi la tromperie : l’Union européenne dit qu’on ne peut pas forcer un citoyen à prendre un vaccin ? Mais le gouvernement italien n’oblige pas les gens à se faire vacciner, il les oblige « seulement » à avoir un Green pass, et le tour est joué. Si le Green pass est nécessaire pour aller au théâtre, soit, mais quand il est nécessaire pour travailler, c’est grave. Les syndicats eux-mêmes participent au chantage [exercé sur] ceux qu’ils représentent. Les Italiens qui tiennent bon et se font tester trois fois par semaine sont comparés à des individualistes narcissiques et anarchistes qui affirment que leur corps leur appartient et qu’ils en font ce qu’ils veulent. Les catholiques constitutionnels osent même dire cela des catholiques réfractaires.

De plus, pour faire trois prélèvements par semaine, il faut dépenser beaucoup d’argent, prendre rendez-vous, se lever tôt, être héroïque et payer pour travailler. « Si seulement il y avait une urgence », dit l’un d’eux, mais il n’y a pas d’urgence, les infections sont rares, les guérisons sont très nombreuses et les unités de soins intensifs sont vides. Il n’y a pas de monatti errant dans les rues avec des charrettes pleines de cadavres [comme dans l’épidémie de peste décrite dans I Promessi sposi, cf. it.wikipedia.org/wiki/Monatto]. Carl Schmitt, s’il était encore en vie, appliquerait sans doute sa question à notre époque, à notre gouvernement, à notre pays.

Le pouvoir est aujourd’hui plus systémique qu’il ne l’était auparavant. La convergence organique de toutes ses branches vers le même objectif de « prise de possession de la productivité spirituelle de tout un peuple » est évidente et palpable. Le service d’information « de régime » [/aux ordres] de la RAI ne dit rien des manifestations à travers l’Italie et ses journalistes – pour autant que l’on puisse vraiment se considérer comme tel dans le service public – minimisent et portent l’attention ailleurs, notamment sur les « fascistes ». Le préfet s’empresse de dire que les manifestations de dockers à Trieste sont illégitimes et on peut se demander s’il aurait dit la même chose si la CGIL [équivalent de la CGT] en avait fait la promotion et si les participants chantaient Bella Ciao.
Les journaux nationaux sont complètement alignés et même Avvenire titre scandaleusement sur une pleine page « L’Italie est oui-pass [par opposition à « no vax »]. Les associations professionnelles expulsent les médecins dissidents, des prix Nobel sont calomniés. Les intellectuels de premier plan restent silencieux, à l’exception des « habituels » Cacciari et Agamben. Les chiffres, comme au début de la pandémie, continuent d’être déformées avec la complicité de beaucoup. Aujourd’hui encore, on donne des chiffres absolus sans les examiner, et on parle de décès sans dire de quoi ils sont morts.

Les composantes du système qui donnent le plus à réfléchir par rapport à la question de Schmitt sont les syndicats et l’Église catholique. Nous savions tous que les grands syndicats étaient, pour des raisons historiques, pour la pratique et pour l’idéologie, contigus au pouvoir, non seulement mais surtout lorsque celui-ci est de gauche. Nous l’avons constaté par leur absence totale lors des mesures anti-pandémie. Mais on n’attendait pas d’eux qu’ils abjurent dans leur propre domaine : le travail. On n’attendait pas d’eux qu’ils acceptent que, pour travailler et subvenir aux besoins d’une famille, un travailleur fasse quelque chose d’imposé d’en haut, contre son propre jugement, non motivé par une quelconque urgence, fonctionnel à d’autres intérêts. Aujourd’hui, les syndicats et la gauche encensent Draghi, qui « sait enfin dire non » aux travailleurs, et le comparent même à Thatcher.

L’Église catholique ne s’est pas placée du côté de la vérité mais du côté du pouvoir, elle est devenue « constitutionnelle », acceptant tous les slogans de la propagande du système et les gonflant même de significations morales et religieuses de solidarité, alors qu’il s’agissait en fait d’abus, de tromperie et de chantage. Dans de nombreux cas, les dispositions ecclésiastiques sont devenues encore plus strictes que celles du gouvernement, et les fidèles ont été contraints de ne pas penser par eux-mêmes : la libre pensée et l’esprit de clocher sont répandus et encouragés dans l’Église d’aujourd’hui sur tous les sujets du Credo, mais pas sur le Green pass : là, le pape est Draghi.

La question de Schmitt est donc profonde et sans réponse : « dans quelle mesure, en général, est-il possible pour un dictateur politique de s’approprier la productivité spirituelle de tout un peuple ». S’ils nous ont fait faire cela, que pourraient-ils nous faire faire d’autre ?

Mise à jour

Ce tableau permet de comparer les situations entre les différents pays européens. Il en ressort nettement que la France apparaît en deuxième position (du pire) juste derrière l’Italie, qui a la triste médaille d’or (merci à Maurizio Blondet)

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