Dans sa rubrique hebdomadaire de « Monday Vatican », Andrea Gagliarducci revient sur le ton modéré qui le caractérise, mais avec une absence d’indulgence inhabituelle chez lui, sur les propos tenus par François dans l’avion de retour de Chypres [cf. Mgr Aupetit: l’insupportable dérapage du Pape, entre vulgarité et méchanceté]. Et il déplore que, pour plaire à l’opinion publique, il ait choisi l’autel de l’hypocrisie plutôt que celui de la vérité.

Le Pape François et l’autel de l’hypocrisie

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-and-the-altar-of-hypocrisy

Lors de la conférence de presse sur le vol de retour de Grèce, le pape François a expliqué pourquoi il a accepté la démission de l’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit. Aupetit, une voix forte de l’épiscopat français, a été accusé par une enquête journalistique d’avoir eu des relations inappropriées avec une femme. L’archevêque a reconnu l’échange inapproprié de messages mais a souligné qu’il n’y avait pas de relation romantique et que ses supérieurs ont toujours été informés. Il a néanmoins démissionné – ou, mieux, il a remis son mandat au pape, comme il l’a expliqué.

La nouvelle que le pape François avait accepté sa démission est tombée le 2 décembre, le jour même où le pape entamait son voyage à Chypre et en Grèce. Et à la toute fin de ce voyage, le pape François a expliqué sa position, essayant de tourner le problème vers les journalistes (« Savez-vous ce qu’il a fait ? Faites l’enquête »), puis expliquant, à tort, qu’il s’agissait de « caresses et de massages » à une secrétaire (qui n’est jamais entrée en scène, et en fait, la référence a été coupée de la transcription officielle) et enfin concluant qu’Aupetit avait peut-être péché, mais que ce n’était pas un péché si grave. Et que l’Église, après tout, avait accepté Pierre comme chef, et que Pierre avait commis un péché encore plus grave, celui de renier Jésus.

« J’ai accepté la démission d’Aupetit – a conclu le pape François – non pas sur l’autel de la vérité, mais sur l’autel de l’hypocrisie. » Des mots forts qui, cependant, confirment aussi un sentiment de crise dans l’Église.

Mgr Aupetit n’a pas été contraint de partir parce qu’il a été reconnu coupable de quelque chose, mais parce que des ragots ont ruiné sa réputation. Comme cela s’est déjà produit pour le cardinal Philippe Barbarin, acquitté de toute accusation de dissimulation d’abus et pourtant contraint de démissionner pour sauver la bonne réputation de son archidiocèse ; comme cela s’est déjà produit pour le cardinal George Pell, qui est retourné en Australie pour « laver son nom » et a été démis de ses fonctions à la Curie ; comme cela s’est également produit pour le cardinal Rainer Maria Woelki, archevêque de Cologne, qui a subi une machine à boue médiatique pour avoir mis en doute les résultats d’un premier rapport d’abus et a fini par faire retraite et pénitence pendant six mois.

Mais il y a d’autres cas. Le plus emblématique est celui des évêques chiliens. Après que le pape François a approuvé la nomination de Mgr Barros Madrid à la tête du diocèse d’Osono, au Chili, où il avait fait partie du cercle magique du célèbre abuseur Karadima, les protestations au Chili, mais aussi d’ailleurs, jusque dans les institutions du Vatican, se sont multipliées. Pourtant, le pape François a défendu ce choix jusqu’au bout, même sur le vol de retour du voyage au Chili. Mais ensuite, il a envoyé une inspection et convoqué à deux reprises les évêques du Chili à Rome, et lors de la deuxième réunion, ils ont tous démissionné, lui laissant les mains libres.

La décision d’accepter la démission d’Aupetit n’est donc pas surprenante, compte tenu des précédents. Le pape a admis plusieurs fois qu’il y a des attaques médiatiques contre l’Église, il l’a fait de manière surprenante même à la fin du sommet anti-abus qu’il a voulu à Rome en février 2019. Le pape François a toujours été très sensible à l’opinion des médias.

L’excuse est que les évêques auraient entièrement perdu la possibilité de gouverner à cause des « bavardages ». Mais si la pression pour la démission de chaque évêque touché par la machine à boue médiatique est acceptée, rien ou presque n’est fait pour résister au bavardage.

Si tout cela n’est pas surprenant, il est quelque peu surprenant que le Pape ait décidé d’en parler ouvertement, confirmant ainsi un modus operandi. Les commentaires sur Aupetit semblent, à première vue, beaux et profonds. Le Pape montre qu’il est conscient d’un problème et qu’il y fait face. Entre autres, les commentaires sur Aupetit ont été précédés par des paroles critiques sur le rapport sur les abus, le CIASE – et il est bon de rappeler que les mêmes critiques et demandes de contextualisation avaient coûté à Karine Dalle le poste de porte-parole des évêques français.

Mais, après avoir pris conscience du problème, le Pape François maintient sa décision d’éviter une guerre, d’entrer en dialogue avec l’opinion publique, et de prendre les décisions que l’opinion publique attend. Le fait que la réputation de l’évêque ait été compromise est réel, mais en même temps, il y a différentes façons de gérer la situation si vous ne voulez pas rester ferme. Le pape François, cependant, préfère choisir celle qui lui permet d’avoir les médias de son côté. Une façon, pourrait-on dire, de faire porter à l’Église catholique, constamment attaquée, le poids des balles.

Les intentions du pape François sont probablement les meilleures du monde. Mais le fait qu’il ait dit ouvertement qu’il avait sacrifié un évêque sur l’autel de l’hypocrisie ne peut que susciter des interrogations.

Parce qu’un pape qui décide de sacrifier un évêque sur l’autel de l’hypocrisie risque de perdre beaucoup de sa crédibilité, car la situation suscite de nombreuses questions. Par exemple : combien de décisions du Pape François ont-elles sacrifié quelqu’un sur l’autel de l’hypocrisie ? Et encore, l’attention et les clarifications légitimes du Pape sur certaines questions sont-elles dictées par un intérêt sincère, ou sont-elles choisies pour influencer l’opinion publique ? Quelle est donc la part de narration et de vérité dans le pontificat du pape François ?

Ce sont des questions qui restent en arrière-plan mais qui sont brûlantes. Parce que les paroles du pape François sur Aupetit, en fin de compte, certifient la possibilité d’un modus operandi bien réel du pape. Un modus operandi qui risque de remettre en question même les bonnes choses. Après tout, les médias laïques ont adoré presque tout ce qui concerne le pape François, allant jusqu’à dire qu’il y a une conspiration des conservateurs pour ne pas montrer les positions les plus extrêmes du pape en faveur des pauvres.

Les médias laïques ont adoré voir François s’en prendre à la Curie romaine. Ils ont aimé l’ambiguïté du langage qui a résulté de l’application d’Amoris Laetitia. Ils ont apprécié qu’il insiste sur les questions écologiques et environnementales, qui, finalement, sont les mêmes que celles qui sont soutenues dans le monde. Dans les situations irrégulières, le Pape préfère ne pas se prononcer. Parfois, une note arrive de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur les cas où la discussion ne peut être évitée.

Mais tout cela est-il réel ? Quelle est la substance derrière les actions du Pape ? Que restera-t-il ? En fin de compte, l’autel de l’hypocrisie est celui d’un dieu païen qui a besoin de sacrifices humains. Il ne peut pas et ne va pas durer longtemps. Le Pape compte probablement là-dessus, en choisissant le moindre mal.

Au contraire, l’autel de la vérité nous demande d’exercer et de vivre la justice. Cela n’exige pas de sacrifices humains. Mais elle exige le chemin du sacrifice personnel et du dévouement. Malheureusement, les paroles du Pape suggèrent qu’il a choisi, pour des raisons pratiques, pour l’opinion publique, l’autel de l’hypocrisie. Combien d’autres fois au cours du pontificat aurait-il pu choisir cet autel ?

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