Christus Vivit
L'exhortation apostolique post- synode pour les jeunes vient d'être publiée. C'est une attaque en règle contre "l'excès" de doctrine (4/4/2019)
Le 2 avril, l'exhortation apostolique issue du synode pour les jeunes d'octobre dernier a été publiée - dans une certaine discrétion de la part des médias mainstream, qui confirme ce que j'ai écrit hier à propos de l'indifférence relative envers ce que dit et fait le pape.
Ceux qui en ont l'envie et le temps (elle fait 67 pages! on peut douter que le public auquel elle est en principe destinée la lira!) pourront le faire ici: w2.vatican.va.
Pour les autres, plus paresseux (dont je fais partie), voici l'analyse-commentaire de deux observateurs attentifs, Maike Hickson (LifeSiteNews) et AM Valli.
Dans une nouvelle exortation apostolique, le Pape François suggère "des changements concrets" dans l'Eglise pour apaiser la jeunesse
Maike Hickson
www.lifesitenews.com
2 avril 2019
Ma traduction
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Dans Christus vivit, son nouveau document sur la jeunesse publié le 2 avril, le Pape François dit que l'Église a "concrètement" besoin de changer et appelle à une Église qui "met de côté les idées préconçues étroites et écoute attentivement les jeunes" sous peine de devenir un "musée".
Dans ce qui sera vu par beaucoup comme un coup porté contre ceux qui, dans l'Eglise, apprécient ses belles et riches traditions, il affirme: "Demandons au Seigneur de libérer l'Église de ceux qui la feraient vieillir, l'enfermer dans le passé, la retenir ou l'immobiliser".
Une Église qui reflète Jésus-Christ, dit-il, cela signifie "reconnaître humblement que certaines choses doivent changer concrètement, et pour cela, elle doit apprécier la vision mais aussi les critiques des jeunes".
Dans son Exhortation apostolique post-synodale de 67 pages, le Pape envisage une "Église ouverte" qui place la rencontre personnelle avec Jésus-Christ en premier et les instructions doctrinales derrière. Il insiste sur le fait que la pastorale des jeunes doit être ouverte à toutes les visions du monde, et beaucoup de ses paroles penchent vers l'indifférentisme religieux et le salut universel. Les idées du Pape dans le document présentent de nombreux parallèles avec l'ex-chef de la "mafia" de Saint-Gall, le défunt cardinal Carlo Martini, que le Pape a qualifié un jour de "père pour toute l'Église".
Le Vatican a publié l'Exhortation ce matin, mais elle a été signée par le Pape le 25 mars - fête de l'Annonciation - alors qu'il visitait le Sanctuaire de la Sainte Maison à Lorette. Organisée en neuf chapitres, le Pape a élaboré sa propre réflexion en s'appuyant fortement sur le document final du Synode des évêques sur les jeunes, la foi et le discernement vocationnel de 2018 .
Le Pape François affirme à plusieurs reprises qu'il souhaite avoir une "Eglise ouverte au renouveau". L'"amour du Seigneur", dit-il, "apprend plus à redresser qu’à faire chuter, à réconcilier qu’à interdire, à donner de nouvelles chances qu’à condamner, à regarder l’avenir plus que le passé". Il espère que les jeunes seront des "protagonistes du changement", et pour cela, l'Église doit "humblement" d'écouter.
Il y a pourtant des jeunes catholiques qui croient qu'il est rétrograde de la part de l'Église de les "écouter".
"Ce qui compte vraiment, c'est de savoir si j'écoute l'Église et si j'apprendre de sa sagesse", a dit au National Catholic Register Isaac Cross, étudiant d'une univesité catholique, dans d'une interview sur le Synode des jeunes en octobre. "L'Église est bâtie sur des milliers d'années de tradition et de doctrine, et j'ai découvert surtout à la fac à quel point il est crucial de s'efforcer de comprendre que la doctrine de l'Église est un moyen vital de renforcer la foi [de chacun]", a-t-il ajouté.
Cross a expliqué comment saint Jean Paul II avait appelé les jeunes à "prendre en main la charge de l'évangélisation", mais de nombreux évêques et prêtres ont mal interprété cette idée et ont commencé à s'adresser aux jeunes pour que ceux-ci les guident dans la formation des traditions et de la liturgie de l'Église".
"Les jeunes catholiques ont cette vitalité que saint Jean Paul considérait comme si importante pour répandre la foi, mais étant moi-même jeune, je peux vous dire que nous n'avons pas la sagesse", a-t-il dit.
Dans son Exhortation, le Pape dit qu'au lieu de "communiquer une grande quantité de doctrine", l'Église devrait "d'abord essayer d'éveiller et de consolider les grandes expériences qui soutiennent la vie chrétienne".
"Une Eglise sur la défensive, qui n’a plus l’humilité, qui cesse d’écouter, qui ne permet pas qu’on l’interpelle, perd la jeunesse et devient un musée", ajoute-t-il.
Le Pape rejette une "pastorale des jeunes pure et parfaite, marquée par des idées abstraites" et mise plutôt sur une pastorale des jeunes "populaire", moins orientée vers la doctrine et plus centrée sur une approche inclusive, accueillant aussi tous les jeunes qui sont soit d'autres religions, soit athées, soit en désaccord avec tous les enseignements de l'Église. Il dit qu'il n'est pas nécessaire "d'accepter pleinement tous les enseignements de l'Église". Ainsi, le Pape envisage une "pastorale des jeunes capable d'être inclusive, avec de la place pour toutes sortes de jeunes, pour montrer que nous sommes une Église aux portes ouvertes".
Le Pape François critique les formes traditionnelles d'éducation des jeunes. Il dit, par exemple: "Cependant l’école a besoin d’une autocritique urgente, si nous constatons les résultats de la pastorale de beaucoup d’entre elles, une pastorale centrée sur l’instruction religieuse qui est souvent incapable de susciter des expériences de foi durables".
Le changement fondamental que le Pape François semble espérer est un certain retrait de l'identité catholique au nom d'une plus grande ouverture et d'un meilleur dialogue. A cette fin, il insiste sur le fait que les institutions éducatives catholiques devraient "chercher à accueillir tous les jeunes, quels que soient leurs choix religieux, leurs origines culturelles et leurs situations personnelles, familiales ou sociales".
"Ce faisant, l’Eglise apporte une contribution fondamentale à l’éducation intégrale des jeunes dans les parties du monde les plus diverses. Elles [les institutions religieuses] réduiraient trop leur rôle si elles établissaient des critères rigides pour l’admission des étudiants ou pour leur maintien, parce qu’elles priveraient de nombreux jeunes d’un accompagnement qui contribuerait à enrichir leur vie", a-t-il ajouté.
Une telle déclaration prend de l'importance à la lumière du récent conflit au Kansas, où une école catholique a décidé de refuser la présence d'un enfant d'un couple homosexuel non catholique. Les paroles du pape François semblent impliquer que la décision de l'école, soutenue par l'évêque local, était incorrecte.
Bien que dans son nouveau document le Pape François n'utilise pas certaines expressions controversées telles que "LGBT" - introduite lors du synode des jeunes de 2018 - il cite le rejet par le document final de "toute discrimination et violence pour des motifs sexuels".
Il reprend également le ton du document final du synode lorsqu'il affirme que "la morale sexuelle tend souvent à être une source d'incompréhension et d'aliénation de l'Église, dans la mesure où elle est considérée comme un lieu de jugement et de condamnation". Cette déclaration semble confirmer une affirmation faite en décembre 2018 par le cardinal Reinhard Marx - président de la Conférence épiscopale allemande - selon laquelle le pape François est ouvert à une discussion sur la morale sexuelle catholique. "Je vois qu'ici son opinion n'est pas tellement fixée", dit Marx du Pape.
Le Pape poursuit: néanmoins, les jeunes expriment aussi "un désir explicite de discuter de questions concernant la différence entre l'identité masculine et féminine, la réciprocité entre hommes et femmes, et l'homosexualité". Il est alarmant de voir le pape énumérer les réalités ordonnées et créées par Dieu du dualisme hommes/femmes et de la réciprocité ainsi que ce que le Catéchisme appelle le "désordre objectif" de l'homosexualité.
Beaucoup des arguments que l'on trouve dans le nouveau document papal rappellent les vues dissidentes du défunt cardinal Carlo Martini, disparu en 2012, mais qui est toujours très apprécié du pape François. Il était aussi le leader du groupe de Saint-Gall, qui aurait contribué à l'élection du pape François. Peu de temps après son élection, le Pape François a fait l'éloge de Martini en public, le qualifiant de "prophétique", de "père pour toute l'Église" et d'"homme de discernement et de paix". Le cardinal Walter Kasper, un autre membre du groupe de Saint-Gall, a révélé un jour: "Ce que François essaie maintenant de mettre en œuvre correspond dans une large mesure aux pensées que nous avions à l'époque".
LifeSiteNews a récemment présenté une comparaison détaillée entre les déclarations du pape François et de Martini et une liste d'extraits du livre Conversations nocturnes avec le Cardinal Martini, publié en 2012 [en réalité en 2008: en 2012, au lendemain de sa mort, son interlocuteur dans le livre de 2008, le Père jésuite Georg Sporschill, avait publié comme le testament spirituel du cardinal une interview réalisée juste avant sa mort, cf. benoit-et-moi.fr/2012(III)]. Martini aussi voulait une Eglise "à l'écoute" qui enseigne moins et écoute plus. C'est lui qui affirmait que "nous ne pouvons rien enseigner aux jeunes. Nous ne pouvons que les aider à écouter leur maître intérieur." Le cardinal italien rêvait aussi "d'une Église qui ferait une place à ceux qui pensent en dehors des sentiers battus", et il déplorait ces prélats qui "sont encore assis derrière des murs trop épais, soit dans de nouveaux bureaux, soit dans de vieux palais". Et comme François dans son nouveau document, Martini, lui aussi, était souvent sévère pour l'enseignement moral: "L'Église a beaucoup trop parlé du péché."
Martini était en faveur d'un leadership plus féminin dans l'Église, tout comme le Pape François qui, dans son nouveau document, promeut "l'appel à respecter les droits des femmes et à offrir un soutien résolu pour une plus grande réciprocité entre hommes et femmes, sans être forcément d'accord avec ce que proposent certains groupes féministes".
Avec les deux prélats, il y a une vision d'un Jésus-Christ qui accepte et accueille chacun, indépendamment de ses opinions religieuses et de leurs péchés personnels (peut-être non repentis). Comme le dit le Pape François dans son document : "Nous sommes sauvés par Jésus parce qu'il nous aime et ne peut aller contre sa nature. Nous pouvons faire beaucoup de choses contre lui, mais il nous aime et il nous sauve." "J'espère que tôt ou tard, Dieu rachètera tout le monde."
[L'article se poursuit avec une série d'extraits]
"Christus vivit" et cette aversion insidieuse pour la doctrine
Aldo Maria Valli
www.aldomariavalli.it
4 avril 2019
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De l'exhortation post synodale Christus vivit, dédiée "aux jeunes et à tout le peuple de Dieu", émerge un aspect: l'aversion, de la part de celui qui a rédigé le document, pour le contenu doctrinal et moral.
Il suffit de lire ici : «Concernant la croissance, je veux faire une mise en garde importante. Dans certains endroits, il arrive que, après avoir suscité chez les jeunes une expérience intense de Dieu, une rencontre avec Jésus qui a touché leur cœur, on leur offre ensuite seulement des réunions de "formation" où sont uniquement abordées des questions doctrinales et morales : sur les maux du monde actuel, sur l’Eglise, sur la Doctrine sociale, sur la chasteté, sur le mariage, sur le contrôle de la natalité et sur d’autres thèmes. Le résultat est que beaucoup de jeunes s’ennuient, perdent le feu de la rencontre avec le Christ et la joie de le suivre, beaucoup abandonnent le chemin et d’autres deviennent tristes et négatifs. Calmons l’obsession de transmettre une accumulation de contenus doctrinaux, et avant tout essayons de susciter et d’enraciner les grandes expériences qui soutiennent la vie chrétienne. Comme l’a dit Romano Guardini: "dans l’expérience d’un grand amour […] tout ce qui se passe devient un évènement relevant de son domaine"» [n. 212].
Ce passage est significatif parce qu'il montre que le document a été écrit non pas tant en tenant compte des besoins et des exigences des jeunes d'aujourd'hui, mais sur la base des idiosyncrasies de certains anciens jeunes, aujourd'hui âgés, liés à l'idée que "les questions doctrinales et morales" ne comptent pas et ne font qu'ennuyer.
Ceux qui travaillent avec les jeunes savent qu'à notre époque, le problème n'est pas d'offrir des "expériences intenses" et des occasions de rencontres fortes d'un point de vue émotionnel. Ils peuvent en trouver partout parce que le monde les offre en abondance. Ce que les jeunes demandent, peut-être d'une manière confuse mais non moins évidente, c'est le contraire. Puisqu'ils vivent dans une société "liquide", pleine d'expériences possibles mais sans repères moraux et sans sens rationnel, ils ont soif de doctrine, de pensée structurée, de contenu, de règles, et quand ils trouvent quelqu'un qui puisse satisfaire leur soif, ils ne s'ennuient pas du tout, mais sont reconnaissants, car ils découvrent de nouveaux horizons, dont on ne leur a jamais parlé. Et ils découvrent la valeur de l'autorité.
Écoutez ce qu'un éducateur catholique m'écrit: «Dans mon expérience de plusieurs décennies de travail avec les jeunes d'abord du lycée, puis les étudiants et les travailleurs, j'ai fait l'expérience du contraire de ce que Christus vivit prétend. J'ai été témoin de la demande de la part des jeunes d'être aidés pour porter un jugement sur des questions dont l'école, l'université et d'autres endroits ne parlent pas. Mais quels jeunes ont écouté les évêques et le pape pour en arriver à des affirmations de ce genre?»
Mon ami Andrea Mondinelli propose de comparer le passage cité par Christus vivit avec le magistère exprimé par saint Pie X dans Acerbo nimis, où est affirmée l'essentialité de la doctrine, parce que «l'intellect, s'il lui manque la vraie lumière, c'est-à-dire la connaissance des choses divines, sera comme un aveugle qui prête son bras à un autre aveugle, et ils tomberont dans la fosse tous les deux».
C'est comme cela. Et seule une vision idéologique de la réalité peut soutenir que le problème, aujourd'hui, est «de calmer l'anxiété de transmettre une grande quantité de contenus doctrinaux».
Ces expressions, ce sont les soixante-huitards qui les utilisaient quand ils s'en prenaient au notionnisme [i.e. la connaissance basée sur un ensemble de notions, pour la plupart superficielles et déconnectées] et contestaient tout type d'autorité. Mais aujourd'hui, elles semblent anachroniques.
La méfiance, pour ne pas dire l'hostilité, envers la doctrine et les normes morales émerge en d'autres points de Christus vivit. Comme quand elle met en garde contre le risque d'«étouffer» [écraser, dans la traduction officielle] les jeunes «avec un ensemble de règles qui donnent du christianisme une image réductrice et moralisante» [n. 233]. Etouffer? Mais si c'était justement le manque de directives morales (les éducateurs le savent bien) qui conduit la personne au déséquilibre intérieur et au malheur?
Méprisante envers la doctrine et la morale, Christus vivit soutient à un moment donné la nécessité d'une pastorale «synodale» et «populaire» de la jeunesse. Des étiquettes qui utilisent des adjectifs en vogue, mais qui ne disent pas grand-chose. Et même qui ne disent rien.
Bien différents sont le ton et le contenu de Fides et ratio de Jean-Paul II, là où il explique que pour promouvoir à la fois la dignité de chaque être humain et l'annonce du message évangélique, il est urgent «d'amener les hommes à la découverte de leur capacité à connaître le vrai et de leur aspiration à un sens ultime et définitif de l'existence» [n.102].
Connaître le vrai et le beau, donner un sens à la vie. C'est cela, la grande soif des jeunes. Il faut une pensée philosophique orientée dans un sens authentiquement chrétien. Il faut fonder une nouvelle alliance entre la raison humaine et la parole divine, comme Benoît XVI n'a jamais cessé de l'enseigner.
On peut douter que «les pastorales synodales», quelle que soit le sens de ces fumeuses expressions bureaucratico-cléricales, puissent contribuer à rapprocher les jeunes de Dieu.
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