Comment le Pape change l'Eglise
Une intéressante lecture, par Damian Thompson, illustrée par des évènements récents, du modus operandi de François (2/6/2018)
La boule de démolition de François: Ce dessin illustrait un article du même Damian Thompson en novembre 2015 (cf. benoit-et-moi.fr/2015-II)
Le journaliste et influent blogueur anglais propose une analyse nuancée, donc pas totalement ou pas ouvertement critique, et beaucoup des affirmations qu'il avance peuvent être (vivement!) discutées; mais ce qu'il dit soulève un vrai problème qu'il est désormais impossible d'ignorer: le Pape n'est-il pas en train de lever le drapeau blanc de la reddition devant le pouvoir mondain? Et son comportement est-il celui qu'on est en droit d'attendre d'un... pape, justement - comme catholique bien sûr, mais aussi, simplement, homme de bonne volonté, à la recherche d'un guide spirituel ferme et solide?
Le pape François lève le drapeau blanc
Damian Thompson
www.spectator.co.uk
1er juin 2018
Ma traduction
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Le pontife semble avoir renoncé à défendre l'enseignement catholique sur le caractère sacré de la vie.
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Juste avant que l'Irlande ne vote à une écrasante majorité pour mettre fin à l'interdiction constitutionnelle de l'avortement dans le pays, on pouvait voir les catholiques du village de pêcheurs de Clogherhead claquer la porte de l'église au beau milieu de la messe dominicale. Pourquoi ? Le curé de leur paroisse y avait été trop fort. Il leur avait non seulement ordonné de voter, mais aussi fourni des détails macabres sur une procédure d'avortement.
Il est probable que certains d'entre eux ont voté en faveur de l'abrogation du huitième amendement. La campagne pour le "Oui" n'aurait pas pu remporter une majorité des deux tiers sans le soutien de catholiques pratiquants. On peut supposer que parmi ces derniers, rares étaient les militants "pro-choix". En revanche, ils ont été rassurés par la promesse que toute loi à venir aurait un impact limité - et déterminés à ignorer une hiérarchie catholique infectée par les abus sur mineurs.
Le seul évêque catholique qui aurait pu les faire changer d'avis était le pape François, que son taux de popularité de 70 % en Irlande place devant tous les autres leaders mondiaux. Mais il n'a rien dit, ni avant ni après le référendum.
Cela n'a rien de surprenant. Bien que François aime faire la une des journaux, toutes les choses délibérément polémiques qu'il a dites - par opposition aux faux pas accidentels - ont tendance à remettre en question le conservatisme social, et en particulier les enseignements de sa propre église conservateurs sur les thèmes sociétaux.
Le mois dernier, par exemple, il aurait dit à Juan Carlos Cruz, un gay chilien victime d'abus: «Juan Carlos, peu importe que tu sois gay. Dieu t'a fait comme ça et t'aime comme ça et ça m'est égal. Le Pape t'aime comme ça. Tu dois être heureux de qui tu es».
Il ne faut pas dire, comme l'ont fait certains catholiques conservateurs, que nous n'avons que la parole de M. Cruz pour cela. Le Vatican n'a rien fait pour corriger ou affiner ces commentaires.
C'est le modus operandi du Pape: il laisse à des tiers le soin de rapporter ce qu'il a dit, puis il s'assied à l'écart et savoure la tempête. A condition bien sûr, qu'il s'agisse de la "bonne" tempête: une tempête qui frappe la foi des catholiques engagés dans la défense des doctrines les plus impopulaires de l'Église - sur l'indissolubilité du mariage, l'interdiction de tout acte sexuel extraconjugal et la réalité de l'enfer. François ne veut pas détruire leur foi: le but des coups est de remodeler leurs croyances afin d'obtenir une meilleure adéquation avec le consensus séculier occidental.
Ce n'est qu'aujourd'hui que cela devient clair. François lui-même n'est pas un ecclésiastique "séculièrement" conventionnel. Peu de jésuites le sont, même quand, comme lui, ils virent carrément à gauche avec l'âge. Que les causes qu'ils adoptent soient ou non à la mode, les jésuites apportent avec eux l'odeur du champ de bataille spirituel. Même leur diplomatie est la poursuite de la guerre par d'autres moyens.
Les jésuites ont toujours su prendre la température de la société, et François ne fait pas exception. Il sait que nous vivons une époque de politique identitaire. Cela ne veut pas dire qu'il souscrit à toutes ses modes. Il n'est pas plus fan du «droit à l'avortement» ou de la défense des «transgenres» que le catholique argentin lambda de 81 ans. Mais, comme le souligne Henry Sire dans sa courte et dévastatrice biographie, Le Pape Dictateur, il appartient à une génération de catholiques façonnée par Juan Perón, dont l'idéologie malléable reflétait la cruauté caractéristique de la société argentine. Perón pouvait passer du socialisme au fascisme ou au capitalisme selon le jour de la semaine. Bergoglio a évolué plus lentement - du bourreau du clergé progressiste des premiers temps de Jean-Paul II au défenseur discret des droits des LGBT dans les derniers jours de son propre pontificat.
Certes, la chose la plus célèbre que François ait jamais dite - «Qui suis-je pour juger?», en réponse à une question sur les catholiques homosexuels - date de quelques mois après son entrée en fonction. Ce qu'il voulait dire n'était pas clair, et dans une interview ultérieure, il l'a présenté comme une simple interprétation miséricordieuse des règles: il ne juge pas si un catholique gay essaie de vivre chastement.
Depuis lors, cependant, François semble avoir changé de cap. Sa position sur l'homosexualité s'est rapprochée de sa position sur la possibilité pour les catholiques divorcés et remariés de recevoir la Sainte Communion.
Si nous lisons entre les lignes - la seule façon de comprendre ce pape - nous trouvons la même dé-pétrification d'enseignements autrefois gravés dans la pierre. Si, après avoir examiné votre conscience, vous croyez que votre union monogame mais sexuellement active est en accord avec votre vie de catholique, alors c'est à vous de prendre votre propre décision quant à la réception des sacrements.
C'est la conception qu'a François de la compassion chrétienne. Elle n'est pas identique à celle du catéchisme actuel de l'Église catholique; elle n'est pas non plus dictée par le sécularisme - qui, après tout, applaudit le mariage gay et l'avortement, auxquels François est opposé. Mais cela révèle son ambition de concilier les deux. Dans le cas de l'avortement, le Pape a conclu que le meilleur moyen pour les catholiques d'y parvenir est de ne pas parler de «massacre de masse». Il a peut-être raison. Encore une fois, les laïcs peuvent décider que le silence vaut consentement.
Quoi qu'il en soit, les commentateurs qui dépeignent François uniquement comme un réformateur en lutte contre les réactionnaires catholiques, ou un quasi hérétique qui sape le dépôt de la foi, risquent de passer à côté de toutes les implications de son pontificat. Le vote irlandais en faveur de l'avortement, bien qu'influencé par des facteurs propres à l'Irlande, n'était à la base qu'un exemple de plus du rejet du conservatisme social dans le monde développé.
Ce ne devait pas être un bouleversement du type Trump ou Brexit [ndt: There was never going to be a Trump or Brexit-style upset ], parce qu'aucune des surprises populistes qui ont récemment pris les élites libérales de court n'était enracinée dans des valeurs morales (elles ont pu être invoquées, mais ce n'est pas la même chose).
On ne peut pas réduire le processus de sécularisation à un assaut des athées contre la foi. Tout aussi important, sinon plus, il y a l'adoption des règles profanes par les organismes religieux et leurs membres - des «croyants» qui, confrontés aux profonds dilemmes moraux soulevés par le monde moderne, choisissent tranquillement de croire différemment.
Jusqu'à présent, l'Église catholique a réussi à préserver les doctrines dérangeantes mieux que n'importe quel autre organisme religieux en Occident. Le problème était que tout dépendait de son pape. François, comme un vrai jésuite, se présente avec l'assurance d'un commandant en chef. Mais rien ne peut cacher le fait qu'il abaisse le drapeau papal et agite un drapeau blanc.
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