Propagande
"Le Pape François, un homme de parole": une critique du film de Win Wenders, récemment présenté à Cannes, et qui devrait sortir en France à l'automne prochain (3/6/2018)
Chronique d'un "bide" annoncé
Je n'ai évidemment pas vu le film, et je n'irai pas le voir. Ne serait-ce que parce que, tout oscarisé qu'il soit, Wim Wenders est à mon goût le plus ennuyeux des cinéastes. Sans parler, évidemment, du sujet.
On m'objectera qu'il est mal venu de formuler une opinion sur ce qu'on ne connaît pas par expérience directe - un film qu'on n'a pas vu, ou un livre qu'on n'a pas lu. Peut-être. Mais je reprends à mon compte cette remarque dont je ne me souviens plus l'auteur (c'était à propos du film de Nanni Moretti "Habemus Papam"): je n'ai pas besoin de me jeter du troisième étage pour savoir que je me ferais très, très mal en atterrissant!!!
Je fais donc confiance à d'autres, plus téméraires que moi. Mais j'imagine qu'ils seront peu nombreux (rendez-vous en septembre...).
En attendant, on peut se poser la question: "que diable le pape vient-il faire dans cette galère?". Mais surtout: est-ce bien digne de son Ministère? Et qui espère-t-il convertir ainsi?
Champion de la justice sociale : une critique du film « Le Pape François »
Brad Miner
www.thecatholicthing.org
28 mai 2018
Traduction d'Isabelle
* * *
Le jour où l’on montrait pour la première fois le documentaire Le Pape François : un homme de parole, du réalisateur allemand Wim Wenders, je me suis rendu pour la séance du matin dans la salle la plus proche. J’arrivai environ 20 minutes à l’avance et me choisis un siège. A 10 h 30, le film commençait ; j’étais le seul spectateur.
Wenders, qui a une certaine réputation comme auteur de documentaires, est aussi un réalisateur de longs métrages. Sa fiction romantique Les ailes du désir (1988), l’histoire d’un ange gardien tombé amoureux d’une trapéziste, fut très applaudi et son documentaire de 1999 sur des musiciens cubains, appelé Buena Vista Social Club, reçut une nomination aux Oscars et connut, lui aussi, un vif succès.
Son dernier film, Submergence (2017), une sorte de thriller d’espionnage, très mal reçu par la critique, fut un désastre artistique et financier. Le pape François pourrait bien indiquer que le réalisateur a perdu la main.
Il est injuste de qualifier de « documentaire » cet exercice qui relève de l’hagiographie. Cela ressemble beaucoup plus au type de vidéo publicitaire que l’on s’attend à voir dans un meeting politique, du genre qui, sans aucune critique, fait du battage autour des réalisations du candidat du parti.
Wenders, élevé dans une famille catholique, puis passé au protestantisme, se décrit lui-même sans sourciller comme « catholique et protestant à la fois ». Il ne s’intéresse pas du tout à la religion du pape. C’est l’activisme du pape qui l’a séduit et amené à répondre favorablement à la demande d’un film que lui avait adressée le Vatican.
Le titre allemand des Ailes du Désir est Der Himmel über Berlin (« Le ciel au-dessus de Berlin ») et Le pape François commence avec une vue du ciel sur la cité du Vatican.
Wenders a structuré son film avec des séquences qui se répètent : des interviews du pape (filmées en « medium-close », le pape fixant le spectateur – en réalité, la lampe rouge au-dessus de l’objectif de la camera) ; des séquences d’actualités montrant le pape visitant bidonvilles, ghettos et favelas du monde entier au cours de ses voyages ; et d’étranges scènes en noir et blanc de la vie de saint François.
Pour ce qui est de ce dernier élément, Wenders veut clairement nous faire comprendre que, pour le cardinal Bergoglio, le choix de son nom de pape est un choix prophétique, confirmé par le comportement ultérieur du pape.
Les passages muets, en noir et blanc, qui retracent la vie de saint François ont été filmés avec une caméra des années 1920 ; et le film ainsi produit est un peu granuleux et censé suggérer quelque chose de très ancien. A l’évidence, le choix d’une caméra du début du XXe siècle a été imposé par l’impossibilité de trouver des caméras du XIIIe siècle. Ces passages sont stupides.
Mais ce qui fait du film Le pape François un échec patent, c’est son refus d’envisager toute l’histoire du pontificat. Une unique et vague mention à la fin du film parle de controverses, alors qu’objectivement, ce pontificat est le plus diviseur depuis, au moins, les derniers papes Medicis (évidemment, pour d’autres raisons).
C’est le seul documentaire, construit à partir d’interviews, que j’aie jamais vu où celui qui est le sujet du film est aussi le seul à être interrogé. Avec le flou artistique des photos que fait Lisa Rinzler d’un pape souriant, on pourrait imaginer que c’est Leni Riefenstahl, et non pas Wenders, qui se tient à côté de la caméra.
Wenders a dit, dans plusieurs interviews, que le nom de « François » choisi par le cardinal Bergoglio traduit une identification radicale et une solidarité avec les pauvres et les exclus ; et il voit dans ce nom l’expression d’un grand souci de la nature et de la « Terre Mère », ainsi que d’un effort renouvelé pour stimuler la paix entre (sic) les religions.
Il a dit encore qu’il ne s’intéresse pas à ce que les autres auteurs de documentaires appellent une « distance critique » entre le réalisateur du film et son sujet. Cela explique pourquoi ce documentaire dépasse à peine le niveau d’une vidéo de propagande. Wenders, qui fait un commentaire tout au long du film, semble croire qu’il fait un plaidoyer pour le pape ; mais aucun plaidoyer ne l’emportera jamais, s’il ignore le principe des témoignages contradictoires, même si tout se termine par un acquittement.
Wenders s’enthousiasme particulièrement pour Laudato si’, l’encyclique environnementale du pape et tout le documentaire en porte la trace. L’auteur présente des scènes de pauvreté et de crasse et s’attarde avec complaisance sur les critiques que le pape adresse à l’appât du gain. François croit que les Evangiles sont une sorte de manuel anti-pauvreté ; il fustige les quartiers fermés, embrasse Evo Morales et semble parfaitement ignorer le moyen clairement éprouvé de combattre la pauvreté qu’est le développement du marché libre. Pour un homme du peuple, il partage le goût des élites pour les économies planifiées « top down », du sommet à la base.
En conclusion du film, le pape dit qu’il y a deux choses qu’il essaie de faire chaque jour : sourire et rire. Les sourires du pape sont nombreux dans Le Pape François et pourtant le documentaire de Wenders est dénué d’humour et, en définitive, sans joie, parce que ce pape harcèle, plus qu’il n’inspire. Et le film est tout empreint d’une lourde emphase.
C’est évident : Wenders entend nous monter seulement un homme comme les autres, qui tente de sauver le monde, mais ce salut se traduit presque exclusivement en termes socio-politiques. C’est pourquoi le documentaire insiste sur les enjeux politiques globaux et présente le pape comme le plus grand champion de la justice sociale de la planète.
Non que je pense que ce soit là une mauvaise interprétation du pape François ; cela ne l’est peut-être pas. A un moment, le pape dit que l’Eglise n’est pas une ONG (organisation non gouvernementale, du type « Greenpeace », « Médecins sans frontières »), pourtant c’est bien à cela que Wenders la fait ressembler.
Mais, surtout, Le pape François est un film ennuyeux. Il se peut que je dise cela parce que ce film raconte une histoire que moi-même – et aussi, je pense, les lecteurs de Catholic Thing – connaissons déjà. Ce m’a fait penser à ces résumés que l’on voit au début de beaucoup de séries : « Dans l’épisode précédent … » ou « Notre histoire jusqu’ici… ». Sauf que c’est un résumé qui dure une heure et demi. Et je me demande à qui Wenders destine ce documentaire. Aux ex-catholiques ? Aux protestants curieux ? Aux écoliers catholiques ?
J’ai pensé sortir après 45 minutes de ce film qui n’en dure que 96. Mais, ayant fait cela, je n’aurais pas pu ensuite écrire cette critique.
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