Du rififi dans la communication du Vatican
Le directeur de la Salle de presse, Greg Burke, a "démissionné". Une tentative pour comprendre ce qui se passe (1er/1/2019)
>>> Ci-contre: Greg Burke et l'autre "victime", son adjointe Paloma Garcia Ovejero
Hier, sous le titre "Mystère au Vatican", Yves Daoudal évoquait la "démission" de Greg Burke de son poste de directeur de la Salle de presse du Saint Siège qu'il occupait depuis deux ans.
Sans écarter de légitimes interrogations, il semble bien que cette "démission" s'inscrive (comment? pourquoi? c'est ce qui reste à déterminer) dans le cadre de la réforme de la Communication du Saint-Siège actuellement un cours - un sujet dont Andrea Gagliarducci a traité en détail à la veille de Noël dans son billet hebdomadaire (intéressant malgré ses partis pris agaçants bien connus!) de Vatican Monday, insistant en particulier sur la nomination d'Andrea Tornielli comme responsable éditorial des médias vaticans. On en trouvera, pour information, ma traduction en annexe.
Dans un article publié le 27 décembre, le quotidien (de droite... et excellent!) La Verità propose quelques pistes.
L'article est payant, et accessible seulement 1/2 heure gratuitement sinon (je n'ai pas eu le temps de le sauvegarder en entier).
On peut y lire que
Le nouveau directeur de la rédaction [Tornielli], qui a maintenant le contrôle des médias du Vatican, grâce au rapport privilégié qu'il a toujours entretenu avec le pape Bergoglio, jouait déjà ce rôle d'interprète médiatique non officiel de François avec des articles, des interviews, des livres, des appels téléphoniques et des indications d'amis et d'ennemis. Désormais, tout cela revêt simplement un statut officiel, mais cette nomination exprime quelque chose de plus: elle représente une sorte de réglement de compte dans le monde riche et varié des hommes qui tournent autour des médias du Vatican. Les gagnants, ce sont justement Andrea Tornielli et le directeur de la revue jésuite La Civiltà cattolica, le Père Antonio Spadaro.
L'auteur de l'article voit dans les changements récents dans la com' du Vatican - avec l'éviction de Gian Maria Vian de la direction de l'OR et son remplacement par Andrea Monda (1) -, ce qu'il appelle une lutte de pouvoir interne entre «plusieurs coqs dans un même poulailler»:
Curieusement, dans la lettre du Pape acceptant la démission de Mgr [Dario] Viganò, le poste d'assesseur du Dicastère était créé tout exprès, lui laissant de fait de larges pouvoirs et d'amples marges de manoeuvre, mais plus encore, l'Osservatore Romano était expressément mentionné pour sa "fusion imminente" au sein de l'unique système de communication.
[NDT: Le Pape écrivait en effet: Je vous demande de rester au Dicastère, en vous nommant Assesseur pour le Dicastère de la Communication, afin de pouvoir apporter votre contribution humaine et professionnelle au nouveau Préfet, au projet de réforme souhaité par le Conseil des Cardinaux, que j'ai approuvé et régulièrement partagé. Une réforme désormais parvenue à sa conclusion avec la fusion imminente de l'Osservatore Romano dans le système communicatif unique du Saint-Siège et l'incorporation de l'Imprimerie du Vatican.]
Pour beaucoup d'observateurs, c'était le signal décisif pour le quotidien du Pape, mais plus encore, la énième preuve éclatante d'une guerre intestine au sein du monde des médias du Vatican. Beaucoup de coqs dans le poulailler de la communication vaticane et parmi les "interprètes" plus ou moins officiels du pontificat, au-delà de la division rabâchée entre progressistes et conservateurs. La cible la plus importante des réformateurs était et reste la vieille courroie de transmission qui au sein des médias du Vatican relie la Secrétairerie d'Etat à la Salle de Presse et à l'OR.
C'est peut-être une des raisons du départ précipité de Greg Burke, l'un des coqs en surnombre dans le poulailler....
Giuseppe Nardi a repris l'article de La Verità presque mot à mot sur le site en langue allemande <katholisches.info> , soulignant lui aussi que «le nouveau pouvoir de Tornielli a également affaibli la position du service de presse du Vatican et du porte-parole du Vatican, Greg Burke».
Son article a été traduit en anglais sur le site <The eponymous Flower>.
Voici donc ma traduction de cette version en anglais du texte de Nardi.
Guerre de succession dans les médias du Vatican
eponymousflower.blogspot.com
31 décembre 2018
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Le surprenant changement à la tête de l'Osservatore Romano se confirme comme le premier "acte officiel" du vaticaniste de la maison papale, Andrea Tornielli dans son nouveau poste au Dicastère des Communications. Mais le Cardinal Secrétaire d'Etat n'aurait pas été mis au courant et en serait "très irrité".
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LES GAGNANTS
Selon le quotidien La Verità, l'ancien rédacteur en chef du quotidien du Pape, Giovanni Maria Vian, a été licencié par l'intervention conjointe du P. Antonio Spadaro SJ, rédacteur en chef de la revue jésuite romaine La Civiltà Cattolica, et Andrea Tornielli, le vaticaniste 'maison' du Pape François. Tous deux font partie du cercle le plus proche de l'entourage du Pape.
Tornielli avait été appelé au Saint-Siège par François le 18 décembre. Depuis lors, il dirige l'ensemble des médias du Vatican en tant qu'éditeur doté de pouvoirs centraux d'alignement et de coordination.
D'une part, la nomination de Tornielli représente une étape cruciale dans la réforme des médias du pape François. Le journaliste italien avait un accès privilégié à François. Désormais, il exerce directement sa fonction d'alignement et de contrôle. Les médias du Vatican sont ainsi à la disposition de François directement, et en étroite collaboration avec Sainte Marthe.
Toutefois, l'intervention déclenchée au sein de la cour papale suscite aussi "quelques grincements de dents". La Secrétairerie d'Etat et le Secrétaire d'Etat lui-même n'ont manifestement pas été informés du licenciement. Le cardinal Pietro Parolin en a été "très irrité".
La nomination de Tornielli est considérée par les médias comme un "réglement de compte" au sein du cercle intime très proche mais hétérogène du pape François. Les vainqueurs de la lutte pour le pouvoir sont Tornielli et Spadaro. Le jésuite est considéré comme le conseiller le plus influent du Pape dans ce domaine. En 2017, un accord a été signé avec l'Ordre des Jésuites pour sécuriser son influence sur les médias du Vatican.
LES PERDANTS
Le perdant est avant tout Giovanni Maria Vian. Il a depuis été remplacé par Andrea Monda. Monda est proche de Spadaro. Il est le président, Spadaro le fondateur du projet culturel romain au titre énigmatique de Bomba carta (bombe de papier).
Mais parmi les perdants, il y a aussi la Secrétairerie d'État du Vatican, qui a été dépassé par les événements. La veille de l'éviction de Vian, le Cardinal Secrétaire Parolin n'en savait "absolument rien". Le pape François ne l'avait ni impliqué dans le processus de décision, ni informé à l'avance, bien que la Secrétairerie d'État ait eu par le passé une influence non négligeable sur le journal du Vatican et sur le Bureau de presse du Vatican.
Selon des sources vaticanes, le travail de Vian en tant que directeur de l'OR sous François n'avait jamais été contesté. L'historien et philologue était déjà en fonction sous le pape Benoît XVI. Sous François, il a même ouvert les pages de l'OR à des voix et des positions hétérodoxes, féministes et hérétiques.
Le quotidien La Verità voit à l'œuvre des "méthodes peu orthodoxes" qui s'inscrivent dans une "lutte de pouvoir interne entre plusieurs coqs dans un même poulailler".
Pour autant que l'on puisse reconstruire les faits, le Pape François voulait certainement remplacer Vian, afin de renforcer l'Osservatore Romano, vieux de plus de 170 ans, en tant que média interne chargé du soutien direct de la ligne papale. Toutefois, l'impulsion décisive est venue de Spadaro et de Tornielli.
S'il n'avait tenu qu'à François, c'est Spadaro qui aurait dû prendre le poste de directeur [de l'OR], mais cela a été refusé. Toutefois sur sa recommandation, c'est un proche de lui, Andrea Monda, qui a été choisi.
LA LUTTE DE POUVOIR INTERNE POUR L'INFLUENCE ET LA PROXIMITÉ AVEC LE PAPE
Plus de quatre ans après le début de la réforme des médias en 2014, l'opération semble terminée. Le pape François n'a pas non plus été découragé par des revers inattendus et indésirables, comme le renversement tragicomique de son premier responsable des communications, Dario Edoardo Viganò. Au début de l'année, il avait manipulé une lettre du Pape Benoît XVI pour offrir au Pape François un cadeau particulièrement flatteur pour les 5 ans de son pontificat. D'où la chute de Viganò - à ne pas confondre avec l'ancien nonce aux États-Unis. Le pape François l'a immédiatement repris et créé pour lui une nouvelle charge ad personam dans le même dicastère de communication.
Il n'y a pas seulement une lutte acharnée dans l'Église catholique entre les milieux fidèles et ceux modernistes, mais aussi une lutte massive au sein de l'entourage très hétérogène du pape François. Tornielli et Spadaro semblent avoir pris le contrôle de l'ensemble des médias du Vatican. La méthode utilisée pour pousser le dernier rival hors du terrain n'est pas approuvée par tous les hommes de confiance du pape. Du moins pas par ceux dont l'influence a été réduite. Le Cardinal Secrétaire d'Etat Parolin appartient aux médias. Le nouveau pouvoir que Tornielli a entre ses mains a également affaibli la position du service de presse du Vatican et du porte-parole du Vatican, Greg Burke.
Tornielli n'était jusqu'à présent qu'un porte-parole informel du pape. Aujourd'hui, il assume officiellement cette fonction. Ce ne sera pas sans conséquences dans l'activisme de Tornielli. Francis a pris Paolo Ruffini comme successeur de Viganò après avoir dû accepter la démission de Viganò avec plus de réticence que de volonté. Ruffini, cependant, est davantage un bouche-trou. L'influence réelle ne lui est pas attribuée. Reste à voir le rôle que Dario Edoardo Viganò jouera à l'avenir dans les médias. Au moins, il ne pourra pas tenir tête à Tornielli.
NDR
(1) Il convient de noter qu'il est l'auteur en 2012 d'un joli livre sur Benoît XVI, "Benedetta Umiltà", dont nous avons parlé dans ces pages ici, là, et encore là sans oublier le bel article de Sandro Magister.
Annexe
Que devient la communication du Vatican?
Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com
24 décembre 2018
Ma traduction
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Les nominations d'Andrea Tornielli au poste de directeur éditorial du Dicastère pour la communication et d'Andrea Monda comme directeur de L'Osservatore Romano marquent le moment où la réforme de la communication du pape François commence à prendre forme de manière définitive. En même temps, c’est aussi le début d'une nouvelle façon de gérer les problèmes.
C'est ce qu'a déclaré Paolo Ruffini, préfet du dicastère de la communication, en annonçant la nomination d'Andrea Tornielli . Avec Tornielli, a déclaré Ruffini, «la direction éditoriale (qui a pour tâche de coordonner l'ensemble des médias du Vatican) aura un leadership sûr, faisant autorité, et ayant une vision à long terme, conscient de la grande histoire derrière les médias du Vatican et d'un avenir à construire ensemble, pas tout de suite, si l'on n'en a pas peur».
Le fait que l'avenir ne sera pas construit «immédiatement» (c'est-à-dire soudainement) met un point d'arrêt à toute narration potentielle d'un changement profond de la communication du Vatican à réaliser dans un court laps de temps. Après plusieurs discussions sur la manière de développer cette réforme; après une commission et un comité qui ont avancé leurs propositions; le Secrétariat à la Communication - tel était son nom d'origine - a poursuivi ses essais et ses erreurs .
C'est surtout la vidéo qui retenait l'attention, visant principalement à mettre en valeur l'image du pape François. Certains contenus journalistiques ont été perdus. Dans cette optique, la marque Radio Vatican a été partiellement perdue et les stations d’ondes courtes et moyennes ont été fermées, sans discussion interne.
A présent, il semble qu'une nouvelle approche soit en place. La nomination d'Andrea Tornielli montre la volonté de revenir au journalisme et à la gestion de l'information.
Tornielli a une longue carrière professionnelle en tant que vaticaniste et a été l'un des rares à avoir écrit sur l'élection possible du pape François. Il a également couvert avec fidélité le pontificat du pape François et écrit deux livres-interviews avec le pape.
La direction éditoriale est un département déjà inclus dans le dicastère de la communication, comme l’un des trois bureaux du dicastère. Les autres sont le bureau de théologie pastorale dirigé par Natasa Govekar et le bureau de technologie dirigé par l’ingénieur Francesco Masci .
Le poste de directeur éditorial était vacant. Au début, c’était le préfet de l’époque, Mgr Dario Edoardo Viganò, qui était directeur par intérim. Après sa démission, le site Web du dicastère a inclu le nouveau poste d’assesseur, conçu pour Mgr Viganò , mais exclu le bureau éditorial.
Cela ne signifie pas que le poste n'existait pas. Simplement, il était vacant. Le choix d'un journaliste pour ce poste va probablement déplacer l'attention vers le contenu, tandis que la diffusion et l'image risquent de passer au second plan. Cette nouvelle approche pourrait également toucher le modèle de communication, orienté vers le marketing, développé pendant le pontificat, en soutenant une approche davantage orientée vers l'information que vers l'image.
Il faut prendre conscience du fait que nous sommes devant un nouveau monde. Dans le passé, le directeur d’un département au sein d’un dicastère du Vatican était moins important que le directeur de L’Osservatore Romano. Mais à présent, L'Osservatore Romano n'est qu'un des nombreux départements de la communication et son contenu sera coordonné avec les autres médias du Vatican.
Même cette transition ne se fera pas soudainement. En général, les questions seront abordées de manière plus souple, comme le prouve le fait que le préfet Paolo Ruffini a présenté Tornielli et Monda comme des «constructeurs de ponts». Ruffini lui-même, dans l'un des tout premiers portraits rédigés par Andrea Torniell après sa nomination (www.lastampa.it), était qualifié de normalisateur, capable de favoriser l'harmonie.
En fin de compte, c'est l'objectif, ou du moins l'un des objectifs: favoriser l'harmonie [???] et surmonter les tensions initiales, afin de créer quelque chose qui soit nouveau et en même temps ancré dans la tradition.
Un autre objectif est d'abandonner la polarisation [???]. Le fait qu'Andrea Tornielli ait déclaré croire en un journalisme d'analyse, constitué de faits plutôt que d'opinions, en est la preuve [???].
L'un des plus gros problèmes de la narration de ce pontificat était en fait la polarisation, des deux côtés. Cette polarisation a généré un modèle de communication que tout le monde a suivi et qui était en fait constitué de commentaires plutôt que d’analyses. Une révolution du langage est nécessaire, et cette révolution devrait commencer par le Saint-Siège, peut-être pas préparé initialement à gérer le changement de narration venu avec le pape François.
Le choix de Monda en tant que rédacteur en chef de L'Osservatore Romano fait également partie de cette voie. Monda est professeur de religion dans un lycée en Italie. Ses leçons ont fait l'objet d'une émission télévisée de la chaîne télévisée de la Conférence des évêques italiens, TV2000 - «Buongiorno Professore» . Le pape François a choisi Monda et ses élèves pour écrire la méditation du Vendredi saint sur le chemin de croix l'année dernière. Mais Monda était aussi l’un de ceux qui ont poursuivi le projet d’écriture créative lancé il y a 20 ans par le Père Antonio Spadaro, actuel rédacteur en chef de La Civiltà Cattolica.
Si Gian Maria Vian a donné au journal du Vatican un angle culturel plus pointu, en mettant l'accent sur la politique, et en particulier sur la politique italienne, Monda se tournera probablement davantage vers le débat culturel contemporain. Il suivra ses [centres d'] intérêt[s], qui correspondent parfaitement au travail culturel réalisé jusqu'à présent autour du pape François, en particulier par le Père Spadaro. Monda a déclaré que l'un de ses objectifs sera de favoriser le dialogue entre les générations.
Son journal sera-t-il plus dynamique et moins institutionnel?
Il est trop tôt pour le dire. On peut seulement formuler des conjectures, en se basant sur les travaux antérieurs réalisés par les nouveaux responsables de l’information.
Au-delà du contenu, des problèmes administratifs sont également en jeu. Le bureau de presse du Saint-Siège, par exemple, relève du dicastère de la communication et figure dans son organigramme.
D'autre part, les informations sur l'activité papale proviennent de la Secrétairerie d'État du Vatican, à laquelle, selon Pastor Bonus - la Constitution apostolique qui régit toujours les fonctions et tâches des offices de la Curie -, le service de presse est lié. La question est: comment l'information sera-t-elle gérée? Et comment le bureau de presse du Saint-Siège sera-t-il organisé dans le cadre de la constitution à venir, Praedicate Evangelium ?
Toute cette énigme sera résolue après Noël, avec le calme qui convient. Pas tout de suite, comme l'a dit à juste titre Ruffini.
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