La nouvelle Eglise antidogmatique

Une interview d'AM Valli, autour de son avant-dernier ouvrage "Come la Chisa fini" (28/1/2019)

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"Come la Chiesa fini"


Dans une tentative de dialogue avec le monde, l'Église a renoncé à s'occuper des âmes et du salut éternel. Sous le pontificat actuel, cette tendance est devenue plus prononcée que jamais. François a montré qu'il a une vision complètement horizontale de la vie de foi. La grande majorité de ses interventions sont consacrées aux problèmes sociaux et économiques.

Je crois que François, surtout après Amoris laetitia, l'exhortation apostolique de 2016 publiée après les deux synodes sur la famille, a ouvert la porte de l'Église à l'entrée du relativisme et de l'éthique de situation. L'enseignement des prédécesseurs, Jean-Paul II et Benoît XVI, est déformé. L'ambiguïté règne en maître.

Le silence sur le jugement de Dieu est très grave, car il déforme la miséricorde divine. Dieu est en effet un père bon et miséricordieux, mais il n'est pas accommodant et relativiste. Comme tout vrai père, il prend son fils et sa liberté au sérieux, et c'est pour cela qu'il lui indique le chemin de la vérité et du bien. Dieu juge l'homme. Faire disparaître de la conscience de l'homme ce sentiment n'est pas une œuvre de miséricorde, mais quelque chose de démoniaque, parce qu'il remet des âmes à la perdition: exactement ce que le diable veut.

AM Valli s'est entretenu avec The Post Internazionale, publication italienne (comme son nom ne l'indique pas clairement...) online fondée en 2010. Au vu des noms qui accompagnent la notice wikipedia (parmi lesquels m'ont sauté aux yeux "Scalfari", "L'Espresso", "Limes", "Repubblica"), il s'agit probablement d'une publication qualifiée pudiquement de "centre gauche". Ce qui n'empêche pas l'interview d'être exemplaire.

Ainsi, l'Eglise antidogmatique cède au dogme relativiste


Aldo Maria Valli
www.aldomariavalli.it
22 janvier 2019
Ma traduction

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«Que sont encore ces églises, sinon les fosses et les tombeaux de Dieu?» criait le fou nietzschéen en chantant le Requiem aeternam Deo.
Si à la fin du XIXe siècle, "la plus grande annonce" suscitait encore l'incrédulité des croyants et l'hilarité des athées, la situation semble aujourd'hui avoir complètement changé. L'Église elle-même, ou du moins une partie d'elle-même, semble avoir pris conscience de sa propre agonie.

Aldo Maria Valli, vaticaniste de la RAI et intellectuel éminent du monde catholique, essaie d'imaginer un avenir où les cathédrales seront complètement vides et le paradis, à tort ou à raison, ne sera qu'un conte de fées pour enfants.


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Question: Le Pape émérite, Joseph Ratzinger, écrivait en 1969 que l'Église avait commencé son cheminement vers la fin, avec des prêtres de plus en plus transformés en travailleurs sociaux et une foi réduite à une vision politique. Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Réponse: Ce processus a beaucoup avancé. Depuis le Concile Vatican II, l'Église catholique s'est de plus en plus engagée sur le terrain social et a consacré de moins en moins d'attention aux choses dernières, à ce que l'on appelle les Novissimi, c'est-à-dire la mort, le jugement, l'enfer, le paradis. Dans une tentative de dialogue avec le monde, l'Église a renoncé à s'occuper des âmes et du salut éternel. Sous le pontificat actuel, cette tendance est devenue plus prononcée que jamais. François a montré qu'il a une vision complètement horizontale de la vie de foi. La grande majorité de ses interventions sont consacrées aux problèmes sociaux et économiques. Je ne dis pas que l'Église n'a pas à s'en occuper, mais nous sommes arrivés à un point extrême: de la part de l'Église, il y a un silence assourdissant sur le surnaturel. Nous avons une Église mondanisée qui ne parle plus du péché originel et qui n'annonce pas la rédemption. Une Église dénaturée.

Q: Dans votre pamphlet Come la Chiesa finì (2017), vous parlez de la conversion de l'Église catholique en la Nouvelle Église anti dogmatique. Que voulez-vous dire par là ?

R: Je dis que l'Église, pour plaire au monde et paraître sympathiique, amicale, attractive, pense comme le monde, embrasse l'idéal du "renouveau" et renonce à l'idée de la vérité. Puisque le monde dit que la vérité, au sens absolu, n'existe pas et ne peut être connue, mais qu'il y a tout au plus de nombreuses vérités qui doivent coexister, l'Église, pour s'adapter à cette pensée, renonce à ses dogmes et donc, une fois encore, se déforme et s'aplatit. Le dogme est une vérité de foi enseignée par l'Église. En tant que tel, il ne peut être relativisé. Mais comme le monde est dominé par le relativisme et le subjectivisme (il n'y a pas de lois éternelles et absolues, mais seul est vrai ce que le sujet expérimente et prouve), voilà que l'Église mondanisée se met sur la même ligne. Avec des résultats dévastateurs, parce qu'en ne proclamant plus la vérité du Christ, elle échoue sur tous les plans: elle ne s'occupe plus du salut des âmes et ne dit plus rien d'original à l'homme de son temps. Dans mon livre, qui se déroule dans un avenir imaginaire mais pas tant que cela, je décris une Église ex-catholique qui, honteuse de ses dogmes, s'est réduite à une mauvaise copie des Églises protestantes. Elle s'est approprié le relativisme, prêche l'éthique de situation (les lois sont adaptables aux cas individuels et il n'y a plus de principes absolus), n'a même plus de vocabulaire pour annoncer les vérités éternelles et à un certain point, pour compléter le travail, elle décide de changer la "raison sociale" en se déclarant ouvertement nouvelle et anti-dogmatique.

Q: La désintégration des dogmes ne devrait-elle pas laisser place à une pensée plus critique et, par conséquent, à plus de liberté ?

R: Non. Aujourd'hui, il est à la mode de dire que l'Église doit être "en sortie", c'est-à-dire moins dogmatique, moins doctrinale et plus pastorale. Mais une Église sans dogmes et sans doctrine, ou avec une doctrine édulcorée, n'est pas une Église plus pastorale, c'est-à-dire plus attentive à l'homme et à ses besoins, mais plutôt une Église qui a perdu la tête, sous l'emprise de l'arbitraire et esclave du monde et des tendances dominantes à un moment donné de l'histoire. Le coeur de la doctrine est la révélation du plan de Dieu pour chaque créature, et cette doctrine est immuable. La mission de l'Église est de s'y enraciner et de l'annoncer aux hommes de tous les temps. Si elle ne le fait pas, elle se trahit elle-même et au lieu de confirmer ses frères et sœurs dans la foi, elle les embrouille et les conduit à la perdition. Quand l'Église se laisse prendre par le principe antidogmatique, en réalité elle tombe dans le dogme central du relativisme, autrement dit ce que je pense de Dieu et de l'homme est indifférent parce que Dieu est partout et que je peux le peindre à mon goût. Nous tombons donc aussi dans l'historicisme, c'est-à-dire dans l'idée selon laquelle la clé pour interpréter le sens de la réalité humaine ne réside pas dans la foi (avec ses dogmes), mais dans l'histoire elle-même. Ainsi, la proposition chrétienne est réduite à une vague exhortation morale, sans référence aux vérités divines éternelles, et la question du jugement de Dieu est passée sous silence. Nous le voyons très bien dans ce pontificat, au centre duquel se trouve un enseignement qui suggère que de la part de Dieu il y aurait l'obligation de pardonner, alors que la créature aurait le droit d'être pardonnée.

Q: Derrière la fiction narrative, il semble y avoir un grand malaise réel. Dans les pages de votre livre, on ressent l'inquiétude d'un croyant qui ne semble plus reconnaître la voix de l'Église. Peut-on parler de critique, même voilée, du pontificat de François ?

R: Evidemment oui. J'utilise le paradoxe, le sarcasme, l'humour piquant (certains lecteurs m'ont dit qu'on rit pour ne pas pleurer), mais la critique de ce pontificat est ouverte. Je crois que François, surtout après Amoris laetitia, l'exhortation apostolique de 2016 publiée après les deux synodes sur la famille, a ouvert la porte de l'Église à l'entrée du relativisme et de l'éthique de situation. L'enseignement des prédécesseurs, Jean-Paul II et Benoît XVI, est déformé. L'ambiguïté règne en maître.

Q: "Au Vatican, beaucoup souhaitent un nouveau conclave." Que pensez-vous des paroles prononcées il y a quelques jours par le cardinal Kasper à la télévision allemande? [cf. La "bombe" de Kasper]

R: Je crois que le Cardinal Kasper, l'un des grands inspirateurs de la ligne bergoglienne, a montré avec cette sortie que dans le "cercle magique" de François il y a beaucoup de nervosité. Les fameuses réformes n'ont pas été réalisées. La confusion est totale. Le principe de miséricorde, toujours annoncé à l'extérieur, n'est pas appliqué à l'intérieur et de nombreux témoignages provenant des "palais sacrés" parlent de régime dictatorial et de climat de terreur. Le pontificat traverse une période très critique. Ce n'est pas pour rien que François a prévu de nombreux voyages internationaux, qui lui assurent en général le consensus et lui permettent de sortir des sables mouvants du Vatican.

Q: Vous avez affirmé que l'Église parle trop de miséricorde et a expulsé le jugement de son langage. Pouvez-vous nous en dire plus?

R: Comme je l'ai déjà dit, ne s'occupant plus de la question du péché (le mot "péché" lui-même n'est plus utilisé, et l'on préfère plutôt parler de "fragilité"), l'Église catholique ne recommande pas la contrition nécessaire (le sentiment de remords et de repentir qui découle de la conscience du péché), néglige le problème de la conversion et transforme la miséricorde divine en une sorte de devoir de pardonner, comme si la créature avait un droit au pardon, quels que soient ses choix. Le silence sur le jugement de Dieu est très grave, car il déforme la miséricorde divine. Dieu est en effet un père bon et miséricordieux, mais il n'est pas accommodant et relativiste. Comme tout vrai père, il prend son fils et sa liberté au sérieux, et c'est pour cela qu'il lui indique le chemin de la vérité et du bien. Dieu juge l'homme. Faire disparaître de la conscience de l'homme ce sentiment n'est pas une œuvre de miséricorde, mais quelque chose de démoniaque, parce qu'il remet des âmes à la perdition: exactement ce que le diable veut.

Q: Benoît XVI est représenté comme le dernier bastion d'un catholicisme qui résiste dans la pureté de sa doctrine. Et pourtant, n'a-t-il pas été l'un des plus révolutionnaires, abdiquant du trône de Pierre ?

R: Benoît XVI s'est certainement montré très libre. Pas révolutionnaire, je dirais, mais libre. Il a certainement pensé que le renoncement aiderait l'Église à sortir d'une situation difficile, mais à mon modeste avis, il a fait une erreur de prévision. En réalité, il a laissé le terrain libre au parti moderniste, avec toutes les conséquences que nous voyons. Tout son pontificat a été un avertissement contre le relativisme endémique, et aujourd'hui, ponctuellement, l'Église embrasse elle aussi le relativisme.

Q: L'Islam peut-il être une menace réelle pour l'Europe chrétienne ?

R: Non seulement c'est possible, mais c'est déjà le cas. L'Islam ne connaît pas l'idée de dialogue et de compromis. Il ne connaît que la logique de la conquête. Le mot Jihad a le sens de lutte intérieure, d'effort d'amélioration, mais aussi de guerre pour la cause de Dieu. L'Occident chrétien doit donc être conquis et converti. Quand nous parlons d'Islam modéré, nous projetons en fait sur l'Islam une catégorie qui nous est propre. Pour le vrai musulman, être modéré signifie trahir. Et le Dieu du Coran a très peu en commun avec le Dieu de la Bible. Ce n'est pas un Dieu-relation, mais un Dieu-imposition. Et le message d'amour qui est au cœur du christianisme est complètement absent. Si l'on y ajoute la question démographique, la situation devient encore plus dramatique et l'Eurabie ne semble pas si lointaine.

Q: Paraphrasant le titre d'une autre de vos publications (Il diavolo in piazza San Pietro e altri racconti, 2015), le diable lui aussi se promène-t-il autour de Saint-Pierre?

R: Oui, certainement. Ce n'est pas pour rien que le texte d'un exorcisme est gravé sur la base de l'obélisque au centre de la place!

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