Le synode des vieux jeunes
Le temps s’est-il arrêté en 68 ? A propos du prochain synode sur la jeunesse prévu en octobre prochain, et après les rencontres préparatoires qui viennent de s’achever à Rome, les perplexités d’un journaliste espagnol (29/3/2018)
>>> Voir aussi sur ce sujet: Encore un Synode pour rien? (Valli)
Vatican Insider, le porte-parole (à peine) officieux du pape, titrait le 24 mars:
LES JEUNES DU PRÉ-SYNODE : "NOUS VOULONS UNE ÉGLISE MOINS MORALISATRICE, QUI ADMET SES ERREURS".
"Le document final des 300 jeunes du monde entier réunis à Rome et de 15 mille autres connectés via Facebook a été publié. Parmi les thèmes: harcèlement sur Internet, vocation, contraception, concubinage. "Nous ne demandons pas de réponses édulcorées et préconfectionnées".
C’est cette prétention à imposer des thèmes (et CES thémes !) qui pousse Carlos Esteban à s’interroger.
Nous avons été tellement pris par l’affaire du «Lettergate » puis par le terrible événement de Trèbes que le pré-synode de la Jeunesse semble être passé complètement inaperçu côté médias, même si au moment de la désignation des participants en janvier 2018, au moins l’un des trois représentants français avait été contesté ou tout au moins avait surpris (un membre du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne contesté car ne s’opposant pas nettement notamment à l’avortement, préféré à un représentant des Scouts d’Europe (cf. www.famillechretienne.fr).
Voici la traduction d’un article d’un journaliste espagnol qui craint bien que les « jeux ne soient déjà faits » et que les jeunes de ce pré-synode ne soient qu’un alibi. Une impression déjà ressentie pour le précédent Synode « bergoglien », celui des Familles.
(Carlota)
Le synode de la jeunesse ou la nostalgie des vieilles jeunesses?
Carlos Esteban
26 mars 2018
infovaticana.com
Traduction de Carlota
* * *
Le document final du pré-synode inclut des sujets qui paraissent plus surgir des prétentions frustrées des théologies des écoles caduques que des préoccipations des jeunes catholiques du monde entier. Je crains que le document final du Synode d’octobre n’ait déjà été écrit et signé dans un certain bureau.
Mgr Manuel Linda, nouvel évêque de Porto, s’inquiète de la demande croissante de messes en latin « parce qu’elles attirent certains jeunes et intellectuels. Nous ne savons pas pourquoi ces personnes trouvent de la satisfaction dans ces rites ». Un quidam pourrait penser que [ce] monseigneur est en train de parler de drogues ou de pornographie, et pas de ce qui a été le rite de la Sainte Messe durant presque toute l’histoire de l’Église.
Pas plus tard que la semaine dernière, les 300 jeunes qui vont participer au Synode sur la jeunesse se sont réunis à Rome, où ils ont préparé les documents, - lineamenta -, qui vont servir de base pour l’Assemblée Générale du Synode qui se tiendra à Rome au mois d’octobre prochain.
Après une semaine, à la veille du dimanche des Rameaux, cette rencontre pré-synodale au cours de laquelle 300 jeunes se sont rassemblés au nom de tous les jeunes pour demander une Église proche et interactive, a pris fin.
On ne comprend pas bien cette rencontre pré-synodale, et on ne croit pas non plus que ces 300 jeunes représenteront les sentiments des jeunes catholiques avec une fidélité même approximative. Je ne comprends pas, parce que le jeune doit apprendre, pas enseigner ; surtout parce qu'il a beaucoup à apprendre et très peu à enseigner. C'est précisément pour cela qu'il est jeune.
Être jeune ce n’est pas comme être une femme ou être Africain; être jeune ne définit pas une nature mais une phase de la vie. Beaucoup de ce que les jeunes de vingt ans pensent et considèrent aujourd’hui, ils ne le soutiendront plus d’ici quelques années, cela selon toute probabilité, et cependant sans cesser d’être eux-mêmes.
En second lieu, l’Église est la gardienne d’un message, ce n’est pas un forum de discussion. La vérité ne dépend en aucun cas de l’opinion majoritaire du moment, mais sa définition elle-même, dans le cas de la foi, ne peut être soumis à un processus de ce type. Les jeunes ont besoin de maîtres, et l’Église est, précisément, Mère et Maîtresse. Se mettre dans la position de l’apprenti, fût-ce comme posture, renvoie ce terrible message : il y a quelque chose à apprendre de la partie la plus volubile et la plus inexpérimentée de la population, les jeunes. Et c’est en définitive laisser tomber ces jeunes.
Mais même avec ces deux arguments de poids, il nous manque une troisième raison qui nous fait voir avec méfiance, c’est peu dire, cette curieuse célébration: nous n’avons pas réussi à y croire. Et nous faisons le lien avec l’exorde de l’évêque de Porto et avec notre conception de la « modernité immuable ».
Je lis dans l’un des nombreux compte-rendus : « Les jeunes avec un cœur ouvert et sincère demandent à l’Église d’être plus transparente, plus proche et interactive, ouverte à leurs propositions, car les jeunes ont beaucoup à offrir, ils veulent être des acteurs et non pas de simples spectateurs ».
Essayez donc de faire le tri dans la rhétorique insupportable qui semble se fixer à toutes ces déclarations comme les moules sur la coque d'un vieux navire. Que signifie « une église ouverte à leurs propositions » ? Quelles sont ces propositions ?
Eh bien, nous avons Alina Oehler, une théologienne et journaliste allemande de 27 ans, qui se demande pourquoi il n’y a pas de femmes parmi les cardinaux, question reprise et amplifiée par la Nord-Américaine Nicole Perone. Naturellement, on a déploré que le thème de l'ordination des femmes ait été considéré comme « clos», et un athée, - mais que vient faire un athée dans un pré-synode catholique ?, - s’est dit plein d’espoir pour les signes d’ouverture de l’Église.
Les jeunes réunis à Rome ont regretté la dureté de l’Église Catholique (??) : « L’Église semble parfois trop sévère et on lui associe souvent un moralisme excessif. Parfois dans l’Église, il est difficile de dépasser la logique du "on a toujours fait ainsi" ». C'est d'autant plus frappant que c'est précisément le catholique qui, depuis des années, a officiellement cessé d'être un jeune, qui connaît beaucoup de choses qu’"on n’a pas toujours faites ainsi"
En fin de compte, on a rabâché exactement les mêmes sujets que l’on répète comme étant des demandes de la « jeunesse » catholique depuis l’époque post-conciliaire. C’est peut-être à cela qu’ils faisaient référence avec le « on a toujours fait ainsi ».
Autrement dit, pour faire simple, il s’agit d’une jeunesse qui doit frôler les 70 ans, à peu de choses près.
Tout doit changer sauf, apparemment, la jeunesse; tout est liquide et changeant sauf, dirait-on, la modernité, qui s’est trouvée gravée pour toujours dans une pierre impérissable.
Qui a choisi ces 300 jeunes ? Les conférences épiscopales nationales, les institutions catholiques et les organisateurs du synode eux-mêmes. Très bien. Des groupes de discussion ont même été ouverts sur Facebook et quelque 15 000 jeunes ont participé aux discussions.
Et puis certains de ces jeunes ont fait leur apparition sur les réseaux sociaux, affirmant que leurs commentaires étaient automatiquement supprimés du réseau social. Laissons la parole à un membre du comité préparatoire, selon un commentaire online partagé :
« Pendant le voyage, je suis entré dans la communauté online du groupe pré-synodal en anglais et j'ai découvert un débat en cours très différent de celui qui nous a été présenté. Il y avait une énorme communauté online qui demandait que la demande pour la forme extraordinaire soit incluse dans le document, et j'ai réalisé à la lecture de ces commentaires que nous, en tant qu'équipe éditoriale, nous n'avions pas reflété la richesse des commentaires online. On ne nous avait remis qu’un résumé de ces commentaires, et j'ai été attristé de voir que beaucoup de membres de ce groupe se sentaient déçus et ignorés. Je me suis tourné vers mes collègues rédacteurs - libanais et latino-américains - pour leur demander si on leur avait traduit les expressions "Forme extraordinaire" ou "Messe en latin". Ils m'ont répondu qu'ils ne savaient pas de quoi je parlais, alors j'ai inclus l'expression " liturgies solennelles", espérant exprimer tout cela, mais en regardant les discussions online, j'ai signalé que le document aurait été différent s'il avait représenté de manière adéquate ce qui avait été débattu sur les réseaux sociaux »..
Bigre, la « drogue dure » contre laquelle nous met en garde l’évêque de Porto est déjà là.
J’ai lu beaucoup, mais alors beaucoup de commentaires de jeunes, des jeunes frustrés par ce qu’ils commencent à considérer comme de la fraude. Cela vaudra peut-être la peine de collecter ces échanges car ces jeunes ont des noms et des prénoms. En attendant, je vous propose un jeu simple. Allez à l’une des « messes amnistiées”, celles durant lesquelles l’on célèbre encore selon la Forme Extraordinaire (ordinaire durant des siècles); et ensuite passez à une autre, choisie au hasard dans n’importe quelle paroisse. Et comptez les jeunes que vous y voyez. Ce n’est pas très scientifique, mais je parierai que le résultat confirmera les craintes de Mgr Linda (évêque de Porto).
Le célèbre journaliste et auteur converti Vittorio Messori a dénoncé il y a déjà des mois le danger d’une vision de la doctrine en constante évolution qui pourrait se loger derrière la façade du « renouveau » ecclésial. Il l’a appelé « pensée liquide » et a montré le contraste avec ce qui, historiquement, a toujours été l’enseignement de l’Église, comparée habituellement à un roc du fait de sa fermeté immuable.
Mais même le relativisme de la modernité est relatif, et s’il considère comme mutable ce qui a toujours été considéré comme fixe, il projette comme fixe ce qui a toujours été tenu, par définition, comme mutable.
Le cas le plus frappant est celui de la modernité elle-même. Stricto sensu, « moderne » signifie ce qui est de maintenant, mais les mandarins du discours, les maîtres de la pensée dominante progressiste, sont convaincus que cela s’est arrêté aux alentours de 1968 et que ce qui est moderne a dû rester fixé pour toujours.
Tout au long de l’histoire, on a suivi un modèle selon lequel chaque génération s’oppose à celle qui la précède et espère arriver à l’âge adulte pour renverser le pouvoir, - politique, économique, culturel -, avant de le céder à la génération suivante quand forces et mémoire commencent à lui faire défaut.
Chaque génération est rebelle quand elle n’a pas le pouvoir, et cesse de l’être quand elle l’atteint. Il n’y a que les baby-boomers qui ont l’insolence ineffable de prétendre être encore rebelles quand ils dictent déjà les règles depuis des décennies. Ils veulent manger la tarte et la garder pour le dîner.
Enfants gâtés d’une génération qui aspirait à la vie après avoir vu tellement la mort, les baby-boomers ont arraché à leurs parents avant terme le sceptre de la culture et ne paraissent pas disposés à le céder alors même qu’ils peignent leurs cheveux blancs, enfin ceux qui en ont encore ; ceux qui criaient « ne fais jamais confiance à quelqu’un de plus de trente ans » n’ont pas le cœur de confier le gouvernail de la culture à quelqu’un de moins de 40 ans. Ils ont inventé le dernier paradoxe, la modernité intemporelle. Chaque génération est moderne tant qu’elle décide des normes culturelles, mais elle comprend le contrat tacite qui fait que le temps dicte ce qui est moderne et ce qui déjà ne l’est plus ; le baby-boomer est moderne par définition, c’est comme cela depuis cinquante ans : « la modernité, c’est moi (en français dans le texte) ».
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