Les médias, Benoît XVI et François
La différence de traitement dans l'affaire des abus saute aux yeux, même les moins avertis, mais il est bon de le rappeler, et cela fait du bien de le lire noir sur blanc sous une plume autorisée. AM Valli cite à ce sujet un article à contre-courant du magazine Newsweek (2/9/2018)
Les médias, Ratzinger et Bergoglio: deux poids deux mesures
www.aldomariavalli.it
2 septembre 2018
Matraduction
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En ces jours si chauds pour l'Eglise catholique, et pour nous, journalistes qui nous occupons du Vatican et de ce qui l'entoure, j'ai souvent réfléchi sur le traitement différent réservé par la presse à Benoît XVI en 2010, au beau milieu de la crise précédente pour les abus sexuels commis par les prêtres, et celui réservé aujourd'hui à François.
A l'époque le "conservateur" Ratzinger, bien qu'étant le pape qui a fait plus que tout autre contre les abus sexuels, a été littéralement crucifié et défendu par très peu de gens. Mais aujourd'hui, puisque les doutes et les perplexités concernent le "progressiste" François, pour la grande presse, le "point focal" n'est pas tant la question elle-même, c'est-à-dire les abus et les dissimulations dont ont été responsables les hauts représentants de la hiérarchie de l'Église catholique, mais la "guerre" que les "conservateurs" et les "traditionalistes", pour Dieu sait quels intérêts louches, auraient déclenchée contre François, alors qu'il s'engage à donner un nouveau visage, plus ouvert et plus dialoguant à l'Église.
J'étais en train de réfléchir sur ce renversement (en comptant avec le boulier les fois où j'ai été moi-même, à mon petit niveau, dépeint comme un traditionaliste et un conservateur par ceux qui, évidemment, préfèrent les étiquettes aux arguments) quand je suis tombé sur un commentaire intéressant écrit par Ben Shapiro pour Newsweek (on peut le lire en anglais ICI ).
C'est un article courageux, parce qu'il va à contre-courant de la narration dominante, imposée chaque jour par les médias les plus puissants, tous en faveur du pape "libéral" et "progressiste", victime d'une conspiration des "conservateurs".
Shapiro note à juste titre que la narration était très différente de celle actuelle, y compris pendant la phase finale du pontificat de Jean-Paul II. C'est en 2003 que le Boston Globe remporta le prix Pulitzer pour avoir révélé un étouffement [/dissimulation] massif d'abus sexuels au sein de l'Église catholique par l'archidiocèse de Boston. A l'époque la motivation du Pulitzer fit l'éloge de l'enquête du journal comme étant "courageuse", un travail qui réussissait à percer le mur du secret, provoquant une saine réaction locale, nationale et internationale. Le film Spotlight, qui a remporté un Oscar et qui a connu un très grand succès, était également basé sur cette histoire. Mais aujourd'hui, nous ne voyons rien de comparable à cette enquête.
Aujourd'hui, face aux révélations de l'archevêque Carlo Maria Viganò, ex-ambassadeur du Vatican aux États-Unis, qui a diffusé un mémorandum de onze pages dans lequel il affirme que le pape François était au courant des abus sexuels commis par le cardinal McCarrick depuis au moins juin 2013, ce n'est pas le pape qui s'est retrouvé dans le collimateur de la presse, ni les évêques et les cardinaux que Viganò mentionne en abondance comme protagonistes des dissimulations et des couvertures. Non, de façon totalement paradoxale, c'est Viganò qui a été mis sous accusation. Et presque personne ne s'occupe du fait en soi, autrement dit de la dénonciation que Viganò fit au pape en 2013, alors que beaucoup se dressent contre l'ancien nonce se demandant pour quelles raisons louches il a diffusé le mémorandum.
De la même façon, presque personne ne se demande pourquoi le pape, interrogé sur la question lors du vol de retour de Dublin, a décidé de ne pas répondre, alors que beaucoup s'emploient à fond pour discréditer Viganò.
Shapiro n'hésite pas à qualifier d'"incroyable" les propos d'un cardinal, Blase Cupich, de Chicago, selon lequel François a raison de ne pas répondre parce qu'il a un programme à porter à son terme et qu'il doit aller de l'avant en s'occupant de bien d'autres questions, comme l'environnement et les migrants. Pourtant, beaucoup de gens démontrent qu'ils pensent comme Cupich.
On en vient spontanément de se demander: pourquoi, en 2018, n'avons-nous pas vu de la part de la presse une couverture médiatique dédiée à François semblable à celle que nous avons vue à la fin du pontificat de Jean-Paul II et pendant le pontificat de Benoît XVI? Pourquoi ne voit-on pas à l'oeuvree des journalistes comme ceux du Boston Globe, et pourquoi, si quelqu'un essaie d'enquêter, est-il immédiatement couverts d'insultes et discrédité? Pourquoi les grands médias font-ils tout pour dépeindre Viganò comme un conservateur mécontent, rancunier et furieux, qui utilise la triste affaire McCarrick comme prétexte pour régler ses comptes avec François? Pourquoi le New York Times, qui il y a huit ans était en première ligne pour accuser Benoît XVI, parle-t-il à la place de "lutte pour le pouvoir au Vatican", manifestement manœuvrée par les "conservateurs"? Et pourquoi, pouvons-nous ajouter, les grands journaux italiens font-ils la même chose ici?
Le déplacement du focus est l'une des grandes armes à la disposition de la presse et, ces jours-ci, la majorité des médias l'utilise sans vergogne. Le tour de magie consiste à faire disparaître les questions sur l'action du pape, et sur l'absence de réponses de sa part, afin de mettre au centre de la scène l'attaque néfaste des "conservateurs" contre le pape progressiste. C'est une fois de plus le New York Times qui le démontre, soulignant que François, dès le début de son pontificat, a exaspéré les catholiques traditionalistes par son action en faveur d'une Église plus accueillante et moins rigide, une Église dialoguante, non plus interprète d'une "guerre culturelle" sur des questions telles que l'avortement ou l'homosexualité.
Selon le New York Times, tout est né avec la célèbre phrase de François: "Qui suis-je pour juger?" C'est à ce moment, soutient-il, que les ennemis du pape sont devenus si furieux qu'ils ont juré de le lui faire payer. Voilà le problème au cœur des analyses. Et la souffrance des victimes d'abus? Et les crimes horribles de prêtres, d'évêques et de cardinaux moralement corrompus? Et les couvertures réciproques? Et les dissimulations honteuses? De simples détails. Ils intéressaient quand Ratzinger était sur le trône de Pierre, mais plus maintenant.
Le tour de magie est amplement pratiqué. Même Reuters, par exemple, déplace le focus sur la "guerre" entre factions opposées quand il souligne que les défenseurs de François se regroupent autour du pape parce qu'ils craignent que les conservateurs ne veuillent augmenter l'intensité de l'affrontement. Et le Daily Telegraph fait la même chose lorsqu'il écrit que "les analystes du Vatican disent que l'attaque semble faire partie d'un effort concerté des conservateurs pour chasser le pape François, qu'ils n'aiment pas pour ses opinions relativement libérales".
Mais pourquoi, se demande Shapiro, la presse, au lieu de se concentrer sur les prétendues motivations de ceux qui le contestent, ne fait-elle pas pression sur le pape pour qu'il réponde aux questions? Avec Ratzinger, elle le ferait.
La vérité est que les "tentatives honteuses des médias pour couvrir François" (paroles de Shapiro) démontrent leur partisanerie: tant que le pape était le "conservateur", Ratzinger, ils étaient bien contents de dénoncer la saleté existant dans l'Église. Maintenant que le pape est le "libéral" François, le problème n'est plus la saleté dans l'Église, mais la "guerre" déclenchée par les méchants "traditionalistes".
Tout cela, écrit Shapiro, "est vile. Ce qui en ressort, c'est que les traditionalistes, réels ou supposés, doivent être combattus à tout prix. Il n'y a que cela qui intéresse".
Mais le public n'est pas si facilement manipulable. En effet, beaucoup se sont rendus compte que la couverture médiatique de l'affaire Viganò ne met pas en cause le comportement des soi-disant catholiques conservateurs. En réalité, elle met en cause les médias, qui "semblent désireux de découvrir les délits uniquement lorsqu'ils servent leurs intérêts politiques, et disposés à subordonner les intérêts des innocents à leur agenda politique.
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